Infoprisons

Féminisme et abolitionnisme pénal - Les femmes face à la prison

Si l’abolition du système pénal et le féminisme semblent être deux thématiques éloignées, la professeure Gwenola Ricordeau va à l’encontre de cette idée et souligne dans son ouvrage « Pour elles toutes : femmes contre la prison », les effets négatifs du système pénal, spécialement à l’encontre des femmes, qu’elles soient victimes, judiciarisées ou proches de personne détenue. À l’occasion de son exposé, Gwenola Ricordeau met en lumière que le système pénal n’est pas une aide contre les violences structurelles faites aux femmes. Elle plaide ainsi pour une abolition du système pénal, tout en offrant des pistes de réflexion pour s’en émanciper.

Gwenola Ricordeau rappelle d’entrée que sa lutte et celles des autres abolitionnistes est intersectionnelle : la prison sert l’ordre capitaliste, le patriarcat, le racisme systémique.

Elle offre ensuite une lecture poignante du texte d’introduction à son ouvrage « Pour elles toutes : femmes contre la prison ». Son livre se veut une mise à l’épreuve du système pénal et de la prison d’un point de vue féministe. Gwenola Ricordeau explique que les idées féministes qui plaident pour un durcissement des sanctions à l’encontre des hommes reconnus coupables de violences sur les femmes, ne sont en réalité pas favorables à la cause de ces dernières. Derrière un homme incarcéré, se trouve toujours, les exceptions étant très rares, une femme : une fille, une sœur, une épouse, alors victime elle aussi du système pénal. Ce constat permet de poser des questions tant politiques que théoriques et de les adresser aux courants dominants du féminisme. Gwenola Ricordeau interroge dès lors la stratégie des courants dominants du féminisme, qui appellent à davantage de criminalisation, de pénalisation et d’innovations en matière pénale. Faisons-nous alors fausse route en nourrissant le populisme pénal ?

Qu’est-ce que l’abolitionnisme ?

Il y a une vingtaine d’années, Gwenola Ricordeau a été confrontée aux rigueurs de l’incarcération lorsque des personnes proches sont passées par la prison. C’est ainsi qu’elle est devenue abolitionniste, saisie par le scandale de l’existence de la détention. Car même si leur horizon n’est pas obstrué par des barreaux de prison, les proches deviennent victimes d’une peine que personne ne prononce. S’en est suivie la critique du système pénal et la découverte du courant politique de l’abolitionnisme pénal, qui existe depuis les années 70. L’abolitionnisme n’a pas pour objectif de proposer des options afin d’amoindrir les effets négatifs du système pénal, mais est davantage un mode de pensée visant à mettre en doute le système pénal. Ainsi, les abolitionnistes veulent abolir le droit pénal, mais également le système pénal. La police est à ce titre également une « cible abolitionniste ». En effet, il est difficile d’avoir une réflexion radicale sur la prison sans une

réflexion sur la police, premier maillon de la chaîne judiciaire et sécuritaire.

La thématique au cœur de l’exposé s’articule autour du thème « Système pénal et femmes: quels gains, quels effets ? » Si Gwenola Ricordeau est bien consciente que les grammaires peuvent être différentes entre la France, dont elle vient, et l’Amérique du Nord où elle réside désormais, les grandes tendances sont bien occidentales selon elle. Elle dégage trois typologies de femmes : les victimes de préjudices, les femmes judiciarisées et les femmes en tant que proches de personnes détenues.

À qui profite les réformes ?

Le terme de victimation est neutre et caractérise un état de fait, c’est donc celui que la professeure emploie. Pour illustrer ce point, Gwenola Ricordeau rappelle les écrits Ruth Morris, avocate de l’abolitionnisme pénal, sur les besoins des victimes qui s’élargissent au-delà du champ pénal. Son texte le plus connu met en avant le fait que les victimes sont celles du capitalisme, du racisme systémique et du patriarcat. Il y a un besoin de vérité et de reconnaissance de la part des victimes. Et si certaines voient leur préjudice reconnu et que la vérité advient lors d’une procédure pénale, c’est plutôt rare. La procédure pénale ne prenant en effet pas en compte toutes les oppressions existantes, elle est incapable de répondre aux besoins de nombreuses victimes.

Les besoins sont donc plus complexes que ceux auxquels la pénalité entend répondre. On peut citer: le besoin de réparation, le besoin de sécurité, le besoin de donner du sens à un préjudice. Sous cet angle, un système pénal qui recourt à l’emprisonnement comme solution à un préjudice est mal armé pour répondre à ceux des victimes. Ce n’est d’ailleurs pas le rôle de ce système. Faire ce constat, c’est nourrir l’imagination abolitionniste, penser à d’autres manières de faire.

Les femmes judiciarisées

Lorsqu’on regarde qui sont les femmes judiciarisées, pour quels faits et comment elles sont criminalisées, on découvre qu’un homme est souvent impliqué dans leur parcours. Beaucoup de femmes détenues ont été victimes de violences conjugales, domestiques et/ou sexuelles. Cette victimation a eu un poids dans leur trajectoire sociale, sans forcément avoir de lien avec l’acte pour lequel elles sont condamnées. Les femmes sont plus souvent que les hommes condamnées pour des actes qui ont une motivation altruiste : tel que voler pour leurs enfants ou l’achat d’un produit stupéfiant pour un partenaire. Une dynamique de genre est ainsi au cœur des trajectoires sociales et actes délictuels et criminels des femmes. Un fait qui devrait interpeller les mouvements féministes et montrer l’urgence d’une solidarité avec les femmes criminalisées et judiciarisées.

Les femmes en tant que proches d’une personne détenue

Aux portes des prisons, ce sont essentiellement des femmes que l’on voit et rencontre. Au parloir, c’est une expérience de femme qui se vit. Une situation qui n’est pas trop modifiée par le genre : devant les prisons pour femmes, la situation est très similaire et les hommes sont rares dans tous les cas. Par ailleurs, un devoir de solidarité est projeté sur les femmes et attendu d’elles. Cette question liée au rôle de la femme fait apparaître la prison comme un enjeu dont les mouvements féministes ne se sont que peu emparés.

Les femmes en tant que victimes

Gwenola Ricordeau pose finalement la question des réformes pénales, et de qui en bénéficie. Ces dernières ne profitent pas forcément à celles et ceux pour qui elles sont pensées ou semblent l’être. L’histoire de la prison, selon les réformateurs, est celle d’une amélioration, d’une humanisation. Or, les nouvelles prisons sont bien souvent construites éloignées de la ville, et, sous couvert des conforts matériels qu’elles proposent, sont de plus en plus inhumaines (le matériel ne remplaçant pas le lien ni la liberté) et offrant de moins en moins d’espace pour des solidarités.

Enfin, vient le problème du complexe caritativo-industriel. C’est un concept qui a été théorisé par Insight Prison Project [1], active aux Etats-Unis. Ce concept illustre comment de nombreuses associations et ONG s’occupent des prisonniers et des proches. Cette institutionnalisation des luttes ne va pas toujours dans le sens de la construction de la solidarité. Il y a un marché de l’aide, qui mène parfois à des formes de pathologisation avec une course aux subventions, un besoin de se positionner sur le marché de la charité et de la philanthropie.

exposé résumé par David Kneubühler

Références

[1] Insight Prison Project : organisation non-gouvernementale qui propose un suivi social et psychologique pour auteurs d’infraction et victimes dans le processus de réintégration et rétablissement. Cette organisation propose également des formations pour ceux qui souhaitent se former à la justice restaurative. $700 pour apprendre comment être un bénévole de justice restaurative.