Infoprisons

Poursuivre l'"entreprise de problématisation" (Foucault, 1994) de la prison

Dans le sillage des mouvements sociaux de contestation des années 70, le Groupe d’Information sur les Prisons (GIP) a contribué, en France, à sortir l’institution carcérale de l’invisibilité dans laquelle elle était maintenue, à l’ombre de la vie sociale ordinaire. Il a également inauguré une forme d’action originale qui reposait notamment sur un dispositif d’enquête pour interroger les conditions de détention. Il s’agissait de documenter le vécu des personnes incarcérées, de donner à entendre leur expérience de l’enfermement. 

 

En organisant une circulation de l’information entre le « dedans » et le « dehors » là où l’institution carcérale élève des murs, le GIP a ouvert la possibilité aux personnes détenues d’exprimer ce que l’emprisonnement leur faisait vivre. Et ils ont dit la douleur de l’éloignement de leur famille et de leurs proches, le manque d’intimité des parloirs, l’ennui du quotidien carcéral, la peur dans un univers saturé par les rapports de force, l’humiliation des fouilles corporelles. 

 

Passé ce moment d’effervescence, une chape de silence s’est à nouveau imposée, à peine rompue de temps à autre par le récit médiatique d’une spectaculaire évasion ou d’une mutinerie. Puis, des organisations professionnelles comme l’Observatoire International des Prisons ont pris, ici ou là, le relais de l’action du GIP. En Romandie, Infoprisons assume depuis maintenant 10 ans un rôle important de veille et d’information.

 

A sa manière, la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL) apporte sa contribution à l’« entreprise de problématisation » de l’institution carcérale dont parle Michel Foucault. Cette démarche de questionnement du fonctionnement ordinaire de la prison et de ses fondements, menée dans une perspective alliant connaissance et action, emprunte différentes voies. Elle passe ainsi par la réalisation de recherches. Comme celle portant sur les enjeux de la pluralité religieuse dans les prisons suisses (Becci & Bovay, 2011), initiée avant que les établissements de détention ne soient considérés comme un terreau propice à la radicalisation. Ou encore comme l’étude mandatée par l’Office fédéral de la justice à propos de la situation des enfants dont un parent est détenu, qui débute actuellement en collaboration avec l’Institut pour la prévention de la délinquance et de la criminalité de la haute école de Zürich.

 

Elle met aussi à disposition de la Commission des visiteurs de prison du Grand Conseil vaudois son expertise pour l’accompagner dans sa mission. Par ailleurs, un CAS d’Intervenant-e spécialisé-e dans le domaine de la justice pénale sera prochainement proposé.

 

Elle organise également des conférences et débats. Comme celle qui se déroulera en marge des manifestations mises sur pied à l’occasion des 10 ans d’Infoprisons. Le réseau de compétence Genre et travail social, et l’Unité de formation continue ont invité Gwenola Ricordeau (Professeure associée en justice criminelle, California State University, Chico) pour une conférence sur le thème : Le système pénal protège-t-il les femmes ? (29 septembre 2021, 14h.30 à la HETSL)

 

Si la prison a connu ces dernières années des évolutions, une relative ouverture aux personnes extérieures (familles, proches, intervenants professionnels), une certaine normalisation des conditions de détention, son organisation et son fonctionnement essentiellement sécuritaires se sont simultanément renforcés sous l’égide d’une exécution des sanctions pénales orientée en priorité vers la gestion préventive du risque. Ce qui justifie que l’on n’abandonne pas l’« effort pour rendre problématiques et douteuses des évidences, des pratiques, des règles, des institutions et des habitudes sédimentées » (Foucault, 1994). Et Gwenola Ricordeau fait partie de celles et ceux qui prolongent cette mise en question de la prison.