Infoprisons

Les femmes et la prison

Féminisme et abolitionnisme pénal

Quelques éléments de réflexion pour lancer le débat

Les femmes sont concernées par la prison et la sanction pénale sous trois aspects : en tant que détenues, en tant que mères ou compagnes de détenus et en tant que victimes de violence et de crimes sexuels. Dans chacune de ces trois situations, elles ont à souffrir de discriminations, de mauvais traitements ou de pressions sociales. Le système pénal n’en tient pas vraiment compte. Les femmes, mais aussi les minorités, se situent dans l’angle mort de la justice pénale. Que peut faire le combat féministe pour sortir de l’invisibilité les femmes et les minorités concernées par la prison?  Faut-il militer pour une réforme de l’institution judiciaire ou au contraire abolir le système  pénal et mettre en place des approches communautaires telles que la justice transformative?

Femmes en prison

Pour quelles infractions? Dans quelles conditions?

Des enquêtes montrent qu’avant d’arriver en prison, les femmes ont été victimes de violence beaucoup plus souvent que les hommes. Selon Gwenola Ricordeau, elles se sont parfois enfuies de chez elles pour se soustraire aux mauvais traitements et aux violences, et elles se sont retrouvées dans une situation de grande précarité, avec les risques que cela comporte. Parfois, c’est pour aider un ami consommateur de drogues qu’elles se retrouvent incarcérées pour trafic de stupéfiants, comportement classique chez les femmes qui ont appris à prendre soin de leurs proches.  Il arrive aussi qu’elles soient condamnées pour l’homicide d’un compagnon ou d’un conjoint qui leur faisait subir sévices sexuels, viols ou violences.

Dans l’Etat de New York, en 2005, 67% des femmes incarcérées pour homicide d’un proche avaient été victimes de cette personne. Mais la notion de légitime défense n’est pas reconnue par la justice, sauf quand elle est immédiate et non pas différée.  

Pour elles toutes (p. 77)

Femmes en détention

En Suisse, les femmes représentent une minorité de détenus (5.7% selon les chiffres de l’OFS 2021) et cette faiblesse numérique se traduit par des discriminations spécifiques à leur encontre. La principale étant que les places manquent, en préventive comme en exécution de peine. Seuls deux établissements sont prévus pour accueillir les femmes: celui de Hindelbank dans le canton de Berne et la Tuilière à Lonay. Dès lors, les femmes se retrouvent bien souvent prises en charge dans des sections spéciales au sein d’établissements carcéraux pour hommes, et ce dans des conditions inadaptées à leur situation. Un postulat relevé par la Commission des visiteurs du Grand Conseil vaudois qui «s’est étonnée de certains aspects liés aux conditions de détention spécifiques aux femmes, donnant à penser qu’une forme d’uniformisation des conditions de détention à l’échelle cantonale se fait au détriment des nécessaires adaptations liées au genre». [1]

Le monde pénitentiaire est par ailleurs encore fortement régi par des préconceptions genrées, où les hommes ont accès à des activités professionnelles de production et pratiquent le sport en extérieur tandis que les femmes travaillent en cuisine, à la buanderie et peuvent se distraire avec des activités d’intérieur, telles que la broderie ou la couture. 

Au niveau international, les règles en matière d’exécution des peines prennent de plus en plus en considération les femmes détenues. En 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté les règles dites de Bangkok, marquant dès lors une étape décisive vers la reconnaissance des besoins spécifiques de la détention au féminin. La Suisse a accepté ces règles le 27 février 2013. Ces recommandations mettent notamment en évidence les besoins spécifiques des femmes et soulignent la nécessité de mettre sur pied, également dans le contexte des établissements de détention, des règles sensibles au genre.

Femmes en détention: coup de projecteur sur une minorité ignorée Lauriane Constanty, Bulletin 21, Novembre, 2017

Les questions de maternité en détention et du lien mère-enfant sont également source de nombreux défis en milieu carcéral. Si une séparation brutale avec la mère au moment de l’incarcération peut amener l’enfant à développer des carences affectives, la détention ne doit pas non plus peser sur la croissance de l’enfant. Des aménagements sont alors possibles, notamment avec des prises en charge à l’extérieur de la prison grâce à des structures institutionnelles ou associatives. Au sein de la prison de Hindelbank et à la Tuilière, des cellules sont spécialement aménagées pour les mères et leurs nourrissons, reliées par un espace commun et séparées des autres secteurs cellulaires. 

La non-séparation d’une mère et de son enfant est inscrite dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE). Un principe qui s’applique également auprès des mères détenues. En Suisse, le Code Pénal prévoit que la mère puisse vivre avec son enfant jusqu’à l’âge de 3 ans, tout en prenant en considération l’intérêt du petit. Une problématique qui fait l’objet d’une attention particulière, tant auprès du personnel pénitentiaire que du Service de protection des mineurs.

Femmes en détention: coup de projecteur sur une minorité ignorée Lauriane Constanty, Bulletin 21, Novembre, 2017

La question des liens avec la famille est également source de préoccupation. L’isolement consécutif à la détention des femmes est plus profond que celui des hommes, qui continuent bien souvent à recevoir soutien moral et visite de leurs proches. La difficulté pour les détenues à garder le lien avec la famille s’explique, en partie, par l’éloignement physique, les femmes exécutant leur peine loin de chez elles en raison du manque d’établissements pouvant les accueillir. Le coût et la longueur du trajet peuvent en effet décourager les proches à venir leur rendre visite.

Pour une mère, les conséquences de l’incarcération sont particulièrement lourdes: il est difficile pour une femme détenue de continuer à assumer son rôle en étant éloignée de son enfant, écartée de son quotidien et de ses besoins. Une culpabilisation d’autant plus lourde à supporter pour une femme incarcérée quand ses proches la désignent comme l’élément qui a brisé leur famille. « Dans la plupart des sociétés, les femmes délinquantes sont en rupture avec l’image courante du rôle attribué à leur sexe » explique l’organisation Penal Reform International, « cela peut se traduire de la part de la famille et de la communauté à des formes d’ostracisme durant la détention et après la sortie de prison qui sont plus extrêmes que pour les hommes ».

La détention au féminin, entre honte et stigmatisation Lauriane Constanty, Bulletin 22, Février, 2018

Double effet de genre

S’il semble avéré que les femmes, pour les mêmes infractions, sont moins souvent condamnées à des peines de prison que les hommes, c’est l’effet d’un «paternalisme pénal» selon Gwenola Ricordeau. Cela n’empêche pas les humiliations et l’isolement.

Cet isolement est aussi le résultat d’un « double effet de genre ». Le fait de contrevenir à la loi est socialement beaucoup moins toléré pour une femme que pour un homme.  Elles subissent en quelque sorte une double stigmatisation: non seulement elles ont enfreint la loi, mais elles ont aussi transgressé les normes

La solitude des femmes détenues Mediapart, 2019

Les comportements perçus comme une transgression de l’image et du rôle de la femme provoquent le rejet. On parle d’un  « traitement sexué de la déviance ». Le résultat, c’est qu’à la libération il n’y a parfois plus personne pour accueillir celles qui ont purgé leur peine, et plus de logement où habiter.

Femmes détenues: peu d’améliorations en vue Anne-Catherine Menétrey-Savary, Bulletin 26, Juillet 2019

Si les femmes ne bénéficient pas de conditions de détention adaptées à leurs besoins spécifiques parce que les normes en vigueur dans les établissements pénitentiaires sont uniformisées, comme si elles s’appliquaient à une population homogène, d’autres minorités de genre sont encore plus exposées à un traitement inadapté et souvent humiliant. C’est en particulier le cas pour les détenu.es transgenre ou homosexuel.les.

Les personnes transgenres privées de liberté vivent surtout l’enfer. Dans l’univers très dur des prisons, les minorités sexuelles sont à la fois victimes des autres détenus et du système, qui les place dans des conditions encore plus difficiles. (…) Le contexte de la prison est déjà celui d’une mise à l’écart et la question de la sécurité est devenue partout très sensible et politiquement rentable. L’idée que le détenu doit payer ou qu’il mérite de souffrir est encore très répandue dans l’opinion publique. Dans ces conditions, les communautés qui subissent déjà des discriminations à l’extérieur vont être encore plus durement touchées à l’intérieur du monde pénitentiaire. La privation de liberté aggrave toutes les problématiques.

 Prisonniers d’un autre genre Fati Mansour, Le Temps, 4.06.2015

Lauriane Constanty

Les proches de détenu.es: instrumentalisés par le  système pénal?

La condamnation d’un auteur ou d’une autrice d’infraction a des répercussions importantes pour ses proches. Non seulement la détention, mais aussi les autres formes de sanction et toute la procédure. Comme le signalent Sophie de Saussure ou Mare-Nathalie d’Hoop, avoir à la maison un membre de la famille assigné à résidence et sous surveillance électronique impacte fortement la vie de famille. C’est dans ce sens qu’on peut dire que les proches sont les garants du système pénal, car c’est aussi sur eux qu’ils comptent pour la réussite de la réinsertion. Mais sans jamais prendre en compte leurs besoins et les difficultés qu’ils et elles rencontrent.

Un préalable au travail collectif: «la reconnaissance que les proches des personnes détenues purgent des peines à part entière, des peines jamais prononcées par les juges, mais qui ont des dimensions matérielles, financières et émotionnelles. (…)  La reconnaissance des peines purgées par les proches doit se traduire par celle de leurs  revendications, quand bien même elles seraient jugées réformistes».

Pour elles toutes

Si vous ne vous intéressez qu’à ceux qui sont en prison maintenant, vous n’avez fait que 50% du boulot.

Au Royaume-Uni, une prison œuvre pour et avec les familles Cécile Marcel, Mediapart, 18.03.2018

Anne-Catherine Menétrey-Savary