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Les temps de la détention provisoire : entre fiction et réalité

Les temps de la détention provisoire : entre fiction et réalité

Après l’attente, l’ennui et l’enfermement en détention avant jugement, nous vous proposons la suite du parcours immersif dans le monde de l’enfermement à travers les yeux de Monsieur X, personnage fictif mais coloré par nos expériences professionnelles, nos connaissances théoriques et pratiques et teinté par les propos émis des personnes détenues que nous avons rencontré au fil des années. Quatrième et dernière partie de cette immersion dans le monde de l’enfermement.

Monsieur X ouvre les yeux. Comme chaque matin, il scrute les recoins de sa cellule. Le silence et l’ordre y règnent. Chaque objet minutieusement rangé, à sa place. Le poste de radio à côté d’une pile de magazines et de journaux, ainsi que quelques livres reçus dans le dernier colis envoyé par son épouse. Celui-ci comprenait également un paquet de café et du chocolat. Son préféré. Celui au caramel et fleur de sel, impossible à trouver à l’épicerie de la prison. Ses habits sont disposés sur la chaise, soigneusement pliés. Malgré l’enfermement, son esprit maniaque ne l’a pas quitté, certaines habitudes ne peuvent changer. Le poste de télévision, posé sur une étagère, surplombe une table, celle où il passe plusieurs heures par semaines à écrire des courriers à sa famille et des poèmes. La poésie. Une douceur de mots lui permettant d’exprimer sous sa plume les affres de l’enfermement. Les murs de sa cellule sont recouverts de dessins de son fils, de photos de sa famille et de son chien, parti dans un autre monde. Monsieur X n’a pu lui dire au revoir. La prison l’en a empêché. Les larmes montent. Pour ne plus y penser, il se lève, s’étire et se prépare une tasse de café, avant de commencer sa journée. Au programme ce jour-ci : entretien avec son assistante sociale puis atelier de menuiserie. Oui, il travaille depuis qu’il exécute sa peine à la prison centrale. Car Monsieur X a été jugé et reconnu coupable des faits. L’expertise psychiatrique a notamment révélé une responsabilité légèrement diminuée d’un point de vue psychiatrique concernant les faits, un risque de récidive élevé d’actes de même nature que ceux qu’il a commis par le passé et les experts préconisent un traitement ambulatoire. Le juge a suivi leur avis. Etant donné que ceux-ci ont estimé que le suivi n’était pas entravé par la peine de prison, le voilà astreint à se rendre toutes les deux semaines chez la psychologue psychothérapeute qui exerce en prison. Il n’est pas mécontent, cela lui permet de déposer ce qu’il ressent et de travailler sur la compréhension de son passage à l’acte. Mais 45 minutes toutes les deux semaines, c’est court. A peine le temps d’exprimer ce qu’il a sur le cœur que la séance est déjà terminée.

La détention préventive vise à garantir que le prévenu ne s’échappe pas (risque de fuite), ne compromette pas l’enquête (risque de collusion) et ne commette pas d’autres infractions (risque de réitération). Ainsi, elle ne présente pas un caractère punitif, le détenu n’ayant pas été reconnu coupable, mais revêt un but préventif. Elle doit être aussi courte que possible (elle est prononcée pour une durée de trois mois, prolongeable) et est soumise à un contrôle judiciaire régulier. Malgré la présomption d’innocence, le prévenu n’étant pas condamné, les conditions de détentions sont beaucoup plus strictes afin d’empêcher toute interférence avec l’enquête, notamment concernant les communications avec l’extérieur. Par ailleurs, le détenu passe en moyenne 23 heures sur 24 dans sa cellule, ne sortant parfois que pour la promenade quotidienne.

L’exécution de peine, qui intervient donc après jugement, vise à exécuter la peine imposée par le Tribunal, avec un caractère punitif et rééducatif et cherche à favoriser la réinsertion sociale du détenu. Les conditions de détention sont généralement moins strictes que celles de la détention préventive, permettant des activités de réinsertion comme le travail, la formation et les activités culturelles ou sportives. Les détenus peuvent également bénéficier de permissions de sorties sous certaines conditions. Ils sont souvent impliqués dans des programmes de réinsertion et peuvent participer à des activités visant à préparer leur retour à la vie en société.

Si les promenades derrière les murs grillagés, le bruit des portes qui claquent et les fouilles corporelles marquent son quotidien, Monsieur X respire. Exécuter sa peine c’est retrouver un rythme, c’est pouvoir s’affranchir aux yeux de sa femme et de son fils, aux yeux de la justice et de l’extérieur. Mais surtout, il peut à nouveau rêver à une nouvelle vie. Celle au-delà des barreaux. Celle où les espoirs sont possibles. Où est-ce les effluves de la fumée de cannabis qui l’amènent à croire que sa vie actuelle est meilleure, alors qu’il est toujours enfermé ? Lui qui n’a jamais consommé, le voilà maintenant dépendant au THC, douce et suave drogue qui embrume son esprit. Apaisement. Quiétude. Une consommation qui lui vaut néanmoins des rapports disciplinaires, Monsieur X étant soumis à des prises d’urine régulière. Qu’importe. Après toutes les épreuves traversées, il a besoin d’apaiser ses pensées. Il se jure toutefois d’arrêter toute consommation, une fois libéré. Libre. Quelle douceur dans ce mot.

Malgré les interdictions et les mesures de prévention, les substances psychoactives entrent et circulent régulièrement en prison. Selon le GREA (Groupement Romand d’Etudes des Addictions), les drogues les plus couramment utilisées en prison sont le cannabis (28% contre 2.7 à 9% dans la population générale) ; la cocaïne (20% contre < 1% dans la population générale) et l’héroïne (12% contre <1% dans la population générale). De manière générale, les consommateurs en prison s’injectent moins en comparaison avec le milieu libre, mais lorsqu’ils le font, ils recourent plus fréquemment à des seringues usagées, se mettant davantage en danger. Des programmes d’échange de seringues (PES) existent partout en Suisse en milieu libre, mais on retrouve ces mêmes programmes seulement dans 11% des prisons suisses [1].

À travers les méandres de fumée, Monsieur X dessine son avenir. Il se projette vers l’extérieur et imagine sa sortie de prison. À son épouse qui l’attendra devant la porte principale de l’établissement carcéral, tenant son fils dans ses bras. À la joie de ses parents, qui pourront retrouver un fils perdu. À l’espoir de laisser derrière lui, pour toujours, l’ombre de la prison ; même si celle-ci teintera son quotidien, Monsieur X en est conscient. Comment oublier les bruits du monde carcéral et ses barreaux ? L’enfermement et la surveillance ? Dans le cœur et l’esprit, l’emprisonnement laisse une trace indélébile et teinte, indéniablement, le futur de chaque individu. Stigmates d’une vie antérieure, impossible à oublier.

Monsieur X émerge de sa rêverie. Il a un entretien avec son assistante sociale ce matin, pour anticiper sa sortie et préparer son avenir professionnel. Ensemble, ils élaborent son Curriculum Vitae. Là aussi, la prison marque son empreinte. Comment expliquer aux futurs employeurs où il se trouvait ces derniers mois et ce vide professionnel ? Cette pensée l’inquiète et obscurcit souvent ses rêves. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’auto-médique avec du THC. Monsieur X reconnaît toutefois sa chance par rapport à certains autres co-détenus. Il se souvient de son camarade de cellule, en détention avant jugement, qui a été expulsé dans son pays d’origine. Il pense à son ancien partenaire aux ateliers de menuiserie, libéré de prison mais qui se retrouve sans famille ni emploi, happé par la solitude. Il se remémore tous ceux qui ont trouvé un refuge en prison, le monde extérieur leur offrant certes la liberté, mais ni présent ni futur. Monsieur X considère sa chance, celle d’avoir une famille et des amis qui l’attendent à la sortie, celle d’avoir un logement où se réfugier une fois sa peine exécutée, celle de bénéficier du soutien de ses proches. La prison lui a volé un pan de sa vie, mais pas son avenir.

Selon l’Art. 66a CPS, les délinquants étrangers doivent être expulsés s’ils sont reconnus coupables de certaines infractions graves (meurtre, viol, trafic de stupéfiants, cambriolage, traite des êtres humains, participation à une organisation criminelle). Le juge doit prononcer l’expulsion en plus de la peine principale. Cette expulsion est obligatoire, sauf si cela constitue une violation des obligations internationales de la Suisse.

Selon l’Art. 66a bis CPS, les délinquants étrangers peuvent être expulsés pour des infractions moins graves, ou s’ils ont commis plusieurs délits mineurs. Le juge peut décider de l’expulsion en tenant compte de toutes les circonstances, telles que la gravité de l’infraction et l’intégration de l’individu en Suisse.