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Répression politique, répression pénale: Etat de droit et droits humains en péril ?

Quelques éléments de réflexion pour lancer le débat

Dans les pages qui suivent, on trouvera différentes prises de position à partir d’extraits de textes publiés dans nos bulletins. Ils concernent les enjeux en matière de droits humains inhérents à la politique de répression en Suisse, notamment contre le terrorisme, ainsi que la dimension politique de la justice et du système pénal.

Enfermement, violences, torture : pas de ça chez nous?

Les détentions arbitraires, mauvais traitements,  violences et  tortures sont si insoutenables, qu’on les croit impossibles dans nos démocraties civilisées. Mais la politique adoptée par les Etats-Unis de G.W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001 fut d’une ampleur inégalée. Elle présente de plus la particularité d’être une répression ex-territorialisée à travers l’Europe ou ailleurs, à Cuba pour ce qui concerne le sinistre camp de Guantanamo. Les prisonniers de la dictature argentine avaient face à eux un pouvoir identifiable qui avait un visage. Ce ne fut pas le cas des «terroristes» qui furent trimballés par les avions de la CIA vers des prisons secrètes en Europe  ou ailleurs.

Je continue de croire que nous devons fermer Guantanamo. Après bientôt cinq mois de grève de la faim généralisée des détenus de la prison militaire américaine sur l’île de Cuba, Barack Obama a récemment réitéré son appel à fermer le camp.

Il est essentiel pour nous de comprendre que Guantanamo n’est pas nécessaire à la sécurité des Etats-Unis (…) Cela nuit à notre réputation internationale. Cela entrave la coopération antiterroriste avec nos alliés. C’est un argument de recrutement pour les terroristes. Il faut le fermer. Le  probme, c’est « le désespoir » des prisonniers.tenus depuis  des années  le plus  souvent  sans procès  ni  même de charges retenues contre eux, ils n’auraient plus que la mort pour sortir du camp, selon leurs avocats.  L‘idée que nous gardons en détention des individus qui n’ont pas été jugés est contraire à ce que nous sommes et à nos intérêts. Cela doit cesser.

Obama n’échappe plus à Guantanamo Journal Libération, 2.05.2013

Aujourd’hui, il reste une quarantaine de prisonniers à Guantanamo, qui n’ont fait l’objet d’aucune enquête pénale ni condamnation. Barak Obama n’est pas parvenu et fermer le camp, et certains estiment que c’est mission impossible, car revenir en arrière serait avouer des pratiques de torture ou des traitements contraires aux droits humains. Par conséquent, à Guantanamo comme dans d’autres prisons du monde, on fait comme si les détenus qui y croupissent étaient  enfermés de façon légale. Si nécessaire, on trouve des articles de loi et des codes de procédures qui justifient les mauvais traitements et transforment les opposants politiques en criminels de droit commun, comme c’est le cas pour Julian Assange. Au final, on réprime par la torture ceux qui dénoncent la torture, sans se demander si cela ne pourrait pas constituer un « terrorisme d’Etat ».

Le livre de Dick Marty Une certaine idée de la justice est très accusateur:

Pour combattre le terrorisme, l’administration américaine a donc abandonné l’Etat de droit. Elle a pu faire emprisonner des centaines de personnes sans aucun mandat, sans aucune preuve, mais sur la base de simples soupçons. En violation du droit international, et au mépris des valeurs d’une société civilisée, elle a institué un système raffiné de torture. (…) 

En fait, c’est surtout aux Européens que j’en veux. Contrairement aux Etats Unis, ils n’ont pas eu le courage et l’honnêteté envers leurs citoyens d’assumer leur choix de collaborer avec les Etats-Unis].

Une certaine idée de la justice (p. 181)

La Suisse fait-elle partie de ces pays auxquels Dick Marty reproche leur lâcheté? Les débats parlementaires qui eurent lieu en 2005 et 2006 révélèrent que depuis 2001 pas moins de 58 avions américains, vraisemblablement guidés par les services secrets américains et transportant des « ennemis combattants », avaient traversé l’espace aérien suisse et même atterri à Genève ou Zurich, en route vers des prisons secrètes. Dick Marty reprochait déjà à la Suisse d’avoir  fait preuve «d’une obéissance servile envers les Etats-Unis». Il ajoutait: « La Suisse ne peut pas sans cesse parler des droits de l’homme et se taire ou faire la sourde oreille quand l’occasion de les défendre se présente ». Les chambres fédérales  débattaient alors d’un accord de coopération policière entre la Suisse et les USA  pour lutter contre le terrorisme et son financement. Quelque voix se firent entendre pour le refuser, considérant que collaborer avec un Etat qui pratique des  « techniques d’interrogatoires renforcés », une forme de torture, c’était se rendre complice. La majorité approuva cependant le traité. 

Anne-Catherine Menétrey-Savary