Le concept ROS [1] a désormais été adopté par l’ensemble des cantons alémaniques. Élaboré en 2008, testé puis mis en oeuvre en 2018 [2], ce concept poursuit divers buts que nous rappelons brièvement en préambule.
Premièrement, le concept ROS promeut l’idée d’une politique d’exécution des peines cohérentes. En effet, la Suisse et ses vingt-six cantons et demi-cantons compte autant de politiques différentes, y compris en matière d’exécution des peines. Le concept ROS propose une harmonisation des pratiques. Ainsi, une personne condamnée par la justice d’un canton mais exécutant sa peine dans un autre canton bénéficiera d’un lieu d’exécution adapté à sa peine et surtout aux mesures qui vont de pair avec celle-ci.
Par ailleurs, bien que dépendant beaucoup du travail des psychologues et psychiatres, l’instance d’évaluation étant centrale, le concept ROS met en avant l’interprofessionnalité [3]. Les recommandations établies sont à mettre en oeuvre en étroite collaboration entre travailleurs sociaux, psychologues/psychiatres, criminologues, membres du corps médical et autres professions ayant un contact avec la personne détenue dans le cadre de sa peine.
Finalement, le concept ROS met également l’accent sur la volonté d’agir sur les coupables pour les « transformer » au lieu de simplement les punir. La base légale de ce concept est l’art. 75 al.1 du Code Pénal qui stipule que : « l’exécution de la peine privative de liberté doit améliorer le comportement social du détenu, en particulier son aptitude à vivre sans commettre d’infractions. Elle doit correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaires, assurer au détenu l’assistance nécessaire, combattre les effets nocifs de la privation de liberté et tenir compte de manière adéquate du besoin de protection de la collectivité, du personnel et des codétenus ». L’accent est ainsi mis non pas sur la punition, mais sur le risque de récidive, avec l’idée que les personnes détenues peuvent (ou doivent) changer au cours de leur incarcération. Le cliché de la prison comme lieu merveilleux qui transforme l’humain sans effort est ainsi combattu.
Les frictions : Prévenir par la répression ?
Les impulsions mentionnées plus haut sont réjouissantes. Vouloir assurer un suivi personnalisé, de manière interprofessionnelle en soulignant que les personnes détenues peuvent changer est louable. Toutefois, dans les faits, de nombreux obstacles demeurent.
1. Une politique alémanique
Le fait que ce concept joue un rôle central dans la politique de l’exécution des peines et mesures alémaniques ne doit pas faire oublier que la partie romande existe. Cette dernière prévoit un projet similaire, nommé « Processus latin d’exécution des sanctions orienté vers le risque et les ressources PLESORR » [4]. Si les divergences sont minimes, elles existent. Dès lors, cette absence d’harmonisation pose question. Si une personne est condamnée en Suisse romande mais purge une peine en Suisse alémanique, bénéficiera-t-elle du suivi jugé adéquat ?
2. Le rôle clef de la psychiatrie forensique
La psychiatrie forensique joue un rôle-clef, car ce sont des experts psychiatres/psychologues dans ce domaine qui évaluent les personnes, ou plus exactement dans le concept ROS leurs dossiers, car il n’y a pas d’entretien entre l’expert·e et la personne condamnée. Cette évaluation permet d’émettre ensuite une hypothèse sur la raison du délit ou du crime et proposer des axes de travail. Cette manière de travailler, en s’orientant sur les risques de récidive, pose de nombreuses questions. Si dans un cas donné, le risque est évalué à 52%, la récidive est-elle pour autant une fatalité ? Certes, c’est plus d’une chance sur deux, mais se concrétisera-t-elle ? Cette vision dite actuarielle tend à être mal comprise, confondant risque et dangerosité et pronostic avec état de fait. Ceci d’autant plus que malgré la diversité des outils d’évaluation, il est impossible de se prémunir de diverses erreurs.
3. Un rôle secondaire par rapport au judiciaire
Si la psychiatrie forensique est au premier plan dans le concept ROS, elle se heurte sans cesse au judiciaire. Au final, c’est la décision de justice qui fait foi et celle-ci tend à méconnaître l’avis des psychologues/psychiatres et ne permet pas certains aménagements. Ainsi, si une mesure ambulatoire a été ordonnée, il est impossible d’imposer une mesure stationnaire, quand bien même celle-ci serait plus indiquée. Les juges tendent par ailleurs à percevoir la psychiatrie comme une forme de science exacte où la personne la plus douée du domaine doit obtenir des résultats, sinon le cas est sans espoir. Or, le contexte thérapeutique qu’est un lieu de détention, assorti de l’impossibilité de choisir le thérapeute, tend à vouer de nombreux efforts à l’échec de manière systémique. Prévoir dans les schémas des organismes d’exécutions des peines et mesures que l’on commence en milieu fermé pour finir libre quoiqu’il advienne relève donc du pur déni de réalité.
4. Un monde judiciaire et carcéral inadapté
Si l’intention est louable, elle apparaît comme étant « hors-sol ». L’évaluation n’est faite qu’une fois la peine prononcée. Cela tient compte de la présomption d’innocence. Sauf qu’une personne enfermée en détention préventive ne commence pas à manifester des troubles et problèmes après prononcé du jugement uniquement, puisque ce sont ses « problèmes » qui l’ont conduit à passer à l’acte. Dès lors, la prise en charge est forcément tardive et la détention provisoire peut causer de lourds dégâts en attendant celle-ci.
La question de l’adéquation des lieux d’exécution des peines est également centrale. De nombreuses personnes gagneraient à être envoyées dans des lieux de soins et non des lieux de détention. De plus, les places en prison permettant des thérapies sont largement insuffisantes en Suisse. Dès lors, à quoi bon formuler des recommandations, voire des plans thérapeutiques, qui ne seront pas mis en oeuvre ou alors bien trop tardivement ?
Enfin, les cantons gardent la main sur l’exécution des peines et mesures. Cela signifie que dans certains cas, d’autres facteurs rentrent en ligne de compte. Va-t-on, par exemple, traiter un trouble de la personnalité dyssociale si la personne sera expulsée à l’issue de sa peine ?
Dès lors, ce concept est une avancée intéressante, mais son inadéquation à la réalité du terrain, notamment sur le moment d’agir et sur les lieux pour le faire, ainsi que son accent mis sur le risque plutôt que sur la réinsertion donnent l’impression d’un alibi permettant aux gouvernements cantonaux de se donner bonne conscience plutôt que de changer quoi que ce soit de concret en faveur des personnes détenues.
David Kneubühler
Références
[2] Voir précédent article d’Infoprisons : Sylvie Arsever, Récidive : le modèle centré sur les risques qui s’impose en Suisse alémanique, Infoprisons, 2015.
[3] On parle d’interprofessionnalité quand des personnes provenant de différents métiers collaborent et d’interdisciplinarité quand ce sont des personnes spécialisées dans un seul métier. Des médecins discutant d’un cas travaillent de manière interdisciplinaire. Les services sociaux, psychiatres et juristes discutant d’un cas travaillent de manière interprofessionnelle.
[4] Pour plus de détails, voir l’analyse du centre suisse en matière de sanction pénale aux pages 26 et suivantes : CSCSP, 2021, Standards professionnels de l’assistance de probation: un état des lieux.