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La Justice Restaurative : accompagner la victime dans la reconstruction et accompagner la responsabilisation de l’auteur

La Justice Restaurative : accompagner la victime dans la reconstruction et accompagner la responsabilisation de l’auteur

Entretien avec Camille Perrier Depeursinge

Professeure de droit pénal de l’Université de Lausanne, présidente de l’Association pour la Justice Restaurative en Suisse (AJURES)

Quel est l’origine de votre intérêt pour la justice restaurative ? Comment avez-vous rencontré cette idée ? 

Je pense que la première personne à qui je dois cet intérêt, c’est mon directeur de thèse, le Prof. André Kuhn, qui m’a suggéré de rédiger un travail sur la médiation pénale. J’ai découvert qu’il y avait un pont à faire entre les juristes et les criminologues et mettre en œuvre cet outil dans notre droit pénal. Je trouvais qu’il y avait beaucoup d’objectifs dans la médiation pénale et donc de la justice restaurative qui se retrouvaient dans le droit pénal, que ce soit la resocialisation, la réparation des victimes, la reconnaissance du tort qui a été causé en termes de satisfaction des victimes. J’ai lu un certain nombre d’articles relatant les attentes des victimes et leurs grandes déceptions par rapport au procès pénal en contraste avec les retours tellement positifs des victimes qui avaient bénéficié d’un processus de justice restaurative. Quand je me suis intéressée de plus près aux besoins des victimes, j’ai réalisé que beaucoup d’entre elles avaient des attentes similaires, par exemple : je veux que lui ou elle se rendent compte du mal qu’il m’a fait, je veux qu’il me dise qu’il n’aurait jamais dû faire ça, j’aimerais de nouveau me sentir en sécurité, j’aimerais passer à autre chose, tourner la page. Cela se retrouvait chez toutes les victimes que j’ai rencontrées et en plus c’était documenté. Le sujet était donc idéal : une forme de justice qui réponde enfin aux besoins qui sont exprimés par les premiers concernés.

Pourquoi la justice restaurative reste peu connue ?

Je pense qu’il y a une méfiance en Suisse à l’égard de ce qui est nouveau et dont on croit que cela vient de l’étranger. Or, c’est quelque chose qu’on connaissait sous nos latitudes, au Moyen Age. A l’époque, pour beaucoup de cas concernant ce qui est aujourd’hui une infraction, il y avait beaucoup d’accords transactionnels qui étaient signés entre la victime et l’auteur de l’infraction sous forme de « pacte de paix » ou de médiation. Puis l’idée que la sécurité doit passer par la sanction a gagné du terrain. La sanction exemplaire reste très marquante dans notre histoire continentale européenne. A chaque fois que le souverain voulait assurer une certaine forme de sécurité, que ce soient les empereurs romains du Bas Empire, Charlemagne, ou d’autres rois après lui, ils instauraient des lois pénales répressives avec des sanctions assez fortes face à toutes celles et ceux qui troublaient l’ordre public, tout en interdisant les transactions privées. Et donc, nous avons cette idée, en termes criminologiques, que plus la sanction est élevée, plus il y aura de sécurité dans la société. En fait, nous opposons ces deux concepts, c’est-à-dire que nous allons considérer que c’est soit l’un soit l’autre. Je me suis toujours inscrite en faux par rapport à cette croyance que c’est soit justice pénale soit justice restaurative. Nous avons cette croyance, erronée à mon avis, que permettre à des personnes de se parler est un signe de faiblesse, qu’il vaut mieux être dur avec le crime, envoyer le criminel en prison. 

Vous diriez que la justice restaurative est plutôt une alternative à la justice pénale ou un apport voire un complément ? 

En fait, je suis quelqu’un d’assez pragmatique. J’ai donc justement essayé de savoir si la justice restaurative peut remplacer la justice pénale.  Or il se trouve que le Code pénal contient un certain nombre d’interdictions de comportements tels que tuer, voler, violer mais aussi injurier, lire le courrier de quelqu’un d’autre etc. Et en fait, quand nous analysons ces règles-là, on se rend compte qu’il y a en a un certain nombre qui ne protègent pratiquement que des intérêts privés. Par exemple, protéger l’honneur de la personne contre des injures est essentiellement un intérêt privé. A côté de ces infractions, il y a des infractions qui protègent certes un intérêt privé mais aussi un intérêt public. Par exemple, le viol contrevient à l’intégrité sexuelle de la personne mais nous considérons que c’est aussi un intérêt public d’interdire, de manière générale, qu’il y ait des rapports sexuels sous contrainte. Donc ma position a toujours été de dire que si la norme ne protège que les intérêts privés et que justice restaurative se met en place entre deux particuliers, la justice pénale n’a pas besoin d’intervenir, puisque les intérêts privés ont pu être satisfaits dans le cas de la justice restaurative.  En revanche, si nous considérons qu’il y a eu meurtre et que la famille de la victime s’entend avec le meurtrier, peut-être que leurs intérêts privés seront apaisés à la suite de la médiation ou de la justice restaurative, mais l’intérêt public, lui, demeure. Comment dès lors répondre à cet intérêt public ? Nous ne pouvons pas faire l’économie de la justice pénale. Je pense qu’il y a quand même toujours dans la société dans laquelle on vit un besoin de sanction face à des comportements antisociaux, comme le meurtre. Mais est-ce que qu’il s’agit d’un intérêt public, d’un intérêt privé ou est-ce un intérêt public/privé ? C’est une décision politique et le reflet d’un choix de notre temps. Je reviens à l’histoire : dans les premiers temps de la période romaine, c’est-à-dire sous la royauté, il n’y avait pratiquement aucune infraction de droit pénal public. Il y avait le parricide, il y avait l’atteinte faite aux dieux à travers la profanation d’un temple, par exemple. Cela concernait les affaires de droit pénal qui justifiaient une sanction, tout le reste étaient considérées comme des histoires entre des personnes, relevant de leurs intérêts privés. Par conséquent, il n’y avait pas de sanction à l’encontre de la personne qui faisait du mal à l’autre, juste un devoir de réparation. C’est un peu ma manière de justifier une certaine complémentarité des deux en termes d’intérêts. Si nous voulons instaurer la justice restaurative à travers la lorgnette du droit pénal, il faut rappeler que celle-ci va s’occuper des intérêts privés, et des intérêts privés seulement. Mais la justice restaurative voit beaucoup plus de choses que le droit pénal. Le droit pénal regarde l’auteur, la culpabilité et met une sanction. La justice restaurative voit l’infraction : le mal qui est fait à la victime, à la famille de la victime, à l’auteur aussi, à la famille de l’auteur et à la société en général. Et toutes ces personnes atteintes ne peuvent pas toujours convertir leur dommage en action pécuniaire. Certes, nous pouvons dans le procès pénal demander des dommages et intérêts et mettre un prix sur le tort moral causé ; par exemple, un montant sur des lunettes cassées à réparer. Mais nous n’allons pas réussir à réparer ou même monétariser le sentiment d’insécurité de la victime. Qu’est-ce que nous pouvons faire pour réparer tous les types de dommages auprès de toutes les personnes concernées ? La justice restaurative est beaucoup plus large, en fait. C’est un modèle de justice beaucoup plus compréhensif qui appréhende plus d’aspects de l’infraction qu’uniquement l’action de l’auteur, sa culpabilité et la sanction correspondante.

Donc ça serait une sorte d’utopie de dire que la justice restaurative suffit ?

Oui. Je vois les juges, je vois les procureurs, je vois les parlementaires, cela n’arrivera pas. Donc que pouvons-nous faire en attendant ? C’est une approche, comme je l’ai dit, pragmatique. La justice restaurative propose un complément et si, ensuite, les acteurs de la justice pénale considèrent qu’il n’y a pas lieu de prononcer une sanction, alors ils peuvent s’en abstenir, dans les limites légales.

Quelle est la place de la justice restaurative en prison, lieu régi par la justice pénale ? 

Il y a deux associations en Suisse qui font de la justice restaurative :  le Swiss RJ Forum [1], présidé par Mme Claudia Christen Steiner, et AJURES [2] dont je suis la présidente. Nous avons un certain nombre de programmes dans différentes prisons qui concernent des auteurs mineurs et adultes, à travers soit des dialogues restauratifs en groupe, c’est-à-dire des détenus qui rencontrent des victimes, soit des détenus qui vont rencontrer des proches, soit des médiations détenus-victimes. Nous approchons généralement la sphère politique d’abord, puis, en cas d’accord, nous redescendons vers les dirigeants des services pénitentiaires et des prisons pour suggérer une collaboration. Les personnes qui travaillent en milieu pénitentiaire sont des personnes très motivées à tester de nouvelles approches dans un but de resocialisation. Il y a une vraie ouverture de la part du milieu pénitentiaire à des approches complémentaires, nouvelles et tout ce qui peut leur apporter quelque chose pour accompagner le détenu vers sa sortie de prison.

Il existe une nouvelle stratégie vaudoise de réinsertion 2030, et dans le communiqué de presse de l’Etat de Vaud il est question d’un partenariat avec l’AJURES. Qu’est-ce que ça veut dire dans leur esprit ?

Ça veut dire qu’ils continuent à nous laisser avoir accès aux prisons, aux détenus, nous laisser présenter en fait les outils de la justice restaurative, et nous laisser préparer et encadrer des rencontres avec des détenus et des personnes hors du milieu carcéral.

Donc faciliter le processus. Vous pensez qu’ils sont convaincus ?

Je pense que oui. J’ai vraiment une impression de sincérité tant de la part de Vassilis Venizelos [3] que de Raphael Brossard [4] et des personnes qui travaillent avec eux. Je pense qu’il y a une volonté d’essayer, et c’est ça que je trouve très encourageant. Je pense qu’on sort petit à petit de la période très sécuritaire, marquée par les affaires médiatisées qui nous ont tellement secoués, et qui dans le milieu pénitentiaire ont conduit à plus de fermeture. Là je crois qu’on reprend un petit peu espoir dans la capacité de tester de nouveaux programmes de réinsertion. Je trouve très encourageant, je trouve que ce sont des personnes qui sont bien. J’ai confiance.

Je voulais revenir sur l’aspect temporalités de la justice restaurative. Y a-t-il un moment plus propice pour entamer le processus : avant/pendant/après le cours de la justice pénale ?

Je pense qu’il y a de tout en fait. Si nous envisageons la procédure pénale comme quelque chose qui intervient immédiatement après l’infraction, je pense que la justice restaurative peut intervenir avant ou pendant si ce sont des petites infractions. En théorie, elle peut intervenir n’importe quand. Il arrive que des victimes nous contactent en disant, « j’ai été abusée, violée il y a 30 ans, 15 ans, 10 ans par telle ou telle personne, je n’ai jamais déposé plainte, j’ai besoin de discuter, j’aimerais échanger, est-ce que vous pouvez m’aider ? ». Et donc là, on est avant, formellement, il n’y a pas eu de procédure pénale. En fait, le temps de la procédure pénale et le temps de la reconstruction de la victime n’ont rien à voir. La procédure pénale suit son cours, elle a ses propres exigences, ses propres échéances. Donc la victime peut, à un moment donné, se dire : je veux le procès pour pouvoir tourner la page mais, en fait, la procédure, elle, s’étend sur des années. Elle reste ouverte, il faut aller re-raconter son histoire, il faut se replonger à chaque fois là-dedans et à chaque citation à comparaître, la victime peut trouver cela horrible. Pour prendre l’exemple d’une jeune fille qui disait « j’allais au cours et puis, dans le bus, je recevais des mails de l’avocate qui m’envoyait des citations à comparaître. Je n’étais jamais tranquille, ça revenait tout le temps, donc c’était très dur, et quand enfin le jugement arrive, alors qu’on a fait un peu de chemin et que ça va mieux, il faut retourner au procès pénal ». Ça ne va pas, en fait, en termes de temporalité. La justice restaurative, elle, est à disposition. La victime ou l’auteur d’ailleurs peuvent avoir envie de discuter d’autres aspects avant, pendant ou après. Évidemment qu’on arrivera plus facilement à attirer l’auteur dans un processus de justice restaurative si nous sommes avant ou pendant parce qu’il espère y gagner quelque chose quant à l’issue de la procédure pénale. En même temps, il y en a quand même pas mal en prison qui se disent « j’ai quand même toujours ce regret d’avoir fait du mal à cette personne, j’aimerais bien pouvoir m’expliquer, j’aimerais bien pouvoir m’excuser », il y a quand même cette volonté-là. Mettre la justice restaurative à disposition me paraît élémentaire. S’il y a des gens qui veulent s’excuser, pourquoi on ne la mettrait pas en place ? Mais selon mon expérience, s’il y a une procédure en cours ça pollue un peu le processus. C’est-à-dire que les victimes vont se dire que l’auteur ne participe que pour obtenir une décision favorable. C’est aussi difficile pour l’auteur, dans le cadre du processus de justice restaurative, d’être complètement sincère s’il craint que ce qu’il dit sera utilisé contre lui dans la procédure pénale. Et parfois les victimes souhaitent que l’on termine la procédure pénale, puis par la suite discuter des aspects qui n’ont pas été traités dans la procédure pénale. Après, pour toutes les infractions poursuivies sur plainte ou celles qui concernent comme je l’ai dit majoritairement des intérêts privés, de personnes, je trouve que ce serait génial si le procureur suspendait la procédure pénale pour permettre aux parties d’échanger. Et si elles y arrivent, il peut classer l’affaire, et tout le monde y gagne : le procureur, du temps, la victime, une réponse qui lui paraît juste, et l’auteur évite une condamnation. 

Mais les crimes violents ça change la donne ?

Oui, comme je l’ai dit à l’égard des intérêts publics qui restent à satisfaire. Et il faut nuancer. Il y a des gens qui peuvent très mal vivre des campagnes de diffamation sur internet – soit des atteintes à l’honneur poursuivies sur plainte. D’un autre côté, il y a des gens qui peuvent se relever de quelque chose de très grave et considérer qu’il n’y a pas d’intérêt à la sanction. J’ai entendu une fois une psychologue raconter avoir vécu un viol il y a des décennies, mais dire, en même temps, que ça faisait « partie de mai 68 » et « du package de la révolution sexuelle », et donc qu’à l’évidence elle pensait qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre l’auteur pour viol.

Si on reprend la dichotomie auteur-victime au cœur de la justice restaurative est-ce qu’on n’essentialise pas ces deux parties en les figeant dans ces rôles ?

Dans les premiers temps de la médiation pénale, il arrivait qu’on y traite justement d’affaires dans lesquelles les rôles n’étaient pas si clairement définis. Il y a des cas dans lesquels il y a plainte, puis contre plainte, et les faits ne sont pas clairs. Dans ces cas aussi, la justice restaurative peut permettre aux parties d’obtenir une forme de satisfaction par l’échange. Mais pour vous répondre, c’est vrai que ces rôles ne sont pas toujours clairement définis. Dans d’autres cas toutefois, les rôles sont clairs dès le départ, et la participation à un processus de justice restaurative permet justement à la victime de reprendre le pouvoir, de confronter l’auteur, pour justement décoller cette étiquette de victime. D’ailleurs souvent, elles se désignent par la suite comme « ancienne victime ». Pareil pour l’auteur, les processus visent justement à leur permettre de montrer qu’ils ne sont pas « que » des auteurs d’infractions, mais aussi des personnes qui, certes ont commis une infraction, mais qui peuvent aussi se montrer honnêtes. 

Souvent l’auteur est victime lui-même ?

Je crois qu’il y a un présupposé de base, un principe essentiel en justice restaurative, qui est de dire qu’on peut être une personne bonne et faire quelque chose de mal. On cherche à détacher l’acte de l’auteur et séparer la victimisation de la victime. Mais il faut quand même faire attention à ce que ce détachement passe par une certaine forme de reconnaissance. En prenant l’exemple du viol, il est très frappant de constater que les victimes commencent par avoir de la peine à se rendre compte que, premièrement, c’était une infraction et que, deuxièmement, elles ont été effectivement victimes. Et puis après elles explorent ou plutôt doivent vivre avec le statut de victime, pour ensuite pouvoir passer par-dessus. Beaucoup de victimes vont dire ne pas être une victime parce qu’elles n’en sont plus une. Ou, en d’autres termes : « Oui, ça m’est arrivé, mais je ne me définis pas à travers cet acte ». C’est comme une sorte de tunnel par lequel il faut passer. Pour l’auteur c’est la même chose, c’est–à-dire qu’il peut s’auto-apitoyer, se dire que la vie a été injuste avec lui, qu’il a « juste », braqué cette supérette, que cela n’a pas duré longtemps, qu’il n’a blessé personne et pourtant, a été condamné à 5 ans de privation de liberté. Il faut le ramener à la situation en disant « regardez la personne qui était derrière la caisse : elle n’a pas pu aller travailler pendant deux ans et demi à cause de vous, elle n’a pas dormi ». Il faut passer par la prise de conscience de ce qu’il a causé, et ensuite, pouvoir se distancier de ça, changer petit à petit la manière de percevoir l’acte commis, reconnaître ce qui a été fait. L’objectif est de permettre à l’auteur de se dire : « C’est moi, ça m’appartient, c’était une erreur grave, mais maintenant je veux me distancier de ça et je veux montrer que je peux faire quelque chose de bien ». L’avantage de la justice restaurative, c’est qu’on va mettre dans les mains de la personne la responsabilité de réparer. Certes, la personne admet son acte, mais on lui demande également de proposer quelque chose pour réparer. Et cela est très empowering et responsabilisant. Il y a un aspect de validation. L’auteur va pouvoir démontrer qu’il a changé, qu’il est (aussi) une belle personne, un citoyen capable de vivre sans commettre d’infraction. Il est très intéressant de noter l’argument principal mis en avant par les détenus qui abandonnent la carrière criminelle après être passés par un processus de justice restaurative. Beaucoup d’entre eux disent que ce qui les a vraiment aidés, c’était avoir quelqu’un qui les traitait comme un être responsable, qui les regardait comme une personne et qui, donc, leur a permis de changer leur propre regard sur eux-mêmes. En fait, on détache l’acte, la victimisation des personnes que ça concerne et en même temps on redonne du pouvoir à ces personnes ; on va permettre à la victime de décider. On rejette l’idée qu’il faut la mettre sous une petite cloche de verre pour la protéger. On va reconnaître l’idée qu’une personne, si elle le souhaite, est capable de confronter l’auteur et lui réclamer des comptes. Et on permet à l’auteur, s’il l’accepte, de reconnaître qu’il a fait du mal et d’offrir quelque chose de bien dans le cadre de ce processus-là.

Et dans le même ordre d’idée, est-ce que le script du dialogue auteur-victime n’est pas figé dans la séquence aveu, injonction aux regrets et excuses, contrition en échange du pardon.

Non, justement, je lutte contre ces attentes prédéfinies. Certaines personnes craignent justement cela, qu’il « suffit » de demander pardon, qu’on va forcément se serrer la main, et « effacer l’ardoise ». Ce n’est pas le cas. Il s’agit en fait de créer un canal de discussion entre les besoins de la victime et les besoins et les possibilités de l’auteur. Si la victime a envie de jeter un sac d’ordures sur l’auteur, au sens virtuel, et que l’auteur est d’accord de venir entendre ce que la victime a à dire, certains l’acceptent. Il y a un peu cette attente qui est très forte avec laquelle je ne suis pas franchement d’accord, où l’auteur doit déjà avoir reconnu les faits. Parce que, de nouveau, nous voulons protéger la victime et ne pas la mettre face à un auteur qui dit qu’il n’était pas là ou alors qu’elle était consentante, que c’est sa faute etc. En fait, le but du processus c’est que l’auteur reconnaisse et réalise ce qu’il a fait, la souffrance qu’il a engendrée etc., et que dans le cadre de ce processus il puisse reconnaître ses actions. Et ce travail on le fait avec lui, en amont de la rencontre ou de l’échange avec la victime. Si on part du principe qu’avant de rencontrer le médiateur ou la médiatrice, il doit déjà avoir effectué le travail pour entrer dans le processus, cela veut dire qu’on n’y croit pas tellement. Et le pardon, c’est merveilleux si cela arrive mais ce n’est de loin pas toujours le cas.

Je te pardonne c’est un acte souverain et assez vertical

Oui exactement. Mais c’est surtout une manière de décider, si on y arrive, qu’on ne laissera plus ce qui est arrivé nous ronger. Pardonner c’est aussi, surtout, couper un lien et se libérer de l’auteur. Ce n’est pas facile.

Est-ce que le/la médiateur/médiatrice peut être parfaitement neutre ?

C’est très difficile parce qu’en fait il y a ce double objectif d’accompagner la victime dans la reconstruction et d’accompagner l’auteur dans sa responsabilisation. La posture n’est pas aussi neutre que dans une médiation civile quand on discute, par exemple, du partage de la maison où on peut vraiment dire qu’on soutient les deux parties. En médiation pénale c’est beaucoup plus difficile. Par exemple, quand une victime abusée enfant peut dire, en cours de processus, qu’elle a dû faire quelque chose, et l’auteur prétendre qu’il a été provoqué, le médiateur doit alors, aussi, recadrer les rôles et dire à la victime qu’elle n’a pas pu provoquer l’agression quand elle était enfant. Le médiateur doit vraiment sécuriser, préparer et cadrer ces débats. Il va demander ce qui serait le pire à entendre dans le cadre de la médiation, ce que l’on fait si cela arrive, si on interrompt l’échange ; et il va baliser ceux-ci. 

AJURES aura bientôt 10 ans. Quel est le bilan, les points forts et les points faibles ? 

Nous avons de très bonnes nouvelles actuellement, avec des fondations qui nous soutiennent et qui financent nos activités courantes, et nous avons maintenant des accords avec des cantons et donc des paiements par les cantons qui reconnaissent notre travail. Les points négatifs sont le fait que les autorités politiques changent et que nous devons à chaque fois convaincre d’autres interlocuteurs. Il y a un côté Sisyphe, où il faut régulièrement tout recommencer, communiquer et sensibiliser de nouvelles personnes ; cependant, les points positifs c’est qu’en fait cela fonctionne. Dans le passé nous avons commis des erreurs et en avons tiré des leçons sur la manière de communiquer avec les autorités, d’échanger avec elles, d’accepter des contraintes, de ne pas avoir une posture trop idéaliste sur les processus. Nous avons beaucoup diversifié notre offre et actuellement, nous sommes à un moment charnière : nous travaillons avec de plus en plus de monde et nous créons des formations, ce qui est super positif.  Nous avons également mis en place un CAS [5] en justice restaurative à Fribourg, qui est vraiment une très bonne formation et qui est très plébiscitée par les personnes qui la suivent. En outre, nous avons eu beaucoup de chance avec le film français « Je verrai toujours vos visages » qui nous a beaucoup aidé et ouvert tellement de portes. Donc le bilan est largement positif.

Notes

[1] https://swissrjforum.ch/france/default.html

[2] https://ajures.ch/

[3] Chef du Département de la jeunesse, de l’environnement et de la sécurité

[4] Chef du Service pénitentiaire vaudois

[5] Certificate of Advanced Studies