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La délinquance juvénile, une prise en charge spécifique

La lutte contre la criminalité des mineurs, ses causes et son traitement sont sources d’interrogations et de recherches depuis le XIXème siècle. En Suisse, la Fondation de Serix trouve ses racines dès 1863 sur le site de Palézieux, et est destinée à accueillir les « mauvais » garçons des cantons romands. Actuellement, l’éducation, la connaissance de la personnalité du jeune et l’environnement dans lequel il évolue sont les fondements du droit pénal des mineurs, défini comme une « justice de l’auteur » et non comme une « justice de l’acte ». Si les causes de la délinquance juvénile sont complexes et multifactorielles, nous en proposons une esquisse afin de mieux comprendre ce phénomène.

La délinquance des mineurs fluctue et varie selon les périodes. Actuellement, nous observons une légère diminution de sa prévalence et l’an passé, moins de mineurs sont passés devant la justice. Une donnée à prendre toutefois avec précaution, car « l’intensité et la gravité des infractions sont nettement plus élevées », explicite la Juge cantonale Marie-Pierre Bernel, membre de la Cour administrative.  On relève en effet une hausse de 33% des infractions contre la vie et l’intégrité corporelle et de 24% pour celles contre l’intégrité sexuelle. En conséquence, les détentions avant jugement sont plus nombreuses et augmentent de ce fait les besoins de placement en institution, notamment dans le cadre des exécutions de peine qui sont de plus en plus fréquentes chez les mineurs. Mais les places manquent en Suisse latine, entraînant « un véritable problème, avec des délais d’attente pour la prise en charge qui vont jusqu’à plusieurs mois, ce qui dans la vie d’un adolescent peut être déterminant » [1].

Dans une période marquée par des pulsions débordantes, que l’adolescent cherche à satisfaire ou à dominer, la délinquance juvénile relève bien souvent d’un passage à l’acte spontané, opportuniste et apte à satisfaire un besoin de plaisir immédiat. Ainsi, comme le souligne Sandrine Haymoz, dans le cadre de son intervention au congrès de criminologie à Interlaken en août 2021, « la délinquance est un phénomène courant durant l’adolescence et, bien que les actes de violence (et principalement les actes de violence graves) imputables à des jeunes restent le fait d’une petite minorité d’individus (4 à 10%), les conséquences sur les victimes peuvent être dramatiques » [2].

Les propos alarmistes liés à la délinquance des mineurs se fondent dès lors majoritairement sur un petit nombre d’affaires graves, dont les médias s’emparent régulièrement. Pourtant, loin d’être un fait nouveau, la délinquance juvénile a toujours existé. Socrate déjà mentionnait que « nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. A notre époque, les enfants sont des tyrans ». Depuis tout temps l’on craint ainsi que les conduites déviantes adoptées par les jeunes représentent les prémisses d’une criminalité adulte future. S’il est effectivement avéré que l’âge de l’entrée dans la délinquance est un facteur de risque [3], tous les mineurs criminels ne s’engagent pas nécessairement dans une voie antisociale.

Que sait-on de la délinquance juvénile

Selon l’Office fédérale de la statistique [4], la population délinquante mineure concerne majoritairement les garçons. Entre 1999 et 2019, ces derniers représentaient 79% des mineurs jugés pour des actes criminels. Notons également que le nombre de jeunes jugés augmente avec l’âge. En moyenne sur les 21 dernières années, les mineurs jugés ayant commis une infraction à partir de 15 ans représentent plus de 72% de la population. Finalement, loin des stéréotypes associant criminalité et personnes de nationalité étrangère, on relève qu’entre 1999 et 2019, deux mineurs jugés sur trois ont la nationalité suisse (66%) et que 26% des jeunes sont des étrangers avec un permis de séjour type B ou C. Les mineurs qualifiés comme « autres étrangers » par l’OFS représentent moins de 7% de la population étudiée.

Outre ces chiffres, retenons qu’environ 15% des mineurs délinquants sont responsables de 50 à 70% de l’ensemble des actes de la criminalité juvénile, et que 5 à 10% s’orienteront vers ce que Terrie E. Moffitt nomme « une carrière criminelle » [5]. Depuis les études de cette auteure, la plupart des chercheurs s’accordent sur une théorie dite duale du développement de la délinquance et opposant deux groupes : les jeunes dont les actes délictueux sont limités à la période adolescente et ceux qui s’engagent dans une carrière criminelle. Le premier groupe ne manifeste des comportements antisociaux que lorsque l’occasion s’y présente. On parle dès lors de délinquance situationnelle. Un comportement déviant souvent initié par la volonté d’intégrer un groupe de pairs antisociaux et par un besoin de mimétisme social, et qui cesse lorsque les besoins et objectifs sont atteints, par exemple par l’obtention de biens matériels. Quant au second groupe, des études soulignent la présence « d’interaction réciproque entre les caractéristiques personnelles et les réactions de l’environnement » [6]. Dès lors, certaines caractéristiques intrinsèques, telles que l’hyperactivité, l’impulsivité, le faible contrôle de soi, développées durant l’enfance, peuvent conduire « à un comportement antisocial qui pervertit chacune des sphères du comportement des adolescents […]. C’est cette contamination qui limite les processus de changement » [7].

Ainsi, si ce n’est qu’une faible proportion d’adolescents qui sont à risque de s’engager dans une carrière criminelle, ces derniers agitent, questionnent et inquiètent les services sociaux et de protection des mineurs, les tribunaux ainsi que la société, et occupent le devant de la scène. Un questionnement et une source d’inquiétude d’autant plus importants que, bien souvent, ces adolescents présentent des troubles psychiques, une labilité émotionnelle et se montrent particulièrement violents et menaçants envers autrui.

Délinquance des mineurs et psychopathologie

Les troubles du comportement de l’enfant et de l’adolescent ont toujours suscité questionnements et réflexions, créant une dichotomie entre ce qui relève de la criminologie et de la psychiatrie. Néanmoins, peut-on séparer la loi de la morale ? Peut-on dissocier la responsabilité de la culpabilité ? Pendant longtemps, les prises en charge proposées étaient clivées entre soin et punition.

On constate toutefois une forte prévalence des troubles psychiques au sein de la population des mineurs délinquants, nécessitant dès lors une prise en charge adaptée et spécialisée à leurs problématiques, englobant tant le volet du soin, de la sécurité que de l’éducation. Plusieurs études soulignent en effet la forte prévalence (40 à 90%) des troubles psychiques présentés par les mineurs incarcérés. Une revue de littérature [8] révèle que 69.9% des garçons mineurs en détention présentent un trouble psychique, dont les plus fréquents sont le trouble des conduites, les addictions aux substances psychotropes et le trouble du déficit de l’attention (TDAH). Une méta-analyse [9] relève que la prévalence du TDAH est par ailleurs cinq fois plus élevée parmi les jeunes en détention que dans la population générale. De plus, plusieurs études relèvent les liens entre la criminalité juvénile et la consommation de cannabis. Par son effet désinhibiteur, la prise de produit psychotrope est en effet régulièrement utilisée par les mineurs engagés dans des comportements antisociaux, et ce à des fins d’automédication, avant un passage à l’acte et/ou pour dissimuler un mal-être ou une anxiété.

Outre les troubles psychiques, certaines caractéristiques spécifiques permettent de dessiner le profil d’un mineur délinquant, tout en notant qu’elles ne sont pas déterministes et n’induisent pas nécessairement une entrée dans la délinquance. Ces caractéristiques sont avant tout considérées comme des facteurs de risque : des difficultés cognitives, un trouble de l’apprentissage (difficultés scolaires, échecs répétés), une victimisation durant l’enfance (violence physique, abus sexuels, négligences parentales), un environnement socio-économique défavorable, une intégration auprès de pairs délinquants, un profil de personnalité caractérisé par des traits antisociaux (impulsivité, recherche de sensation forte, absence de remord et impassibilité, manipulation) ainsi que des troubles externalisés (comportements agressifs tournés vers autrui).

Parfois démunis face aux troubles du comportement sévère que présentent certains jeunes délinquants, les autorités judiciaires cherchent des solutions pour ces mineurs pour lesquels une prise en charge spécialisée et thérapeutique est nécessaire. Toutefois, les places au sein de foyers thérapeutiques fermés sont rares. En Suisse, il n’existe que deux unités pédopsychiatriques forensiques fermées : à Bâle et sur le site de l’hôpital psychiatrique de Cery. Des structures qui proposent un traitement interdisciplinaire dans un cadre contenant et sécurisant, tout en offrant aux jeunes des prestations médicales et psychosociales, incluant des volets thérapeutique, éducatif et pédagogique.

Au vu du constat que la prévalence des troubles psychiques est importante au sein de la population des mineurs incarcérés et partant du postulat que ces derniers seraient plus aptes à être ramenés sur « le droit chemin » que ne le sont les adultes, le droit pénal suisse applique des règles particulières aux enfants et aux adolescents. L’éducation, la connaissance de la personnalité du jeune et l’environnement dans lequel il évolue sont au cœur du modèle protectionniste tel que défini par le droit pénal des mineurs.

Spécificité du code pénal des mineurs

Le droit pénal des mineurs s’appuie sur le principe de l’éducation plutôt que de la sanction et met dès lors en avant une justice restaurative plutôt que rétributive. Ainsi, « le dualisme des mesures de protection et des peines guide l’action dans la pratique médico-légales auprès des jeunes », souligne Madleina Manetsch, docteure au sein du département de médecine légale de la jeunesse de la clinique psychiatrique universitaire de Bâle [10].

L’une des particularités du DPMin est notamment la mesure d’observation :

Art. 9 Enquête sur la situation personnelle du mineur, observation et expertise :

  1. L’autorité compétente ordonne une enquête sur la situation personnelle du mineur, notamment sur son environnement familial, éducatif, scolaire et professionnel, si cette enquête est nécessaire pour statuer sur la mesure de protection ou la peine à prononcer. Une observation ambulatoire ou institutionnelle peut être ordonnée à cet effet.
  2. L’enquête peut être confiée à une personne ou à un service disposant des compétences requises.
  3. S’il existe une raison sérieuse de douter de la santé physique ou psychique du mineur ou si le placement en établissement ouvert en vue du traitement d’un trouble psychique ou le placement en établissement fermé paraissent indiqués, l’autorité compétente ordonne une expertise médicale ou psychologique.

Les établissements de détention pour mineurs proposent ainsi un environnement carcéral spécifique pour les adolescents et répondent à une nécessité de soin et d’éducation. « Le droit pénal des mineurs est ainsi confronté à cette double approche : celle d’un modèle dit de justice qui a inspiré les pays anglo-saxons et qui voit l’infraction comme un acte délibéré qu’il faut sanctionner, tenant compte de la responsabilité de l’auteur, et celle d’un modèle dit de protection qui est à l’origine des systèmes traditionnels d’Europe occidentale et qui voit l’infraction comme un symptôme dont il faut chercher les causes, pour apporter aide et soins à l’auteur » [11]. Ainsi, les mesures mises en œuvre auprès du jeune cherchent certes à protéger la société, mais principalement le mineur de ses débordements et de son externalisation violente. En ce sens, la prison peut alors devenir le berceau d’une réflexion et un outil éducatif, pédagogique et psychothérapeutique auprès du jeune et de sa famille. Et au sein de ces murs, la clinique de la délinquance peut prendre tout son sens. Sans omettre toutefois, et pour reprendre les mots de la Docteur Manetsch, qu’une « intervention précoce dans le sens d’une prévention structurée serait importante et devrait devenir un objectif central du système suisse de justice pénale des mineurs » [12].

Lauriane Constanty

Références

[2] Propos recueillis par Michel Finazzi dans le cadre de sa participation en tant qu’auditeur au congrès 2021 de criminologie.

[3] Moffitt, T. E. (2003). Life-course persistent and adolescence-limited antisocial behavior. Causes of conduct disorder and juvenile delinquency, 49-75; Urben, S., Stéphan, P., Habersaat, et al. (2017). Examination of the importance of age of onset, callous-unemotional traits and anger dysregulation in youths with antisocial behaviors. European child & adolescent psychiatry, 26(1), 87-97.

[5] Moffitt, T.E. (1993). Life-course-persistent and adolescent-limited antisocial behavior: A development taxonomy. Psychological Review, 100, 674-701.

[6] Dayan, J. (2012). Comprendre la délinquance ? Adolescence, 304, 881-917.

[7] Moffitt, T.E. (1993). Life-course-persistent and adolescent-limited antisocial behavior: A development taxonomy. Psychological Review, 100, 674-701.

[8] Colins, O., et al. (2010). Psychiatric disorders in detained male adolescents: a systematic literature review. The Canadian Journal of Psychiatry55(4), 255-263.

[9] Young, S., Moss, D., Sedgwick, O., Fridman, M., & Hodgkins, P. (2015). A meta-analysis of the prevalence of attention deficit hyperactivity disorder in incarcerated populations. Psychological medicine, 45(2), 247-258.

[10] Propos recueilli par Michel Finazzi dans le cadre de sa participation en tant qu’auditeur au congrès 2021 de criminologie.

[11] Wolff, H., & Niveau, G. (2019). Santé en prison. RMS éditions.

[12] Propos recueillis par Michel Finazzi dans le cadre de sa participation en tant qu’auditeur au congrès 2021 de criminologie.