Recension de l’étude empirique-qualitative sur la perception de l’aumônerie dans les lieux de détention du canton de Zürich

La présente contribution rapporte les résultats d’une étude empirique-qualitative sur la perception de l’aumônerie dans les lieux de détention du canton de Zürich. Cette étude, réalisée par quatre aumôniers avec le concours d’un spécialiste académique, permet de rendre compte des différentes opinions et perspectives sur l’aumônerie dans les lieux de détention.

L’étude intitulée Eine qualitativ-empirische Studie zur Selbst- und Fremdwahrnehmung der Gefängnisseelsorge im Kanton Zürich: Forschungsbericht[1] a été rédigée par quatre aumôniers avec le concours d’un spécialiste académique de ce type de recherche sociologique1. L’ouvrage fait suite à une étude réalisée pendant la pandémie de Coronavirus de 2020, mais en élargissant le spectre d’investigation. Alors que la première étude n’était basée que sur les informations fournies par des aumôniers-ères, la seconde inclut également les points de vue des personnes travaillant dans les lieux de détention et des personnes incarcérées. Au total, 35 personnes ont été interviewées : 8 aumôniers, 16 détenues, 11 personnes travaillant en prison.

Cette étude permet de rendre compte des différentes opinions et perspectives sur l’aumônerie dans les lieux de détention de l’un des plus grands cantons de Suisse. Elle vient apporter des données concrètes à des intuitions et discussions entre collègues. Ce travail empirique faisait cruellement défaut dans le domaine de l’aumônerie en prison.

L’étude se divise en 8 domaines. Les trois qui ressortent particulièrement sont : le sens de la peine, le secret professionnel et l’attitude professionnelle attendue des aumônières et aumôniers.

En ce qui concerne le sens de la peine, celle-ci n’est pas perçue de la même manière parmi les participants à l’étude. Si pour le personnel des lieux de détention, la question ne se pose pas ou peu, tant pour l’aumônerie que pour les détenues, c’est une question importante. Un point d’accord demeure : la peine a une valeur pédagogique. Pour harmoniser cela, les auteurs proposent par exemple de réfléchir, lors d’une journée interdisciplinaire, au sens de la peine. Une tâche noble en apparence, mais vouée à l’échec si le pouvoir politique n’est pas demandeur et impliqué. Alors que la pratique législative consiste en un durcissement des peines, les auteurs espèrent naïvement qu’une rencontre d’experts suivie d’un rapport inversera cette tendance.

Au même niveau que tous les intervenants en détention, les

aumôniers sont tenus au secret professionnel. Celui-ci est perçu comme une pierre angulaire de cette offre, mais est aussi vu du côté des institutions comme un frein à la coopération interprofessionnelle. Leur proposition de réflexion et de brochure d’information, notamment à destination des personnes faisant des visites avec un mandat religieux, comme l’armée du Salut et des aumôniers-ères non-chrétiennes est une bonne chose. Trop d’intervenant-es ignorent en effet les bases de la confidentialité et les bonnes pratiques en matière de transmission et de rétention d’informations, y compris parmi les professionnel-les de l’accompagnement spirituel. Les auteurs considèrent par ailleurs que toute personne pratiquant l’aumônerie est soumise au secret professionnel. Mais le manque de ressources en matière juridique et la volonté de ne pas contrarier certains intervenants empêchent une avancée réelle dans ce domaine.

Un problème qui n’est pas réellement soulevé concernant l’attitude attendue des aumôniers et aumônières est la possibilité de missionner en prison. En effet, cette pratique est une ligne rouge pour les directions. Les personnes qui viennent comme simple visiteuses peuvent missionner, mais pas le personnel d’aumônerie engagée au sein d’un lieu de détention. Toutefois, l’armée du Salut est considérée par les auteurs comme faisant de l’aumônerie (opinion contraire à la majorité des commentateurs sur le rôle de l’aumônerie en prison) alors qu’elle missionne de manière explicite dans les lieux de détention. La même question reste ouverte pour les personnes faisant de l’aumônerie pour le compte des églises dites libres. Ces dernières considèrent souvent la mission comme une partie essentielle de leur tâche et leur attitude ne répondrait donc pas aux attentes.

Pour le reste, les points saillants à retenir sont les suivants. Premièrement, l’aumônerie est globalement bien perçue, mais son rôle demeure souvent flou. Deuxièmement, le lien interprofessionnel gagnerait à être développé, sans y perdre la spécificité de l’aumônerie. Troisièmement, l’aumônerie se distingue par l’attitude de celles et ceux qui la pratiquent. Elle est ainsi notamment perçue comme non-jugeante et comme digne de confiance. En outre, le travail de manière interreligieuse s’impose gentiment et est vu comme une chance plutôt que comme un handicap. Le cinquième point est que l’aumônerie fonctionne par la capacité de celles et ceux qui la pratiquent à adopter une posture professionnelle adéquate d’écoute, de compassion et d’espoir notamment, leur permettant des contacts fructueux auprès du plus grand nombre. Enfin, sixième point saillant, les aumônières et aumôniers ont les ressources pour prendre soin d’elles et eux-mêmes. L’étude montre que la durée moyenne d’engagement à un poste est de 10 ans. Ceci montre que les aumôniers font partie d’un personnel dont l’engagement s’inscrit dans la durée et cela n’est possible que si les conditions sont bonnes et que les personnes prennent soin d’elles-mêmes.

La conclusion générale et les recommandations qui la suivent montrent que si les bases sont posées avec clarté, beaucoup reste à faire en termes de réflexion critique sur le rôle de l’aumônerie et sur l’institution judiciaire et pénale. Les auteurs évitent en effet de prendre des postures trop critiques tout au long de leur étude et semblent se laisser piéger par la neutralité scientifique. Il est étonnant que les mêmes personnes qui défendent la justice restaurative n’arrivent pas, dans la conclusion de leur étude, à faire des propositions plus radicales, ni à soulever quelques problèmes importants.

Si le travail sociologique ne prête pratiquement pas le flanc à la critique, il est regrettable que les pistes de réflexions qui en découlent en restent aux bonnes intentions de faible portée et ne permettent pas d’interroger plus en profondeur le système pénal et carcéral.

David Kneubühler

Notes

[1] Eine qualitativ-empirische Studie zur Selbst-und Fremdwahrnehmung der Gefängnisseelsorge im Kanton Zürich : Forschungsbericht, Stüfen Frank, Rottler Christoph, Diez Alfredo, Beerli Andreas, Verlag für Gefängnisseelsorge GmbH, Zürich, 200 pages, 2023.