Infoprisons

A quoi sert la prison ?

Quelques éléments de réflexion pour lancer le débat

Dans les pages qui suivent plusieurs thèmes en lien avec la prison, la justice et le système pénal sont abordés, la plupart du temps à travers les archives du bulletin Infoprisons. On s’interrogera sur la dimension sociale de la justice, et de la criminalité,  sur l’exigence sécuritaire du monde politique et de l’opinion publique, sur les alternatives à la prison et bien sûr sur la prévention de la récidive et sur la resocialisation.

Une justice à deux vitesses?

Le film de Pierre-François Sauter est une illustration de la délinquance ordinaire, bien loin des grands crimes qui indignent l’opinion publique. Le juge, dans son bureau sans décorum, est confronté à une réalité sociale complexe qui dépasse  les faits qu’il est appelé à juger.  Comment perçoit-il la personne qui lui fait face? De quels instruments dispose-t-il pour décoder les comportements d’autrui?

« Comment juger à hauteur d’homme? » se demande un ancien magistrat français, Serge Portelli, dans un livre: Qui suis-je pour juger l’autre? Il existe plusieurs types de magistrats. Du haut de leur estrade, certains se moquent cruellement des pauvres hères qui défilent devant leur tribunal. Certains jargonnent d’un air blasé, et enchaînent les dossiers. D’autres assènent aux prévenus des leçons de morale et condamnent à tour de bras, avec le sentiment du devoir accompli. Il en est d’autres encore, qui sont à l’écoute, doutent, réfléchissent, se méfient des a priori, prennent le temps d’expliquer leurs décisions dans un langage accessible, et croient encore aux dimensions réparatrices et humanistes de la justice.

Comment juger à hauteur d’homme Michel Délan, Médiapart, 05.09.2019

Plusieurs paramètres entrent en compte dans la relation qui se joue entre l’appareil judiciaire et les justiciables. Les prévenus n’ont pas tous les mêmes armes pour se défendre et certains juges sont très éloignés des populations qu’ils sanctionnent. Une étude de l’Observatoire français des inégalités en arrive à la conclusion que la justice n’est pas équitable et que les auteurs de délits financiers bénéficient d’une relative immunité. Les auteurs de délits économiques utilisent souvent l’instrument de l’article 53 du code pénal pour éviter un procès.

article 53:  « Lorsque l’auteur a réparé le dommage ou accompli tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu’il a causé, l’autorité compétente renonce à le poursuivre, à le renvoyer devant le juge ou à lui infliger une peine ». C’est une ébauche de justice restaurative qu’il faut saluer. Cependant, les auteurs de délits voire de crimes économiques ou financiers utilisent cet article pour échapper à une condamnation et versent des sommes importantes dont ne bénéficient pas les lésés.

Dossier: injustice de la justice Anne-Catherine Menétrey-Savary, Bulletin 24, Novembre 2018

La prison, c’est pour les pauvres

On entend souvent dire que nos prisons sont remplies d’étrangers, de marginaux et de pauvres. C’est juste, mais cela ne doit amener à conclure que ces populations sont plus criminelles que les autres.

Il serait faux de conclure que la pauvreté, en soi, mène à la criminalité. Il existe en effet des pays extrêmement pauvres qui ne connaissent pourtant pas une criminalité anormalement élevée. Par contre, « le fait d’être pauvre dans une société riche est propice à engendrer de la criminalité ».

Ainsi, vols, trafics et violences sont souvent ce qui amène les jeunes des quartiers populaires derrière les barreaux. Une tentative désespérée de « compenser » les inégalités sociales et économiques  et qui « expliquerait pourquoi les personnes issues des classes sociales défavorisées sont surreprésentées dans le domaine de la criminalité ». 

Il faut toujours lier les questions de délinquance avec les conditions antérieures de socialisation familiale et scolaire: rupture des liens sociaux, abandon de l’école, mauvais traitement, forgent bien souvent le quotidien des individus qui finissent par se retrouver en prison. La mise en évidence de ces facteurs de risque permet ainsi de mieux comprendre pourquoi la prison « est par excellence la peine du pauvre » et « ces caractéristiques de la population carcérale devraient toujours rester en mémoire, car cette combinaison de carences [sociales, professionnelles, culturelles, relationnelles] rend très problématique toute mission de réparation ».

Stigmatisation et exclusion, la prison est la peine du pauvre Lauriane Constanty, Bulletin 18, Octobre, 2016

L’opinion publique et l’intolérance au risque

L’évolution du droit pénal s’explique en partie par les pressions de l’opinion publique en raison de son exigence de sécurité et de sa hantise du risque.

Tout a changé après le meurtre du Zollikerberg, où un meurtrier récidiviste en congé avait assassiné une jeune cheffe scout.  Depuis cet acte horrible, l’exécution des peines a complètement changé en Suisse. Une armée de psychiatres forensiques se consacrent aux thérapies et font des pronostics dont les juges et les autorités judiciaires ne s’écartent que rarement. Les délinquants sexuels et violents, considérés comme dangereux, n’ont pratiquement plus aucune chance d’être libérés. La psychiatrisation du droit pénal et de l’exécution des peines, la volonté du risque zéro et l’accent mis sur la prévention ont commencé avec ce crime.

Pour une approche humaniste des détenus Neue Zürcher Zeitung, 22.10.12

L’introduction dans le code pénal de l’internement à vie, faut-il le rappeler, est le résultat d’une initiative populaire lancée à la suite du meurtre du Zollikerberg et acceptée par le peuple suisse. En Suisse romande, des crimes terribles, constamment rappelés par les prénoms des victimes, Lucie, Marie, Adeline, et l’émotion populaire considérable qu’ils ont causé, sont responsables de pratiques restrictives imposées aux établissements pénitentiaires.

La hantise secrète de tous les responsables d’établissements pénitentiaires: être confrontés un jour au pépin pour lequel rien ne leur sera pardonné: ni l’erreur d’appréciation, bien sûr, ni même le coup de malchance contre lequel ils savent que rien ne peut les prémunir entièrement, pas même cette recette de café du Commerce souvent entendue: Tous les enfermer et jeter la clé dans le lac! 

Vue de l’intérieur des prisons, la demande croissante de sécurité a un effet paradoxal: elle désécurise. Parce qu’elle conduit à garder enfermés à grands frais des individus qui seraient sans doute mieux dehors. Et surtout parce qu’elle place les surveillants et leur hiérarchie devant des demandes toujours plus contradictoires, avec des moyens qui n’augmentent pas et dans un climat de suspicion étouffant.

Les réactions émotionnelles et les accusations Anne-Catherine Menétrey-Savary, Bulletin 9, Juin 2013

Les criminels qui commettent des infractions graves, les assassins, les violeurs, les bandits de grand chemin, les trafiquants de drogues, les pervers récidivistes, sont dans leur écrasante majorité des irrécupérables. Il faut les châtier par élimination, non point physique – la peine de mort est éthiquement critiquable et judiciairement périlleuse, car la justice se trompe parfois – mais sociale (…) par l’enfermement strict, sans merci ni espoir de libération. Et si d’aventure un sur mille s’amendait, peu importerait qu’il pourrît en prison comme les autres. [Propos d’un avocat]

Les réactions émotionnelles et les accusations Anne-Catherine Menétrey-Savary, Bulletin 9, Juin 2016  

Pour l’exécution des peines, la difficulté est de concilier deux objectifs contradictoire : la sécurité de la population et la réinsertion du condamné. Le seul moyen d’offrir à ce dernier une chance de resocialisation est « de responsabiliser les détenus – c’est-à-dire de prendre le risque de leur laisser une part toujours plus importante de liberté ».

Le second obstacle est justement l’intolérance croissante au risque de la population dont l’effet s’exerce toujours dans le même sens: on reprochera à l’administration pénitentiaire le congé au cours duquel un détenu a récidivé, jamais le refus d’une libération conditionnelle qui lui aurait peut-être permis de rester dans le droit chemin une fois sa peine terminée. On identifie tout de suite et de façon cuisante, le cas où un pronostic a été trop optimiste. En revanche, il est par définition impossible de vérifier si le pronostic pessimiste qui a conduit à refuser un élargissement était justifié. En outre, (…) ce type d’évaluation a tendanciellement pour effet de réduire l’individu évalué à une seule dimension – celle de sa dangerosité – et donc de la renforcer.

Prison : La hantise sécuritaire Le Temps, 23.11.2010 

Tous les enfermer et jeter la clé?

Introduit dans le code pénal en 2007, l’internement dit « ordinaire » (art. 64 al. 1 CP par opposition à l’internement à vie (art. 64 al. 1bis CP) permet de maintenir en détention pour une durée indéterminée un condamné qui a purgé sa peine de prison si elle-il a commis un crime grave et qu’elle-il est considéré comme dangereux. Cette disposition a pour effet de prolonger indéfiniment la détention et de compromettre la réinsertion.

Auteur d’un rapport concernant la courte fugue, au cours d’un congé, d’un détenu enfermé depuis 27 ans et jugé dangereux, l’ancien juge fédéral Claude Rouiller estime qu’une mesure d’internement «peut conduire en pratique, par suite d’une sorte de lassitude confortable, à l’internement perpétuel de personnes qui ne tombent pas sous le coup de l’article 64 bis (internement à vie)». Le risque, selon lui, est qu’ils soient «livrés au monde de l’appréciation administrative et de l’expertise. (…) «celui qui tombe une fois sous le coup de l’article 64 CP (…) risque bien d’être relégué à perpétuité, alors que le but de la mesure d’internement n’est pas de transformer en fous furieux des gens marginaux ou peu équilibrés». 

 La fugue de Jean-Louis B., suite Anne-Catherine Menétrey-Savary Bulletin 4, Janvier, 2012

Une autre mesure du code introduite en 2007, malgré ses bonnes intentions,  peut hélas elle aussi contribuer à prolonger les séjours en prison: c’est  l’article 59, qui prévoit que le juge peut prononcer une peine sous forme d’obligation de suivre une thérapie lorsqu’un trouble psychique est la cause de l’infraction. Autre difficulté : la durée de la mesure, qui devrait en principe se limiter à cinq ans, mais qui peut être prolongée de cinq ans en cinq ans, d’où le surnom de «petit internement» qui lui est attribué.

Selon une recherche de l’Université de Berne et les observations de la Commission nationale pour la prévention de la torture (CNPT), « les praticiens interrogés jugent en particulier problématique (…) le fait que de nombreux détenus restent plus longtemps en milieu fermé que cela ne s’avérerait nécessaire d’un point de vue thérapeutique ». Les professionnels « s’inquiètent de l’insuffisance des places en institutions spécialisées pour l’exécution des mesures thérapeutiques. (…) et des placements inadéquats constatés, qui se traduisent souvent par une interruption anticipée de la mesures ou par sa prolongation perpétuelle ». « Mentionnons aussi que les libérations d’une peine privative de liberté sont beaucoup plus fréquentes que celles concernant des détenus sous mesures thérapeutiques. Cette différence s’explique probablement par le fait que la libération d’une mesure exige un pronostic favorable, alors que pour une peine, l’absence d’un pronostic défavorable suffit ». 

Deux enquêtes jugent sévèrement les mesures thérapeutiques Anne-Catherine Menétrey Savary, Bulletin 21, Novembre, 2017 

Les difficultés d’application des mesures thérapeutiques n’empêchent toutefois pas les soins et les traitements psychiatriques de se révéler parfois efficaces et utiles. Des thérapeutes en témoignent:

Si la personne refuse le traitement, il y a peu de chances d’aboutir à des résultats. Mais il est rare que des délinquants sexuels s’opposent complètement à une prise en charge. (…) La plupart de ces patients souhaitent changer. Ils ont honte de ce qu’ils ont fait et ressentent de la culpabilité. Les délits sexuels sont particulièrement difficiles à assumer. Une thérapie effectuée par un spécialiste formé avec un patient motivé a de grandes chances de fonctionner.

Perspectives psychiatriques Anne-Catherine Menétrey-Savary, Bulletin 9, Juin 2016 

Un homme condamné pour un vol dans une banque, âgé aujourd’hui de 56 ans, est enfermé depuis 31 ans car il a toujours refusé de se soumettre à une thérapie, « considérant qu’il n’était pas malade et avait agi par besoin d’argent ».

Un jeune homme condamné à 11 mois de prison pour avoir frappé un aubergiste avec un cendrier a été incarcéré à Thorberg puis à Lenzburg depuis maintenant six ans sans avoir jamais reçu la moindre thérapie.

Anne-Catherine Menétrey-Savary