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Les temps de la détention provisoire : entre fiction et réalité

Entre attente, ennui et enfermement en isolement cellulaire, nous vous proposons la suite du parcours immersif dans le monde de l’enfermement à travers les yeux de Monsieur X, personnage fictif mais coloré par nos expériences professionnelles, nos connaissances théoriques et pratiques et teinté par les propos émis des personnes détenues que nous avons rencontré au fil des années. Troisième partie de cette immersion en détention provisoire.

Enfermé dans sa cellule 23h/24, Monsieur X attend. Attente d’un jugement. Attente du rapport d’expertise qu’il espère être en sa faveur. À ce propos, il n’a toujours aucune nouvelle. Que font les experts ? Cela fait déjà deux mois que le dernier entretien a eu lieu. Mais que peut-il faire ? Son impuissance se heurte aux barbelés de la prison. Emmuré dans son esprit, seule son imagination lui permet de s’évader. Les yeux fermés, allongé sur sa couchette, il tente alors de ressentir la caresse du vent dans ses cheveux, de percevoir la douceur d’un rayon de soleil sur son visage, d’entendre le rire de sa femme et de son fils. Fragrance d’un souvenir. L’odeur de son enfant lui manque. La chaleur de la peau de son épouse n’est plus qu’un souvenir, évaporée dans son nouveau monde gris et froid. Murmures d’un passé révolu. Par ses sens, Monsieur X se souvient du parfum de son épouse, de la caresse de sa main dans la sienne, de la douceur de son sourire. Il aimerait tant pouvoir la retrouver un instant et partager un moment d’intimité avec elle.

Peu répandus dans les établissements carcéraux suisses, soit moins d’une dizaine, les parloirs intimes suscitent encore de nombreuses critiques, voire des fantasmes. En Suisse romande, seul le complexe carcéral de la plaine de l’Orbe dispose d’un tel espace.

Les parloirs intimes sont des espaces à l’intérieur des prisons, dépourvus de caméras de surveillance et au sein duquel le/la détenu.e peut recevoir son/sa partenaire à l’abri des regards.

Les premiers parloirs intimes sont apparus en Suisse dans les années 1970, et ce dans un objectif d’humanisation des conditions de détention. « L’idée est que l’accès à une forme de sexualité choisie contribue au maintien de la dignité de la personne. Si on se positionne dans une optique de réinsertion […] il est dans l’intérêt général de la population que [les personnes détenues] puissent exécuter leur sanction pénale dans le respect de leur dignité et de leur intégrité en tant qu’être humain »[1].

Toutes les personnes détenues ne peuvent toutefois bénéficier des parloirs intimes. Les critères pour y accéder, bien que parfois peu définis, sont strictes : il/elle doit être en exécution de peine, ne pas bénéficier d’un régime de sortie, et une sélection est réalisé selon le type de crime. En outre, la personne détenue doit être apte à justifier d’une relation stable à l’extérieur de la prison.

Monsieur X ouvre les yeux. Une larme perle sur sa joue. Elle glisse et s’attache dans sa barbe, se mêle aux autres gouttes salées, traçant un sillon sur son visage. Des larmes, comme un symbole de vie et d’émotion ; signe que son cœur n’est pas complètement vide et éteint. Pour l’instant. Pour combien de temps ? 

Les journées s’étirent, les souvenirs s’étiolent. Les nuits s’éternisent, les rêves s’éteignent. Pourtant, une lueur d’espoir brille, Monsieur X attend la visite de sa femme et de son fils. Il compte les jours.  Enfin ! Le jour tant attendu ! Il va revoir pour la première fois depuis son incarcération son enfant, le serrer dans ses bras et lui faire des promesses, celles de meilleurs lendemains. Au parloir, il retrouve sa femme, si belle ! Monsieur X remarque la lassitude sur son visage, les cernes creusées sous ses yeux, un regard qui ne pétille plus. Son étincelle de joie a disparu. Sa femme est libre, mais elle subit également sa peine. Son temps est rythmé sur celui de la prison. Les déplacements du domicile à l’établissement carcéral sont longs et fastidieux. Elle est seule à s’occuper de leur enfant. Seule à affronter le regard des autres. Sans chaîne mais liée, malgré elle, à la culpabilité de son époux.

En 1975, Michel Foucault écrit que « La prison fabrique indirectement des délinquants en faisant tomber dans la misère la famille du détenu » [2].

Aujourd’hui encore, cette phrase garde tout son sens, tant le poids économique de l’enfermement sur l’entourage est important. Il y a à la fois une perte de ressources pour le ménage qui se voit amputé d’un salaire, mais également des dépenses supplémentaires, notamment liées au coût de déplacement pour se rendre à l’établissement carcéral. Une mobilité géographique imposée qui affaiblit doublement les ressources financières des proches. Au-delà des conséquences psychologiques de la détention, l’aspect financier est ainsi une préoccupation importante et récurrente parmi les proches de personnes incarcérées. Cependant, peu d’aides sont mises en place pour soutenir les familles.

La Fondation Relai Enfants Parents Romands (REPR) soutient les familles, les proches et les enfants de personnes détenues en Suisse romande. Un des objectifs de celle-ci est d’accompagner les enfants dans leur relation avec le(s) parent(s) détenu(s) ; ainsi que d’offrir un soutien à la parentalité.

Relevons néanmoins que si la question des proches de personnes détenues est fortement documentée depuis une dizaine d’années, de nombreuses lacunes subsistent en Suisse au niveau de la recherche académique. En outre, les données statistiques harmonisées à l’échelle du pays manquent (par exemple, combien y a-t-il d’enfants ayant un parent incarcéré, quels sont leurs profils socio-économiques, etc). 

Monsieur X ne voit pas son fils. Son épouse est venue seule lui rendre visite. Elle lui explique son désarroi. Comment annoncer à un enfant que son parent est en prison ? Comment trouver les mots ? Elle n’en a pas la force. Monsieur X n’écoute plus sa femme, un flot d’émotions le submergent : la peur, la colère, la tristesse. Il a le droit de voir son fils ! Il est son père ! Enfermé ou non, ses droits parentaux subsistent ! Qui peut l’en empêcher ? La justice ? Le Ministère Public ? Les experts ? De rage, il crie son désespoir et tape du poing sur la table. Intervention des agents de détention, on le raccompagne en cellule. Sa femme est prostrée, encore sous le choc de la réaction de son époux. Le cœur de Monsieur X déborde de rage. La patience n’est plus. La compliance s’est envolée. Il s’agite, profère des insultes à l’encontre des agents de détention qui tentent de le maintenir et crie son injustice ! Son âme est vide, mais ses yeux brillent d’un feu nouveau, un brasier qui brûle l’espoir. On l’enferme dans sa cellule, il se jette contre la porte. Il appuie inlassablement sur la sonnette. Il se tape la tête contre le mur. Il saigne, mais apprécie cette sensation poisseuse. Monsieur X se sent revivre à travers la souffrance qui marque les murs de sa cellule. La porte s’ouvre, des agents de détention l’emmènent. Pour sa protection disent-ils. Et pour ses propos désobligeants et son comportement. Sa punition : deux jours d’isolement. On lui explique qu’il peut faire appel en tout temps au service médical, avec une visite quotidienne par un médecin ou un.e infimier.ère qualifié.e.

L’isolement cellulaire consiste à maintenir un.e détenu.e seul.e dans sa cellule plus de 22 heures par jours. « En raison de son caractère délétère sur le bien-être physique et mental de la personne concernée, l’isolement cellulaire ne doit être utilisé que de manière exceptionnelle, strictement encadré et pour une durée limitée » [3].

L’isolement cellulaire répond à des finalités différentes : une sanction disciplinaire (doit être réservé aux infractions les plus graves), en lien avec la procédure pénale (afin d’assurer le bon déroulement de l’enquête, permettant de limiter les contacts avec des témoins, des complices ou des victimes), la protection de la personne incarcérée (afin de la soustraire à des risques de violence de la part des co-détenu.es. Le consentement de la personne isolée est requis), ou encore à but de prévention d’une situation jugée à risque.

Monsieur X ne veut pas la visite d’un médecin. Il aspire simplement à voir son enfant. Commettre un crime ne signifie pas qu’il est un mauvais père ! Qui peut oser prétendre le contraire ? Après la colère, le désespoir le submerge. Les pensées s’enchaînent dans son esprit, noires et brutales. Pourquoi vivre ? Pourquoi survivre ? Il pensait son avenir incertain ? Quelle naïveté. Il passera les prochaines années en prison, avec pour seule liberté celle de rêver.

Natalie Knecht et Lauriane Constanty

Notes

[1] Propos de Jean-Sébastien Blanc, recueillis dans le cadre des « Rencontres critiques de l’enfermement » organisés le 5 mai 2023 à l’UNIGE. Prisons : L’enjeu est de trouver une intimité perdue.

[2] Foucault, M. (1975). Surveiller et punir. Éditions Gallimard.