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La nouvelle prison Jura Bernois- Seeland : analyse d’un pari

La décision est tombée récemment : le canton de Berne va construire une nouvelle prison à Witzwil, en gardant des projets pour le site de Prêles. La construction de ce nouveau lieu de détention ne va toutefois pas de soi et comporte une part de prise de risques. Explications.

Le canton de Berne l’a annoncé lors d’une conférence de presse le 3 mars 2022 [1] : une nouvelle prison sera construite sur le site de Witzwil. Ce site comporte déjà une prison de 160 places, dévolues majoritairement aux peines en milieu ouvert. Il s’agira donc d’ajouter des bâtiments pour de la détention préventive et les mesures de sûreté (100 places) et pour l’exécution des peines (150 places). Le projet vise notamment à remplacer la prison régionale de Bienne, qui ne répond plus aux normes actuelles et pour laquelle des travaux seraient trop coûteux. De plus, avec le départ de Moutier, le Canton perd également des places.

La communication officielle met en avant différents avantages pour justifier ce choix, notamment un choix technique plutôt évident : construire à neuf sera moins onéreux qu’adapter des monuments protégés. Il s’agit probablement d’une solution plus simple que d’investir dans la mise aux normes d’un site digne de protection, comme ce serait le cas à Prêles, autre site retenu, ou à la prison régionale de Bienne. Sont aussi mis en avant des choix administratifs, notamment les synergies avec l’établissement déjà existant de Witzwil.

C’est la question des synergies qui a, entre autres, donné lieu à un entretien avec Olivier Aebischer, responsable de la communication pour l’office de l’exécution judiciaire (OEJ) du canton de Berne. Ce dernier a rappelé que ces synergies en matière de personnel, retraitement des déchets, approvisionnement en énergie, élimination des déchets, logistique et services auxiliaires sont intéressantes car elles permettent des économies. C’était d’ailleurs l’un des arguments principaux de la conférence de presse.

Situation des établissements dont il est question (source: documents de la conférence de presse cantonale)

Nécessité de tenir le délai d’une nouvelle prison d’ici à l’horizon 2030: conséquences

Confronté à la question des autres coûts, comme le fait de transporter des personnes détenues de Witzwil à Bienne pour des interrogatoires et auditions, M. Aebischer a relevé que Bienne garderait sans doute des cellules pour les procès. Contacté à ce propos, le canton a répondu, par l’intermédiaire de Simon Koch, chef suppléant de l’Office de la communication que « le projet Avenir Berne romande vise notamment à déployer dans la Berne francophone, les administrations cantonales qui ont leur siège à Moutier, en raison du changement de canton de la commune.

A ce titre, les liens opérationnels étroits entre Police cantonale, Ministère public, et lieu de détention sont pris en compte dans les réflexions, afin de garantir l’efficience de la solution retenue et un fonctionnement optimal de la chaîne pénale ». L’avenir du pôle judiciaire du Jura Bernois et de la chaîne pénale est donc, du point de vue du canton, intimement lié au transfert de Moutier et n’a donc qu’un lien faible avec la question du nouveau lieu de détention.

De son côté, M. Aebischer a également mis en avant les avancées techniques qui devraient permettre des interrogatoires en visioconférence. Il est toutefois bien conscient des efforts tant techniques que pédagogiques à mettre en oeuvre pour que cette solution soit viable.
Le communicant a également rappelé que la prison devait être prête pour 2030, ce qui explique une partie des décalages entre la stratégie, le plan directeur et le projet présenté début mars: il a fallu réorienter certains éléments pour pouvoir tenir le délai, notamment le choix du lieu.

Il aurait été plus avantageux de prendre exemple sur Berthoud (Burgdorf en allemand) ou Zürich, avec un site qui comporte un lieu de détention mais aussi et surtout le ministère public, le tribunal et d’autres services judiciaires. Toutefois, Witzwil a été privilégié, aucun terrain ne permettant de réaliser rapidement ce projet.

Dès lors, le canton a fait le choix le plus simple et compte sur les synergies et les avancées technologiques pour faire baisser les coûts. Un choix risqué, car pas le moindre chiffre n’a été communiqué sur le gain potentiel des synergies. De même, les avancées technologiques en lien avec la justice sont plutôt rares et demandent du temps avant d’être correctement intégrées, notamment si les personnes détenues doivent pouvoir les employer correctement pour des auditions judiciaires. Ces choix risqués s’expliquent en grande partie par la nécessité de tenir les délais.

Des instances politiques peu intéressées par les questions carcérales

Si les interventions portant sur les questions pénales ne sont pas rares, celles sur les questions carcérales le sont autrement plus. Celles portant en particulier sur les conditions de détention et la stratégie à cet égard sont pratiquement inexistantes. Si l’on peut reprocher au Conseil Exécutif de n’avoir réalisé que tardivement la nécessité de se doter d’une nouvelle stratégie pour mesurer les besoins et y répondre, il faut aussi constater ici le désintérêt des membres du Grand Conseil pour les questions de stratégie carcérale.

Un exemple frappant est le changement radical de projet autour de la détention en vue de l’expulsion. La stratégie cantonale, adoptée par le Parlement, en prévoyait le transfert à Berne, en raison de la proximité avec les ambassades. Le plan directeur, élaboré par l’administration cantonale, prévoyait lui de la placer à Thoune. Aucune justification n’est fournie au sujet de ce changement. Or, le Canton a dû changer encore une fois de projet, car celui de Thoune n’est pas viable. D’une part, il est désormais interdit par une décision du Tribunal Fédéral de mélanger les personnes en détention en vue de leur expulsion avec celles en détention pour des motifs de droit pénal. D’autre part, le site de Thoune ne comporte pas de terrain permettant une construction suffisamment grande pour les 80 places prévues.
C’est en principe le site de Prêles qui devrait se voir attribuer ces places. Mais cela reste encore théorique, car se pose d’une part la question des réfugié·es ukrainien·nes sur place actuellement et d’autre part, la question de la compatibilité entre la détention de mineurs, autre projet prévu à Prêles, et celle de personnes devant être expulsées.

Or toutes ces divergences n’ont fait l’objet d’aucune intervention au Grand Conseil. Alors qu’il y avait de quoi questionner le changement entre la stratégie décidée par le Parlement et le plan directeur proposé par l’administration. De même, il y avait de quoi poser des questions sur le choix, qui apparaît a posteriori comme naïf de Thoune, où la construction n’était pas possible tandis que le mélange des régimes de détention était déjà interdit par les décisions des cours inférieures au Tribunal Fédérale. Le problème de manque de terrain pour bâtir figurait déjà en toutes lettres dans la stratégie, ce n’était donc pas un secret.

Un point encore qui aurait mérité un débat politique est le choix de vouloir des lieux de détention plutôt excentrés et où l’on se soucie de l’accès des employés au site et non de celui des familles des personnes détenues. Avec les sites de Bienne et Moutier, il était encore relativement facile de faire des visites en transports publics. Pour Witzwil, il faut depuis une gare bien desservie du Jura Bernois, compter près de deux heures de trajet, avec un maximum de sept relations par jour! De quoi pour n’importe quel autre projet touchant au Jura Bernois, recevoir une réaction courroucée de la part de la députation francophone. Or, sur ce sujet, celle-ci reste coi. Il faut relever ici qu’elle est composée majoritairement d’élus UDC et que les personnes détenues peinent à se faire entendre, comme toutes les personnes marginalisées.

Manque de volonté politique égale politique carcérale insatisfaisante

Faute de proaction politique, le canton travaille dans une relative urgence en matière de politique carcérale. Le choix de Witzwil s’apparente donc à un pari, où le but est de réussir à construire une grande prison de 250 places qui ouvrira dans un horizon de 10 ans, en pariant qu’elle ne coûtera pas trop cher grâce à des synergies et des avancées techniques. La proaction politique aurait potentiellement permis à un meilleur projet, qui aurait pu par exemple rassembler différents organes judiciaires sur un site, de voir le jour.
Si le Grand Conseil bernois continue de rester passif sur de tels sujets, il prend le risque de laisser les coudées franches à l’administration, qui doit en principe exécuter la volonté politique et non s’y substituer, et de voir les coûts prendre l’ascenseur du fait de l’urgence dans laquelle chaque projet sera mené.

Le projet prévu à Witzwil n’est pas si mauvais que cela, mais il laisse l’impression qu’avec plus de temps et d’investissement politique, une meilleure solution aurait été possible et aurait profité au canton, à la Suisse et –qui sait ?– aux personnes détenues.

David Kneubühler