Infoprisons

Quelques notes d’espoir pour l’avenir ?

La délicate tâche de réaliser une synthèse de ces deux jours de réflexion est revenue à Maître Mahaim, avocat et député au Grand Conseil vaudois. Il retient trois idées fortes et nous offre une conclusion pleine d’espoir et d’ouverture pour l’avenir de nos réflexions sur la prison et le système pénal. Car les débats sont loin d’être ter- minés, mais en reprenant les mots du philosophe Henri Bergson, « l’avenir, ce n’est pas ce qui arrive mais ce que l’on décide de faire ». Des mots qui font particulièrement écho au travail du Groupe Infoprisons ; un travail de recherche, de réflexion et d’engagement, et qui ont également ponctué ces deux journées du 1er et 2 octobre.

La prison, le paroxysme de la fracture sociale

« La prison c’est le rejet de la société. Isolement physique, qui devient isolement social, qui devient isolement émotionnel puis géographique. La prison c’est la mort. La prison c’est la déshumanisation, c’est la dépersonnalisation. Au fond, on ôte l’humanité à une personne, à qui on reproche des actes. Et au moment où il se rend en prison, il perd cette part d’humanité ». Maître Mahaim illustre alors cette déshumanisation par une histoire personnelle, vécue en tant qu’avocat. Il relate l’histoire d’un homme, son client, auteur et récidiviste d’actes contre le patrimoine. Ce dernier, après un énième acte pénalement répréhensible, prend la fuite lorsqu’il aperçoit la police devant l’école de son enfant et qui, manifestement, vient pour lui. Lorsque cet homme accepte finalement de se rendre à la justice, Maître Mahaim exprime alors avoir «vu revenir un homme transformé, un homme vide, apeuré aussi. Sans effets personnels, sans rien, sans joie. Qui venait se rendre à la prison. J’y ai vu cette illustration de cette perte d’humanité, de cette déshumanisation de la sanction ».

Quelques notes d’espoirs ponctuent néanmoins son discours et, en parallèle à cette déshumanisation, Maître Mahaim tisse des trames d’histoire où subsiste une humanité, avec ces détenus qui font «preuve d’une créativité sans borne pour renouer du lien, pour recréer de la solidarité, alors que la société, par la sanction pénale, les en avaient privé». Nous pouvons notamment évoquer les détenus politiques de la prison de Coronda en Argentine, où si résistance et résilience sont leur quotidien, l’entraide et le rire sont aussi très présents, malgré leur condition de détention. Des détenus qui, pour supporter l’extrême isolement dans lequel ils vivaient, utilisaient les fenêtres pour se parler de vive voix, même s’ils ne pouvaient pas se voir. Des fenêtres ouvertes sur le monde, la nature et sur les relations humaines, devenant avec le temps « l’instrument de communication par excellence» et où «les vitres se cassaient par accident», lorsqu’on interdisait aux détenus d’ouvrir ces fenêtres [1]. Nous pouvons également évoquer ces personnes détenues qui chantent dans les prisons palestiniennes. Des chants courageux et porteurs d’espoir. Des notes de musique qui s’échappent et s’envolent au-delà des barreaux.

La prison, un miroir grossissant de notre société

« On pourrait dire: montre moi tes prisons et je te dirais qui tu es. On a vu en Palestine, en Argentine, en Amérique du sud des prisonniers politiques, dont les droits les plus élémentaires ont été bafoués ». Maître Mahaim souligne toutefois qu’il n’est pas nécessaire de remonter si loin dans le temps ou dans l’espace pour constater que dans les prisons se trouve le «prolétariat des stupéfiants», signifiant que dans les prisons, « les gros barons de la drogue s’en tirent [alors] que les petits dealers ou les consommateurs eux ne s’en tirent pas ». Les statistiques pénitentiaires expriment également cette criante vérité, où une majorité de personnes en prison y sont pour des petites peines et des petits larcins.

« État, pays, montre moi tes prisons et je te dirais qui tu es ». Si en Suisse nous n’en sommes pas au stade argentin ou palestinien, Maître Mahaim souligne la « vigilance dont la Suisse doit faire preuve, notamment en matière de mesures thérapeutiques, douleur Suisse et grave problème». Contrairement aux peines privatives de liberté, les personnes placées dans un établissement sous mesure ne connaissent pas la date de leur libération. Et «contrairement aux courtes peines privatives de liberté qui ont connu une croissance importante, les mesures semblent avoir baissé en nombre, mais leur durée est de plus en plus longue, contribuant ainsi à augmenter considérablement la population pénitentiaire » [2].

La prison, une solution toute faite ?

« La prison est au cœur des attentes, du moins d’une partie de la société. Mais pour toutes les fonctions qui sont raccrochées à la prison, on aboutit à une impasse. Une impasse sur l’efficacité, sur l’efficience des mesures prises. Et en réalité, on ne se pose pas les bonnes questions: sur les besoins des victimes (besoin de vérité, besoin de reconnaissance), ou en lien avec la reconstitution du tissu social, à savoir comme réconcilier, comment reconstruire après un préjudice et une violence » ? Maître Mahaim poursuit ses propos en exposant ce réflexe de la société qui, face aux injustices et à la violence, n’a pour seule réponse que la répression pénale. Car derrière la prison se cache le mythe qu’une telle structure amènera toutes les solutions. Pour illustrer cette divergence entre la réalité et les attentes sociales, pour imager le mythe de la sanction pénale comme solution à tous les préjudices, Maître Mahaim expose l’histoire de Monsieur X, dont il ne connaît pas le nom, et qui se déroule au sein de la prison de la Croisée. Il relate cette scène, avec «un gardien qui fait ses adieux à un prisonnier qui, manifestement, est resté longtemps d’après les mots qu’ils échangent. Cette personne se retrouve [alors] au milieu des champs à Orbe, avec un gardien qui lui a très aimablement rendu ses affaires personnelles. Et c’est toute l’absurdité de ce retour à la vie normale qui est symbolisée par cet homme, qui se retrouve au milieu de nulle part, qui ne parle pas français, et que j’imagine sans argent sur lui. Peut-être a-t-il pu contacter sa famille? J’imagine qu’il a marché jusqu’à la civilisation. Mais cette scène est tout un symbole de cet isolement et de ce décalage, de cette inadéquation entre l’attente qu’on porte sur la prison et la réalité ».

En conclusion à son discours, Maître Mahaim offre une note d’espoir, « parce qu’on voit un certain nombre d’évolution qui nous permettent d’espérer que l’on va plutôt vers la sortie de la barbarie. Que l’on s’efforce au quotidien d’enfermer moins. Que l’on s’efforce au quotidien de réfléchir à des modalités alternatives à la sanction pénale. Quelques raisons d’espérer aussi dans le fait qu’on sent poindre çà et là une forme de révolte sourde et qui, sous nos latitudes, commence à donner de l’espoir ». Et pour cet espoir, soulignons alors les quelques perspectives qui ont été émises lors de ces deux jours de réflexion et de débat, avec notamment «cette idée de Maître Hayat de réfléchir à un observatoire des mesures institutionnelles et des mesures thérapeutiques ». Ces réflexions autour de l’urgence, qui est tout sauf théorique, « de donner des perspectives aux prévenu·es, aux détenu·es, à leur famille et aux victimes » et ainsi de changer notre vision et de prendre de la hauteur par rapport à la sanction pénale. Et finalement, « de réinventer notre manière de gérer les conflits, de se défaire de ce réflexe pavlovien qui consiste à penser que la sanction, la punition est le seul moyen de répondre au conflit. Et puis alors, pour le long terme, réfléchir à la sortie de la prison ».

exposé résumé par Lauriane Constanty

Références

[1] Collectif El Periscopio (2020). Ni fous, ni morts: prisonniers politiques sous la dictature argentine – Coronda, 1974-1979. Édition de l’Aire, Vevey.

[2] Daniel Fink, (2017). La prison en Suisse, un état des lieux. Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne.