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Mesures policières de lutte contre le terrorisme: quand la volonté de répression l'emporte sur les droits humains et l'État de droit

Le 13 juin 2021, la Loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) a trouvé une majorité populaire de 59.5%. Derrière un nom pouvant paraître rassembleur se cache cependant une réalité moins attirante. Retour sur l’adoption d’une loi contraire à de multiples principes fondamentaux de notre ordre juridique.

Déjà lors des débats parlementaires, les voix s’élevant contre le projet de la MPT furent nombreuses. Plus de 60 expert·e·s en droit des universités suisses adressèrent une lettre ouverte à tou·te·s les Parlementaires, les mettant en garde contre les aspects « particulièrement problématiques » sous l’angle juridique du projet de loi [1].

Parmi les critiques, des incompatibilités avec la CEDH [2], par exemple concernant l’assignation à résidence, ou encore des contradictions avec la Convention relative aux droits de l’enfant, du fait de l’application de mesures policières à des enfants dès l’âge de 12 ans. Dans une lettre de seize pages, puis dans une seconde communication officielle, des expert·e·s de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en matière de droits humains ont également critiqué une loi s’inscrivant en contradiction avec les droits fondamentaux.

Une définition du terrorisme excessivement large

Il n’existe pas de véritable consensus autour de la notion de terrorisme, qui dépend notamment d’aspects politiques et historiques. En effet, la frontière entre actes terroristes et actions menées contre un gouvernement dans le but d’obtenir certains droits est parfois ténue. Dans ce contexte peu clair et propice aux amalgames, la MPT propose une définition du terrorisme excessivement large [3], ce que ne manquent pas de critiquer les expert·e·s universitaires, pour qui l’imprécision de la définition conduira à une application arbitraire. Alors que l’on peut se demander, non sans inquiétude, quels types d’activités seront dorénavant considérées comme «terroristes», des spécialistes des Nations Unies ont pour leur part qualifié la MPT de «dangereux précédent pour la répression de la dissidence politique» [4].

Une nécessité contestée

Tandis que le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale ont défendu la loi avec l’argument de la nécessité d’adopter rapidement de telles mesures policières, de nombreuses voix ont remis en cause l’effet de ces dernières. Au terme d’une étude, deux chercheurs de l’Université de Lausanne sont par exemple arrivés à la conclusion que l’arsenal pénal actuel est suffisamment performant et détaillé [5]. En d’autres mots, la MPT n’apporterait pas de meilleure protection, mais restreindrait simplement les garanties procédurales et remettrait en cause de grands principes de notre ordre juridique tels que la proportionnalité ou l’État de droit.

L’autre face de la prévention

Plutôt perçue positivement lorsqu’il s’agit d’éducation ou de programmes spécifiques, la prévention peut aussi comporter une face plus sombre: une atteinte évidente aux droits fondamentaux. En effet, l’assignation à résidence, l’obligation de participer à des entretiens, l’interdiction géographique et les autres mesures prévues dans la MPT portent inévitablement atteinte aux droits fondamentaux des personnes à qui elles sont adressées. Pour qu’elles soient justifiées, des conditions clairement définies doivent donc être réalisées, parmi lesquelles le respect du principe de proportionnalité. Or le cercle de destinataires trop vaste et imprécis de la MPT met à mal ce principe constitutionnel [6].

De plus, la prévention atteint ses limites lorsqu’elle permet de sanctionner des personnes en amont de la commission d’actes constitutifs d’infraction. Les mesures policières préventives ne doivent pas remplacer les procédures pénales et leurs garanties procédurales, sans quoi l’État de droit ne serait pas respecté. Le caractère répressif de certaines mesures prévues par la MPT paraît donc hautement critiquable.

Répression et droits humains

Dans leur argumentaire, le Conseil fédéral et le Parlement relevaient la nécessité de la MPT pour défendre les valeurs – notamment démocratiques – de la Suisse. Il peut certes être admis que des actes terroristes vont à l’encontre de la paix sociale et des valeurs d’une société. Mais il apparaît tant contestable que contradictoire de faire fi des garde-fous essentiels que sont les instruments de protection des droits humains au nom d’une lutte contre le terrorisme. Ouvrir la porte à de nouvelles mesures policières préventives particulièrement étendues pour répondre à une menace terroriste, c’est perdre foi en l’État de droit. Ôter des garanties procédurales à des auteurs soupçonnés d’actes terroristes, c’est basculer dans un système plus arbitraire et orienté sur l’unique répression. Fort heureusement, les nombreuses organisations qui se sont opposées à cette loi surveilleront sans doute son application avec une grande attention.

L’adoption de la MPT ouvre ainsi une discussion plus globale portant sur la gestion de la criminalité et sur son lien avec les droits humains. Une fois de plus, le monde politique a opté pour une approche orientée vers la répression. Et une fois de plus, cette approche a su séduire une majorité de votant·e·s. Mais est-ce vraiment le meilleur moyen d’appréhender les questions complexes et multifactorielles que posent le terrorisme, comme toute autre forme de criminalité? L’effort de prévention ne devrait-il pas se concentrer davantage sur la limitation des facteurs de risque plutôt que sur de nouvelles mesures coercitives? Et quelle est aujourd’hui la place des droits humains dans le système des mesures policières? Autant de questions qui pourront être discutées lors de la manifestation à l’occasion des 10 ans d’Infoprisons.

Florent Morisod

Références

[1] Lettre ouverte des expert·e·s universitaires en droit. Pour d’autres critiques: Patrice Martin Zumsteg, Das geplante Bundesgesetz über polizeiliche Massnahmen zur Bekämpfung von Terrorismus (PMT) – Verfassungsgrundlage und Verfahrensrecht, sui generis 2021, S. 125 ; Jean Zermatten et Philip D. Jaffé, Les droits de l’enfant sacrifiés au profit de la lutte contre le terrorisme?, Opinion, Le Temps, 25.05.20.

[2] Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

[3] Cf art. 23e al. 1 MPT.

[5] Cf L’étude qui décortique l’arsenal pénal antiterroriste en Suisse, Le Temps, 10.05.21.

[6] Cf Markus Mohler, PMT-Gesetz: Wichtige Bestimmungen sind weder verfassungs- noch EMRK-konform, sui generis 2021, S. 135.