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Féminisme et système pénal

Dans le sillage de #Me Too, un important débat s’est instauré en Suisse au sujet de la répression des viols,  violences et  contraintes sexuelles.  Une révision du code pénal est en cours au Parlement. Parallèlement, le débat public est focalisé sur la notion de consentement. Les mouvements féministes militent pour que toute atteinte sexuelle non explicitement consentie soit considérée comme un viol et punie comme tel. Cet appel à un renforcement de la répression et des sanctions pénales est en contradiction avec l’idée d’une abolition du système pénal.

Révision en cours du code pénal sur le viol et le consentement

Aujourd’hui, le viol est puni en Suisse par l’application de l’art. 190 du code pénal (CP), lequel punit « Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel », d’une peine privative de liberté de un à dix ans (Code pénal suisse, 1937). Le projet de révision du code pénal de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États propose notamment de créer une nouvelle infraction, « l’atteinte sexuelle » avec l’idée de protéger toutes les personnes majeures sexuellement n’étant pas consentantes, ou ayant subi un acte sexuel sans recours à la force. Cette infraction serait considérée comme un délit, et non un crime, et serait, par conséquent, passible d’une peine privative de liberté de trois ans au plus. Par ailleurs, la question de l’extension de la définition du viol se trouve sur la table, visant à englober certains actes analogues à l’acte sexuel dans l’art. 190 CP. Toutefois, cette proposition ne place pas la notion de consentement au centre, ce qui alimente à ce jour les débats au sein du public.

En regard de ladite révision, les avis sont mitigés, Amnesty International indique que, bien que certaines améliorations soient à saluer, « la Suisse ne remplirait toujours pas les normes internationales qui exigent que la définition du viol soit fondée sur l’absence de consentement, et non sur la coercition ou la contrainte » [1].  Selon eux, la révision de l’art. 190 laisse penser que, puisqu’une « atteinte sexuelle » serait caractérisée comme délit et non comme crime, elle serait moins grave, mettant alors de côté les conséquences à long terme pour les victimes. Les femmes du Parti Socialiste sont du même avis, selon elles, un « non, c’est non » n’est pas suffisant, il faut modifier la loi en regard à la notion « seul un oui est un oui ».                     

Enfin, selon le professeur de droit Robert Roth, la Suisse devrait réviser la définition des infractions sexuelles afin qu’elles ne soient plus basées sur les moyens utilisés par l’auteur, mais bien par l’absence de consentement [2]. La Commission fédérale des questions féminines demande par ailleurs que la notion de viol soit redéfinie de façon plus neutre, en regard notamment du genre « afin qu’elle inclue tous les actes impliquant une pénétration non consentie » [3].

Supprimer le « crime passionnel »

Par motion déposée durant l’été 2020, Marina Carrobio, conseillère aux Etats et Greta Gysin, conseillère nationale, demandent la suppression de l’art. 113 du code pénal (CP), soit le meurtre passionnel, puni d’une peine privative de liberté de 1 à 10 ans. A ce jour, ledit article a pour but de distinguer du « simple » meurtre les cas où l’auteur a agi en proie à une émotion violente ou à un profond désarroi.  L’objectif principal des deux élues est d’éviter d’associer la victime à l’acte, en lui donnant par défaut la place de « coupable par association ». En effet, le terme « crime passionnel » est souvent utilisé par les médias et véhicule l’idée que l’auteur du meurtre puisse être déresponsabilisé. Il évoque un acte commis soi-disant « par amour », ou plus précisément par jalousie, dont l’auteur, généralement un homme, serait excusable et la victime – une femme – en partie responsable par son comportement déviant. La jurisprudence actuelle, comme le montre Fati Mansour, s’éloigne de ce cas de figure mais les mots et les images restent.  Lesdites élues proposent donc deux options; premièrement, une modification du terme « passionnel », par ailleurs moins connoté dans le code pénal allemand avec le terme « Totschlag », ne renvoyant pas directement à la passion et s’écartant par la même occasion de l’équivoque mentionné. La deuxième proposition concerne, quant à elle, la possible suppression de l’art. 113 CP et la possibilité d’application de l’art. 48a CP, ce dernier permettant au Juge d’atténuer la peine prononcée. 

Cependant, dans son article pour Le Temps publié le 22 septembre 2020, la journaliste Fati Mansour met l’accent sur le fait qu’il est rare que la Justice retienne le meurtre passionnel. Elle prend, pour illustrer ses propos, des cas très particuliers, notamment une affaire argovienne datant de 1974. A cette époque, le Tribunal Fédéral prononce l’art. 113 CP pour une femme qui avait tué son beau-frère en retenant l’émotion violente. Elle était régulièrement violée, giflée et insultée par ce dernier. Fati Mansour mentionne également une affaire soumise à un tribunal vaudois datant de 2000, où une mère de famille, après avoir appris que son enfant présentait une lourde anomalie génétique qui nécessiterait des soins en permanence, a essayé de le tuer. Le tribunal a considéré que la mère était dans un état de profond désarroi ainsi que sous l’effet d’une émotion violente, retenant également l’art. 113 CP.

Finalement, le Conseil fédéral déclare que le terme de “passionnel” paraît adapté et que la marge d’appréciation laissée au Juge concernant l’application de l’art. 48a CP pourrait être trop restreinte. Par conséquent, le Conseil fédéral rejette les deux motions.

A noter que ce débat s’inscrit dans une période où les mouvements féministes sont de plus en plus présents sur la scène médiatique et où leur volonté que la Justice punisse les féminicides sans circonstance atténuante devient centrale.

Clelia Lauquin et Marie Salomon 

Dans ce contexte, deux motions ont été déposées au Conseil national pour demander l’abrogation de l’article 113 CP prévoyant une réduction de peine pour le « meurtre passionnel ».

Pour les deux motionnaires, le but est « d’éviter d’alimenter des stéréotypes sexistes suggérant des circonstances atténuantes et de justes motifs [au crime], qui font de la victime, souvent une femme, une coupable par association ». Ce terme de « crime passionnel » est régulièrement employé par les médias, ce qui correspond à une déresponsabilisation de l’auteur du meurtre.

Actualités Diverses Bulletin 30, Novembre 2020

Même si elle milite pour l’abolitionnisme pénal, Gwenola Ricordeau reste sensible aux réalités de ce que vivent les femmes et elle reconnaît que l’appel à la police est parfois la seule solution d’urgence et que le recours au pénal est compréhensible. L’abolition du système pénal est une proposition radicale. A défaut, on peut réfléchir à d’autres formes de justice, dont la justice restaurative.

De qui et de quoi le système pénal protège-t-il les femmes? Qui punit-il? Quels sont les effets du traitement punitif auquel il soumet certaines personnes?  Qui entend la voix des femmes incarcérées? De celles qui ont des proches en prison? Il faut remettre en question le système pénal  sous l’angle de la protection que les femmes peuvent en attendre. Il y a deux pistes à suivre:  la décarcéralisation des femmes et la prise en charge non-punitive des auteurs de violence contre les femmes. Le recours au pénal dans les cas d’agressions ou de violences faites aux femmes est peu contesté, même à l’extrême gauche où sont développées des critiques radicales de l’Etat. Pourtant, « les outils du maître ne détruiront pas la maison du maître» »(Audre Lorde, poétesse afro-américaine) « Tout recours au pénal est, à mon sens, un échec collectif dont on doit se saisir pour réfléchir à l’instauration de solutions collectives ». « Le crime n’a pas de réalité ontologique. Le crime n’est pas l’objet mais le produit de la politique pénale. La criminalisation est l’une des multiples manières de construire la réalité sociale ».

Pour elles toutes

Justice restaurative, justice transformative

En Suisse, l’AJURES (Association pour la justice restaurative en Suisse) travaille à faire reconnaître  cette pratique, ainsi que d’autres formes de médiation, notamment carcérale, qui peuvent avoir lieu  après le jugement et pendant l’exécution de la peine.  

Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut abolir le système pénal. Je pense que c’est important d’avoir un corpus de règles qui définit la base de la vie en société mais qu’on devrait aussi faire davantage confiance aux victimes et aux auteurs d’infraction, et leur donner la capacité de s’exprimer, de demander et de réparer. La justice restaurative est complémentaire à la justice pénale.

La médiation carcérale, un processus qui peine à trouver sa place en Suisse Camille Quehen, Bulletin 22, Mars, 2018

Selon Gwenola Ricordeau, la justice restaurative n’est pas armée pour prendre en compte les « injustices structurelles » tels que le capitalisme ou le patriarcat. Surtout, la justice restaurative n’est pas opposée à la prison ni au caractère rétributif de la peine. Elle ne fait que combler une lacune du système pénal. Elle est « le supplément d’âme du système pénal ».

Justice restaurative et justice transformative Interview de G.Ricordeau par Clair Rivière COFD, février 2021

Les partisan.es de l’abolitionnisme pénal ou carcéral mettent surtout en avant la dimension sociale et communautaire de la criminalité. Dans ce sens, ils et elles considèrent que le système pénal « nous dépossède de nos conflits », alors que « la plupart de nos  situations-problèmes sont résolues en dehors du système pénal ». Une des propositions abolitionnistes serait de développer des formes de justice qui permettent de s’autonomiser du système pénal, en privilégiant la médiation, la réconciliation et la guérison.

Le justice restaurative considère le crime comme une atteinte à une personne et à des liens sociaux,  à la différence de la justice pénale qui le considère comme une atteinte au droit et, dans une moindre mesure, à une personne.

En fait, la justice transformative s’est développée par opposition à la récupération de la justice restaurative par le système pénal. C’est un processus collectif: La JT  considère que la responsabilité du préjudice ne peut pas être attribuée à la seule personne qui l’a causé. Pour cette raison, l’expression « situation problématique » est généralement préférée à celle de « comportement problématique » ou de « personne problématique ». Il s’agit donc de résoudre une situation et pas seulement de réparer un préjudice. Elle vise la mise en œuvre de la responsabilité communautaire.

Justice restaurative et justice transformative Interview de G.Ricordeau par Clair Rivière COFD, février 2021

Pour elles toutes

Anne-Catherine Menétrey-Savary