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Répression politique, répression pénale, la prison est-elle politique ?

En France, à la suite de mai 68, un certain nombre de militant.es et de manifestant.es furent incarcéré.es dans les prisons de la république. Des mutineries secouèrent les pénitenciers, des détenus entreprirent des grèves de la faim. Un vaste mouvement de dénonciation de l’enfermement se manifesta, qui déboucha, en février 1971, sur la création du Groupe d’information sur la prison (GIP) par Michel Foucault et quelques intellectuels engagés.

Michel Foucault : l’intolérable hier et aujourd’hui

Michel Foucault va désigner l’enfermement lui-même comme l’élément essentiel de la  contrainte. L’intolérable, c’est cette « machine à déshumaniser » qu’est la prison et « l’horrible accumulation, en chaîne, des violences et des humiliations quotidiennes » qu’elle produit. Elle est un espace de non-droit.

S’il se peut que le détenu ait été mis en prison au nom de la loi, une fois qu’il a franchi le portail de la maison d’arrêt ou de la centrale, la règle veut qu’il n’appartienne plus à la loi, mais à l’arbitraire, à la violence, à la répression incontrôlée, au secret. La loi et le droit cessent là justement où commence la prison. La justice met le détenu hors la loi (…) « De la prison, on sort toujours plus délinquant qu’on ne l’était ».

L’intolérable hier et aujourd’hui Anne Catherine Menétrey-Savary, Le Courrier, 3.03.2014

Dans ce sens, la prison n’est pas en échec: sa réussite, au contraire, est précisément de créer de la délinquance, car elle a été  conçue pour cela! On entre là dans l’analyse de ce qu’il nomme l’économie politique de la délinquance, fondée sur l’idée que les « illégalismes » des laissés pour compte, des marginaux, des réfractaires servent à masquer les comportements illégaux sur lesquels se construit et se renforce le pouvoir: corruption, fraudes, soustraction fiscale, trafics en tous genres, mafia, etc.

Non seulement les ‘vrais coupables’ ne sont pas inquiétés, mais en plus ils occupent des positions respectées dans la société. Dans cette optique, les infractions des opprimés ne procèdent ni d’un penchant criminel ni d’une attirance pour la délinquance, mais elles constituent une conduite contrainte, acculée, forcée d’agir comme telle: on est délinquant parce qu’on n’a plus le choix.

L’intolérable hier et aujourd’hui Anne Catherine Menétrey-Savary, Le Courrier, 3.03.2014

Encore faut-il que le pouvoir réussisse à convaincre la population non délinquante qu’elle n’a rien de commun avec ce milieu  de réprouvés. Il le fait en diffusant dans les médias des faits divers horribles, qui contribuent à répandre un sentiment d’insécurité et qui font accepter la prison comme la seule protection possible. Le système pénitentiaire « consiste à flatter une opinion qu’on apeure, en faisant appel à l’esprit de vengeance et de  ressentiment ».

La critique de Michel Foucault est-elle encore d’actualité? Le système pénitentiaire vacille dangereusement entre réinsertion ratée, parce qu’on n’y consacre pas les moyens nécessaires, et enfermement définitif, parce que ça rassure la société. Bien que les pénitenciers risquent d’exploser sous l’effet de la surpopulation, les autorités judiciaires et pénitentiaires ne relâchent pas la pression et réclament des crédits pour construire de nouveaux établissements. La violence institutionnelle dénoncée par Foucault et le GIP pourrait bien être en train de gagner du terrain avec l’introduction de mesures de durée indéterminée, telles que l’internement.

Anne-Catherine Menétrey-Savary