Démolir les prisons? Mais quoi d’autre?
Beaucoup d’acteurs du champ pénal considèrent de plus en plus souvent que l’enfermement carcéral ne résout pas le problème de la criminalité dans son ensemble, qu’il provoque des effets secondaires néfastes et que, de surcroît, il coûte très cher à la collectivité. Certes, tout le monde est bien conscient qu’il existe des criminels endurcis contre lesquels il faut prendre des mesures sévères, mais ils ne représentent qu’une petite minorité des auteurs d’infractions. Faut-il donc continuer à construire des prisons ou, au contraire, fermer celles qui existent? La recherche d’alternatives occupe les autorités politiques et judiciaires, mais celles auxquelles elles recourent le plus souvent, la surveillance électronique et les travaux d’intérêt général, n’échappent pas à la critique. C’est ce que démontrent notre invitée Marie-Nathalie D’Hoop et sa collègue des Maisons de Justice de Bruxelles, Annie Devos, invitée aux Assises vaudoises de la chaîne pénale en décembre 2018.
En 2016, le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) du Conseil de l’Europe adopta un livre blanc (…) aboutissant au constat que le niveau de surpopulation [dans les prisons] n’est pas lié directement à l’évolution du taux de criminalité, mais que le taux d’incarcération varie en fonction de la politique pénale. Convaincue que les prisons ne sont pas la solution, Annie Devos, citant l’écrivain français Rolland Henault, estime que « Construire des prisons pour enrayer la délinquance, c’est comme construire des cimetières pour enrayer l’épidémie ». Elle en conclut qu’il n’y aura pas moins de prison tant qu’il n’y a pas moins de pénal.
Les Travaux d’intérêt général (TIG), sanction alternative à une peine de prison, se révèlent parfois socialement discriminatoires. Quant à la surveillance électronique (assignation à domicile avec un bracelet de surveillance), on lui reproche d’être encore plus liberticide que la prison.
On assiste à l’essaimage du carcéral dans la communauté; on demande au justiciable de devenir gestionnaire de sa propre peine; on impose l’autopunition comme principe de correction; les fonctions carcérales se mettent en œuvre hors les murs, de manière élargie.
– Annie Devos
Comment les systèmes familiaux vivent-ils cette pression? De quel accompagnement bénéficie un enfant dont le père qu’il voit tous les jours, enfermé à domicile, ne peut l’accompagner dans aucune de ses activités? Quelle place, quel rôle la justice donne-t-elle à cet entourage qui devient, par la peine ou mesure alternative, témoin direct de la contrainte subie quand il n’est pas lui-même victime «collatérale» de cette contrainte?
Peines alternatives, alternative à la peine? Marie-Nathalie D’Hoop, Le Courrier, 4.07.2021
Entre 1986 et 2013, il exista en Suisse romande un projet pilote innovant consacré à la sociothérapie, « La Pâquerette ». Installée à Genève et dépendant administrativement des Hôpitaux universitaires genevois (HUG), cette petite structure accueillait onze détenus souffrant de troubles graves de la personnalité.
L’estime de soi est fortement perturbée dans ce type de personnalité au caractère impulsif, enclin à passer à l’acte rapidement. Souvent les instances pénitentiaires ne savent plus quoi faire de ces personnes étiquetées antisociales intraitables. Car les conditions de leur détention ont la plupart du temps accentué leurs révoltes contre l’autorité et aggravé leurs comportements perturbés. D’une certaine manière, la sociothérapie – que La Pâquerette expérimente depuis 25 ans – entend lutter contre l’effet néfaste de l’incarcération. Les prisons sont des institutions totalitaires, avec leurs hiérarchies et leurs humiliations qui en découlent. Les prisonniers y développent des stratégies d’adaptation qui sont anti-thérapeutiques. Il faut casser ces modes de comportements défensifs (…)
Le régime communautaire fait de souplesse, de responsabilisation, de respect des détenus, etc. permet une évolution favorable des personnes, dans leur santé au sens large du terme, une diminution des sentiments d’exclusion et d’humiliation, ainsi qu’une préparation réaliste à la vie extérieure.
La Pâquerette fleurit sur le toit de Champ-Dollon Marie Bonnard, Bulletin 4, Janvier, 2011
En 2013, l’assassinat de la Sociothérapeute Adeline par un pensionnaire de la Pâquerette, qu’elle accompagnait pour une sortie, sonna le glas de cette institution. La Pâquerette dut fermer ses portes.
Devant une tragédie aussi terrible, les succès de La Pâquerette et les réinsertions réussies ne pèsent pas lourd face à l’exigence de sécurité revendiquée par l’opinion publique. Dans les jours qui ont suivi le drame, personne n’osait plus prononcer le mot réinsertion.
Une autre piste de plus en plus présente dans les débats sur le système pénal est celle de la justice restaurative. Plusieurs de nos invité.es l’expérimentent avec intérêt et espoir. Nous y reviendrons plus loin. Mais c’est ici l’occasion d’évoquer des traditions culturelles qui accordent une place essentielle à la réparation. C’est un juriste africain qui nous la présente.
La justice européenne suppose que les intérêts individuels, dans une société, ne doivent pas entrer en concurrence l’un avec l’autre (la liberté des uns s’arrête où commence la liberté des autres). Lorsqu’un conflit éclate, cela signifie que l’intérêt d’un individu a empiété sur celui d’un autre. Dès lors, la justice intervient avec le glaive pour trancher au point de rencontre et replacer chaque intérêt sur la balance pour voir si l’équilibre est de nouveau obtenu. (…) En revanche, la justice traditionnelle africaine estime que, comme les fibres d’un tissu, les intérêts des individus dans une société doivent s’imbriquer, et qu’un litige correspond à une rupture, donc à une déchirure du tissu social. Dans ce cas, la justice, comme une aiguille et un fil, doit recoudre ensemble les intérêts séparés par la crise. La justice est donc l’occasion pour les parties, une fois le litige discuté et réglé en palabre, de se convier à faire un geste symbolique de réconciliation, à savoir se partager une noix de cola, boire l’un après l’autre dans une même calebasse ou plus simplement se serrer la main. (…) Les recherches montrent que l’un des principaux buts de la peine, dans les cultures africaines, est justement la garantie de la réparation pour la victime. En outre, les sanctions perdent beaucoup en efficacité si le statut et les intérêts de la victime ne sont pas pris en compte. (…) C’est ainsi que la peine d’amende est vue comme une escroquerie de l’Etat, qui encaisse des dividendes, au mépris du droit de la victime à réparation. Pour le citoyen, c’est d’autant plus incompréhensible que l’Etat n’a subi aucun dommage du fait de l’acte. Dans ce cas aussi, la victime renonce à la plainte et préfère trouver une solution compensatrice avec l’auteur.
On pourrait songer aussi à une alternative encore plus audacieuse pour lutter contre la surpopulation carcérale: celle de la dépénalisation de toute une série d’infractions qui ne portent préjudice à personne, sinon à leurs auteurs ou autrices. Ce sera le sujet du débat suivant.
Anne-Catherine Menétrey-Savary