Infoprisons

Quelques regards sur les dix dernières années…

Plus de coopération, moins de récidives

Patrick Cotti

Directeur du Centre suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales

La demande de décrire les dix dernières années du domaine de l’exécution des sanctions pénales en Suisse présente l’avantage de s’extraire du quotidien avec ces diverses exigences pour une meilleure protection de la société et pour un traitement optimal des délits.

Rétrospectivement, le rapport relatif au postulat Amherd publié en 2014 qui demandait un examen approfondi du contrôle de l’exécution des peines et des mesures en Suisse, constituait un point de repère majeur de cette analyse. Il soulignait la complexité accrue du travail d’exécution des sanctions pénales notamment:

  • Des taux plus élevés de personnes détenues avec des prisons surpeuplées en Suisse romande
  • Des privations de liberté prolongées et une proportion élevée de détenus étrangers
  • Des exigences accrues relatives à l’évaluation des risques de récidive
  • Des demandes de sécurité plus élevées adressées au travail de l’exécution des sanctions pénales
  • Une sensibilité renforcée du public, des médias et de la politique.

Il est clair que le mode de fonctionnement cantonal du système de l’exécution des sanctions pénales est devenu insuffisant et qu’il est nécessaire de développer des interdisciplinarités au-delà des cantons. La nécessité d’une coopération supra-cantonale est évidente en ce qui concerne la planification et la différenciation des institutions pénitentiaires, les besoins en matière de sécurité, l’attention renforcée portée aux risques et aux délits, les flux d’informations à l’intérieur du système des sanctions pénales dans son ensemble – y compris les systèmes de soins, des pronostics – ainsi que la qualification professionnelle des différents corps de métier de ce système.

Précédant le rapport Amherd, le projet pilote d’exécution des sanctions pénales orientée vers les risques ROS (2010-2014) a essaimé en Suisse romande avec « PLESORR »: le processus latin d’exécution des sanctions orientée vers le risque et les ressources. Cette gestion au cas par cas uniforme a amené à un renforcement évident de la professionnalisation, à l’intégration des services d’exécution des sanctions et de probation (en Suisse alémanique), à une interdisciplinarité redéfinie, au développement d’un langage et d’une méthodologie communes, à une orientation vers des méthodes basées sur les preuves (pronostic) et un case management des personnes confiées. La réintégration nécessite une coopération au sein de la chaîne pénale et même au-delà. Et c’est précisément ce qui permet d’élargir le regard sur l’ensemble du système, sur la société: il ne s’agit plus de traitements individuels mais – comme l’exemple de la psychiatrie l’a démontré – d’un environnement constitué de contacts et de soutiens qui doit être réfléchi et intégré.

La création du Centre suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales (CSCSP) résulte de l’exigence d’un pilotage coordonné en vue du développement commun de la qualité au plan national de l’exécution des sanctions pénales. Il reçoit son mandat de prestations de la part des cantons, responsables de l’exécution des sanctions pénales et est co-financé par la Confédération pour ce qui concerne la formation du personnel pénitentiaire. Avec la création d’un nouveau secrétariat général de la conférence des chefs des services pénitentiaires cantonaux (CCSPC), le CSCSP a trouvé un partenaire qui contribue à faire avancer la coordination nationale dans un système marqué par le fédéralisme. Le CSCSP a professionnalisé la formation du personnel et des cadres des établissements pénitentiaires, les cursus de formation sont axés sur les compétences et la gestion des examens a été externalisée. Les formes d’enseignement continuent à être modernisées y compris pour les personnes détenues (la Fep fait partie du CSCSP depuis 2020).

Il existe trois axes centraux de développement en matière d’exécution des sanctions pénales qui vont prendre une importance croissante:

  • Le passage attendu à l’ère numérique (au niveau du système, du personnel, de la clientèle);
  • Le focus sur l’orientation vers les délits est élargi:

a) au renforcement des ressources personnelles des personnes détenues et à un nouvel accès vers l’intégration de l’environnement personnel dès le placement en détention provisoire avec, entre autres, le travail avec les proches et,

b) à une recherche plus ouverte de modèles alternatifs de prévention de la récidive comme par exemple la justice restaurative et la désistance avec un renforcement des services de probation et l’implication d’organismes de soutien comme les offices de placement, les autorités de protection de l’enfant et de l’adulte et des services sociaux.

Pour terminer, nous voudrions évoquer avec une certaine fierté que les taux de récidive durant les dix dernières années en Suisse ont clairement diminué.

(Gonçalves et al. 2021)

Avec le CSCSP, le système de l’exécution des sanctions pénales suisse est au début d’un tournant culturel en ce qui concerne la transparence des indicateurs relatifs au système d’exécution des sanctions pénales. Celui-ci accompagne la digitalisation en cours, développée à différents niveaux du système. Dans un avenir proche, nous disposerons de données sur le plan national pour un pilotage basé sur des chiffres-clé qui, non seulement refléteront mieux l’ensemble du système d’exécution des sanctions pénales mais offriront également davantage d’options d’actions aux responsables.

Dix années passées dans la médecine pénitentiaire

Bidisha Chatterjee

Médecin, Ex présidente du collège interdisciplinaire « Santé Prison Suisse »

Le terme même de médecine pénitentiaire fait débat: pourquoi spécifier dès lors que la médecine pratiquée en prison, selon le principe d’équivalence, ne devrait pas être différente de celle exercée extra muros?

Dans mon mémoire en 2010, je relevais le fait que le monde pénitentiaire commençait à prendre en compte les problèmes médicaux. Les autorités responsables voulaient alors améliorer les standards et se rendaient compte qu’on avait besoin de personnel médical spécialisé pour répondre aux besoins de patients de plus en plus malades et nécessitant des traitements lourds et compliqués.

En 2010, la commission nationale pour la prévention de la torture était créée. En même temps un poste de médecin affilié à l’exécution des peines voyait le jour dans le canton de Berne.

En 2013, un collège interdisciplinaire, soutenu par les autorités d’exécution des peines, l’OFSP, l’OFJ et les autorités sanitaires cantonales a été institué. On a alors surfé sur la vague en connectant des institutions supra cantonales au-delà de la barrière des langues et sondé les besoins dans les prisons. Il y avait des énergies de tous les côtés pour améliorer la médecine pénitentiaire. Aujourd’hui on sait que les efforts d’harmonisation en Suisse sont la quadrature du cercle. Durant les quatre années d’existence du collège, le soufflé est retombé alors qu’on avait trouvé des solutions aux problèmes qui se posaient en 2010.

Je n’ai pas cessé de travailler en tant que médecin dans les prisons et j’observe qu’aujourd’hui on privilégie les questions sécuritaires au détriment de la santé. La société civile réclame la sécurité, les possibilités de sortie des détenus s’amenuisent, nous avons une population de prisonniers incarcérés à vie et la question de la mort en prison est maintenant discutée.

Les coûts sont de plus en plus importants: les services sociaux sont contraints de réduire leurs dépenses et exercent un contrôle plus strict sur le bien-fondé d’un traitement médical. La situation s’est largement péjorée: seuls les traitements d’urgence sont payés. Il est à craindre que les services médicaux ne s’occupent plus de prévention, ne soignent plus sans urgence mais attendent que l’état du détenu soit tellement détérioré qu’on a besoin de l’ambulance. Les prisonniers doivent participer aux coûts médicaux ce qui veut dire souvent qu’ils renoncent à se faire soigner.

Le monde hospitalier, en général, prend en charge les patients en mode ambulatoire et rechigne à les hospitaliser et c’est aussi le cas des détenus. Les traitements doivent se faire par le service médical pénitentiaire s’il y en a (un tiers des institutions carcérales suisses n’ont pas de service médical sur site!) et souvent avec les transferts fréquents les traitements sont interrompus ou restent inadéquats. Le manque de personnel (médecins, psychiatres et soignants) ne s’arrête pas aux portes de la prison. 

Pour résumer: il y a 10 ans on était dans une vraie dynamique dans laquelle tous les partenaires s’étaient engagés pour améliorer la santé des détenus. Il y a cinq ans elle s’est essoufflée, la santé carcérale n’étant plus un sujet sensible mais fait face à toutes les difficultés de la médecine existante hors des prisons, à savoir des problèmes de coûts et de manque de personnel.

Mais en guise de perspective pour le futur tout peut s’inverser –panta rhei-et les problèmes médicaux en prison peuvent revenir sur le devant de la scène.

Punir avec retenue 

Daniel Fink

Ancien chef de section Criminalité et Droit Pénal à l’Office fédéral de la statistique

Membre associé Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique

Trente ans après tous les pays environnants, la Suisse a introduit la peine pécuniaire comme nouvelle forme de sanction en 2007. Elle devait permettre de réduire le recours à la peine privative de liberté comme sanction principale. De cette manière, un système de sanctions obsolètes a été modernisé et adapté à l’état de développement socio-économique de la société. Dès 2008, cette modernisation a été questionnée par des milieux conservateurs qui souhaitaient maintenir les courtes peines privatives de liberté. Ces idées furent reprises dans une nouvelle proposition de révision du code pénal, une réforme rétrograde, qui n’a cependant pas été suivie par le Parlement qui a maintenu la priorité de la peine pécuniaire sur la peine privative de liberté, un événement majeur de ces dix dernières années. Cependant, une « petite » révision adoptée en 2015 est entrée en vigueur en 2018, avec peu d’impact sur le prononcé des sanctions.

En 2006, avant la modification du système de sanctions, trois sanctions prononcées sur quatre sont des peines privatives de liberté, le reste étant des amendes. Les peines privatives de liberté se répartissent entre trois quarts de sanctions avec sursis et un quart sans sursis. 

Depuis 2007, plus de 100’000 personnes ont en moyenne été condamnées annuellement. A partir de 2011, il s’agit dans 9 cas sur 10 d’une ordonnance pénale, c’est-à-dire d’un simple envoi postal d’une proposition de sanction à la personne condamnée (qui entre en force si elle n’est pas contestée). Il s’agit en général d’une peine pécuniaire, dans quatre cas sur cinq assortie du sursis. 

Quant à la peine privative de liberté avec sursis, elle représente depuis la mise en vigueur de la réforme en 2018 une part de six pour cent de toutes les sanctions et celle sans sursis de huit pour cent, la durée de ces dernières étant dans 70% des cas de 6 mois ou moins. Le nombre des longues peines est stable depuis 12 ans – étant donné que la population a augmenté de 13% au cours de cette période, cela signifie une diminution de la criminalité grave. Autre phénomène d’importance, l’introduction de la peine pécuniaire a   contribué à faire baisser le taux de récidive.

La Suisse, comme la plupart des pays d’Europe, est passée d’un régime disciplinaire à un régime pouvant être qualifié d’auto-disciplinaire. Cela se voit dans la fréquence des peines pécuniaires, dans l’utilisation des travaux d’intérêt général et des bracelets électroniques, dans l’usage de la semi-détention et de l’externat de travail, dans le suivi probatoire et les traitements ambulatoires. Les murs ont partiellement cédé la place aux règles à suivre, la contrainte extérieure à celle vécue de l’intérieur. 

Ces constats confirment les progrès encore à faire : réduire le nombre des courtes peines, aménager davantage les longues peines, combattre les effets nocifs de la privation de liberté, améliorer le soutien aux personnes libérées. La politique pénale rationnelle montre la voie à suivre : souci de l’Etat de droit, respect de la dignité humaine, traitement civilisé des auteurs d’infractions, soit punir avec retenue.

Regard sur les dix dernières années en matière de droits humains

Jean-Pierre Restellini

Médecin et juriste, membre du Comité européen de prévention contre la torture, ancien président de la Commission nationale de prévention contre la torture

La décennie écoulée s’est avérée riche en événements concernant la problématique globale des droits des détenus. À chaque fois, la plate-forme d’échanges d’ »Infoprisons » les a relayés avec acuité et pertinence. Mais il est difficile d’en faire une liste exhaustive, encore moins une classification impartiale par ordre d’importance. Pour ma part, et à très titre personnel, j’ai fait le choix d’évoquer plus particulièrement deux événements dans lesquels j’ai été impliqué.

Tout d’abord, la montée en puissance de la Commission Nationale de Prévention de la Torture (CNPT), que j’ai eu l’honneur de présider pendant ses six premières années d’existence. Il faut rappeler en quelques mots que cet organisme trouve son origine dans la ratification par la Suisse du Protocole facultatif des Nations Unies contre la torture, en septembre 2009. Ce dernier prévoyait à la fois la création du Sous-Comité pour la prévention de la torture chargé des visites des lieux de privation de liberté au niveau mondial et parallèlement, l’obligation pour les Etats Parties de créer un mécanisme national de prévention, le MNP. Ce dernier, la CNPT pour la Suisse, va commencer ses travaux le 1.1.2010, pour arriver progressivement à sa vitesse de croisière de vingt à trente visites d’établissements par an. De plus, depuis novembre 2010, la CNPT a également accepté la délicate et toujours douloureuse mission d’observation des vols de rapatriements sous contrainte, dit de degré 4.

A l’époque déjà depuis plus de 20 ans, je fonctionnais comme expert, puis membre du Comité pour la Prévention contre la Torture (CPT), rattaché au Conseil de l’Europe. J’ai donc eu le privilège de pouvoir comparer sur le terrain l’efficacité, et l’efficience, de ces deux mécanismes. En faveur du CPT, son prestige et sa longue expérience du terrain international, malgré des moyens relativement limités. Mais la périodicité de ses visites reste, faute de moyens, très modeste, en principe tous les quatre ans. Alors que les MNP, notre CNPT en Suisse, sont eux en permanence sur le terrain. Ce qui leur permet d’intervenir au besoin le jour même si la situation l’exige. En revanche, le risque pour les MNP, contrairement aux mécanismes internationaux, peut se présenter sous la forme d’une indépendance toute relative par rapport aux autorités nationales, qui faut-il le rappeler, détiennent par définition les cordons de la bourse du mécanisme … national, d’où la possibilité très concrète de limiter au maximum leurs travaux.

Plus grave, j’ai pu assister ici et là en Europe à une sorte de dérive à coloration nationaliste un peu inquiétante: « Dorénavant, puisque nous avons Notre commission nationale, plus besoin également de nous embarrasser des recommandations d’organismes internationaux ». En Suisse, certains membres de gouvernements cantonaux sont allés jusqu’à espérer « que vos amis du Conseil de l’Europe, Monsieur Restellini, ne viendront plus nous ennuyer » (sic !)

Le second évènement que j’entends brièvement évoquer et qui m’a passablement préoccupé et mobilisé au cours des dix dernières années, est en relation directe avec l’adoption en 2004 de l’article 123a de la Constitution fédérale, qui devait permettre en théorie un internement à vie, sans aucune possibilité de libération.  La possibilité de décréter qu’un détenu présente un « caractère non amendable » de dangerosité pour le reste de sa vie, a fortiori s’il est jeune, m’a toujours profondément choqué. Heureusement, l’internement à vie de l’art. 64 al.1 bis n’a été prononcé de manière définitive … qu’une seule fois depuis l’entrée en vigueur de cette disposition en 2004! 

Comment expliquer cette heureuse issue? Et bien par une sorte d’alliance peu commune entre tout d’abord les tribunaux pénaux qui étaient bien conscients que cette initiative à l’origine de cet article 123 a de la Constitution fédérale était à mettre plutôt sur une réaction très émotionnelle de la part du peuple suisse. Et puis, d’un autre côté, par la réaction quasi immédiate de l’immense majorité des psychiatres, suisses ou étrangers mandatés comme experts, qui sont rapidement arrivés à la conclusion qu’il était absolument impossible de conclure à un moment X, au caractère non amendable à vie d’une personne, qu’elle que soit la gravité de l’infraction commise!

Mais est-ce vraiment la fin de l’histoire? On peut malheureusement craindre que … non. Restons donc vigilants.

La détention provisoire toujours au deuxième plan

Andreas Werren

Juriste, ex-directeur de l’office pénitentiaire du canton de Zurich

La question de la détention provisoire est restée longtemps sous les radars de la Confédération et des concordats. Les organisation de défense des droits humains, en particulier Human Rights et la Commission nationale de prévention de la torture, ont périodiquement fait état des conditions plus rigoureuses en détention avant jugement qu’en exécution des peines: enfermement en cellule 23h/24, contacts avec la famille et proches très restreints, accès au téléphone limité etc.

Le canton de Lucerne a commencé à innover dans ce domaine en proposant un programme par étapes qui favorise les liens et permet un gain d’argent pour pourvoir aux besoins personnels des détenus. Mais ces types d’initiatives restent toujours précaires faute de soutien financier.

A cet égard, une meilleure coordination et coordination supra cantonale serait la bienvenue. La détention provisoire est à la charge des cantons et ne dépend pas des concordats.

Karen Klaue