Infoprisons

Les prisons et la justice dans le monde

Présentation des films et des intervenants

Les films

La manifestation organisée pour les 10 ans d’Infoprisons s’ouvre sur deux films et un livre, qui tous les trois présentent des témoignages forts sur des situations particulières de répression politique et de chasse aux terroristes: dans les prisons israéliennes où étaient enfermés des Palestiniens, dans celle de Coronda sous la dictature des années 70 en Argentine, ou dans les lieux de détention secrets en Europe ou ailleurs, où la CIA enfermait les « ennemis combattants » après le 11 septembre 2001.

Ghost Hunting est un long métrage documentaire du réalisateur palestinien Raed Andoni, tourné en 2017.

Pour affronter les fantômes qui le hantent, le réalisateur rassemble un groupe d’ex-prisonniers dans l’idée de faire revivre Al-Moscobiya, principal centre d’interrogatoire d’Israël, où il a été emprisonné à l’âge de 18 ans. Au départ d’une mémoire fragmentée, jour après jour, ces « acteurs » recréent ce lieu terrible dont ils ont fait autrefois l’expérience en reconstituant ainsi son histoire. Au fur et à mesure que les parois des cellules s’élèvent et que la reconstitution s’élabore, les langues se délient et les émotions se relâchent.

Un cri pour la justice : ce film documentaire réalisé en 2019 par  Fulvio Bernasconi est consacré à l’enquête de Dick Marty, pour le Conseil de l’Europe, sur les prisons secrètes de la CIA. Après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont signé des accords secrets avec plusieurs États européens qui acceptèrent l’enlèvement et la torture d’islamistes présumés. Lorsque le Washington Post révèle l’affaire en 2005, le Conseil de l’Europe mandate le Suisse Dick Marty pour mener l’enquête. Avec des moyens dérisoires, mais armé d’une redoutable ténacité, Dick Marty défie l’Amérique, l’Europe et la Suisse. Fulvio Bernasconi signe une enquête haletante et le portrait d’un homme hors du commun.

Les intervenants

Sergio Ferrari

Ni fous ni morts. Ecrit par le Collectif El Periscopio et publié en français aux Editions de l’Aire en 2020, ce livre relate l’expérience et les réflexions des anciens prisonniers politiques de la dictature des années 70 en Argentine. « Si vous sortez d’ici, ce sera fous ou morts » lançaient les dirigeants de la prison de Coronda aux nouveaux arrivants, annonçant ainsi leur détermination à briser toute résistance. Mais ces témoignages montrent de façon magistrale, comment ce plan a échoué grâce à la solidarité entre les prisonniers. En se lançant dans ce projet de livre, le collectif visait deux objectifs: lutter contre l’immunité des tortionnaires, ce qui a réussi car ils ont été condamnés, et mettre en garde: « la barbarie peut ressurgir en tout temps ». Sergio Ferrari est l’un des auteurs, membre du collectif des anciens détenus et ancien détenu lui-même. Historien, journaliste, Sergio Ferrari est correspondant pour plusieurs journaux sud-américains. Il vit en Suisse, la dictature l’ayant relâché à condition qu’il quitte l’Argentine pour toujours. Il est cependant resté un militant altermondialiste engagé dans divers mouvements sociaux, en Suisse et en Amérique latine.

Dans ce contexte mondial inquiétant, un travail de mémoire constant de la part des acteurs sociaux et le partage des expériences de résistance sont nécessaires, face à l’impudence et à la poigne de fer qui resurgit dangereusement, tirant profit de l’amnésie des peuples. L’assassinat de nombreux défenseurs des droits humains en Colombie, le discours négationniste et militariste de Jair Bolsonaro ai Brésil, la mort quotidienne de migrantes et de migrants tentant d’atteindre l’Amérique du Nord ou l’Europe, enrichies aux dépens des pays du sud, ne sont pas différents, abstraction faite des méthodes et des circonstances, de la répression quotidienne que nous subissions à Coronda dans les années soixante-dix. Forts de notre résistance collective à Coronda et de notre mémoire, nous disons Jamais plus, en Argentine comme dans le monde entier.

Ni fous, ni morts Introduction de l’édition 2020, extrait

Alerte sur les droits humains

Table ronde

Sylvie Arsever, journaliste, membre d’Infoprisons, animera le débat qui suivra la présentation  des films et du livre, auquel participeront, avec les auteurs et réalisateurs, quatre personnalités de premier plan, présentées ci-dessous à travers  quelques extraits de leurs écrits, tirés des archives du bulletin Infoprisons.

Carlo Sommaruga

Pour des raisons indépendantes de sa volonté, Dick Marty ne pourra vraisemblablement pas nous rejoindre à Lausanne pour participer au débat qui fera suite au documentaire qui lui est consacré.  Pour le remplacer, Infoprisons a fait appel au Conseiller aux Etats genevois Carlo Sommaruga, qui n’a pas encore confirmé sa participation.

Avocat, conseiller national de 2003 à 2019, conseiller aux Etats depuis 2019, Carlo Sommaruga est membre, notamment, de la Commission de politique extérieure, de celle des affaires juridiques. Très engagé dans la lutte pour la démocratie et les droits de l’homme, il est intervenu à Berne pour que la Suisse accorde l’asile à ceux qui dénoncent les violations de l’État de droit, comme Edward Snowden ou Julian Assange. En 2021 il a déposé une initiative parlementaire pour que le Conseil fédéral ne puisse pas conclure des accords d’entraide policière, au nom de la lutte contre le terrorisme, sans l’accord du Parlement.

Au vu de ses obligations internationales et constitutionnelles de promotion et de défense des droits humains, il n’est pas acceptable que la Suisse laisse le Conseil fédéral ou fedpol conclure des accords de collaboration policières ou des conventions d’ordre opérationnelles avec des pays violant gravement les droits humains.

Pas d’accords de collaboration policière avec des pays qui violent les droits humains Carlo Sommaruga, Motion, 16.06.2021 

Ruth Dreifuss 

Avant d’être conseillère fédérale et présidente de la Confédération, Ruth Dreifuss fut journaliste et syndicaliste. De 2010 à 2020, elle fut présidente de la Global Commission on Drug Policy, un panel de spécialistes et d’ancien-nes chef-fes d’Etat prônant une meilleure politique en matière de drogues à l’échelle mondiale.

Depuis la fin des années 1980, la population carcérale mondiale explose. Les campagnes électorales se font à coups de slogans: tolérance zéro, guerre à la drogue, guerre au terrorisme, banlieues dangereuses… Non seulement les politiques ultra-répressives sont inefficaces, mais elles érodent les droits fondamentaux de tous et particulièrement  ceux des individus en détention. (…)

Ces trente dernières années nous apprennent que la privation de liberté touche les populations les plus vulnérables et que la petite criminalité, non violente, y conduit également. La faillite des politiques répressives est particulièrement flagrante dans le domaine de la répression de la consommation de drogues:  l’arrestation du consommateur ne permet  que très rarement de remonter la filière de ses fournisseurs. (…)

Peut-on continuer à feindre d’ignorer que les «barons» de la drogue échappent à la punition et que ce sont  les prolétaires du marché illégal qui paient le prix  fort de la prohibition et de la répression? (…)

La société a droit à ce que des politiques publiques au nom desquelles l’Etat prive des personnes de leur liberté soient cohérentes, justes et efficaces, respectueuses des droits fondamentaux et basées sur des données scientifiquement avérées crédibles, plutôt que sur des mythes, stéréotypes et préjudices qui  masquent la réalité et entretiennent les discriminations. 

Drogue et prisons, la faillite d’une politique Ruth Dreifuss et Louise Arbour, Le Temps, 3.09.2019

Jean-Pierre Restellini

A la fois médecin et juriste, Jean-Pierre Restellini  fut responsable de la médecine pénitentiaire à Genève et juge assesseur au Tribunal des mineurs. Il fut ensuite président de la Commission nationale pour la prévention de la torture. Il vient de publier un livre consacré aux nombreuses missions auxquelles il a participé depuis plus de trente ans: Carnets de route d’un médecin inspecteur des prisons européennes (Editions Baudelaire).

Bernard Bolze

Après avoir fondé l’Observatoire international des prisons, Bernard Bolze a co-fondé Prison Insider. Il fut aussi membre de l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour la République française.

L’utopie d’un monde avec moins de prisons

Prison Insider, un site d’information sur les prisons du monde entier.

Nous ne voulons pas développer une machine idéologique. Nous dénoncerons les aspects contraires aux normes internationales, mais nous valoriserons les bons côtés. Mais il est vrai que je suis un militant, je défends depuis longtemps l’utopie d’un monde avec moins de prisons. (…)

Comparer les conditions de détention à l’échelle mondiale, c’est révéler les immenses disparités existantes pouvant varier du tout au tout, en négatif comme en positif. Là où l’enfermement brutal détruit, d’autres processus réparent, là où certaines pratiques abîment, d’autres favorisent l’abandon des actes de délinquance. (…) L’important, dans la mise à disposition de cette base de données, est  d’échanger, de parler, de briser l’opacité des murs et des souffrances qu’ils contiennent. Dans une grande économie de moyens, Prison Insider invite à un immense effort collectif. C’est ensemble qu’il convient de faire évoluer le regard que nos sociétés portent sur l’enfermement. Contre la violence des inégalités, de l’injustice et de la vengeance, faisons la promotion du droit et de la dignité.

Marie Bonnard « Prison Insider, un site partisan d’information sur les prisons du monde entier » Juillet, 2016