Infoprisons

Parole libérée d’une ancienne détenue

Tout au long de notre manifestation, les voix des personnes détenues ont été entendues à travers des textes, mis en scène et en musique par des artistes: Yvette Théraulaz et Stéphane Blok, ainsi que la chorale Inmates’ Voices, accompagnée par le slameur Pablo Michellod. Par leur interprétation musicale, ils ont mis en lumière la réalité carcérale, les instants de doute ou d’espoir, les peines et les frustrations des détenu·es. Nous avons à cœur de porter la parole des personnes incarcérées, alors voici, avec ses mots, le récit de Madame M.* qui nous a partagé son vécu.

Ayant été moi-même incarcérée (pour du Via Sicura essentiellement) et marquée par cette expérience, j’en tire beaucoup d’apprentissages et d’observations. Ma vision des personnes détenues et de leur prise en charge a également beaucoup évolué.

Je suis bien évidemment d’avis à ce que chacun doive payer ses erreurs, mais je pense également que la justice, c’est payer ses erreurs une seule fois, pas deux fois ni trois fois, ni toute sa vie, mais une seule fois. Il y a déjà une double peine, celle de l’incarcération et celle des répercussions à la sortie (financièrement, socialement, professionnellement, et pour certains mais pas tous, la honte et la culpabilité qui les poursuivent). On perd vraiment beaucoup, même si c’est certainement mérité.

Sans généraliser, j’ai échangé avec de nombreuses détenues (deal, vol, consommation, tentative d’homicide et infanticide, meurtre, lésions corporelles graves..) qui ne demandaient qu’à être reconnues dans leur souffrance et encouragées individuellement à reprendre leur vie en main. Difficile à faire quand on est face à quelqu’un qui à tué un enfant ou son voisin, ou encore quelqu’un qui n’exprime visiblement pas de regrets, c’est sûr. Mais il leur reste parfois encore de l’empathie et une timide capacité de repentance. Même celles qui semblaient incorrigibles et dures étaient sensibles à des « manifestations d’humanité ». Je l’ai vu de façon concrète. Le cadre, les conditions, la procédure, les agents, tout cela accuse déjà la personne. Pas besoin que les détenues aussi se jugent et se comparent. Alors j’ai essayé de stimuler, avec méfiance et prudence (pour moi-même et pour les autres), quelques rares bonnes valeurs et qualités personnelles (travail également fait sur moi-même) et ai parfois été extrêmement surprise par leur réponse. Il y avait des manifestations de générosité inconditionnelle (rare mais possible), des moments d’encouragements à ne pas se laisser aller, ne pas continuer dans un chemin de rébellion et d’infractions malgré un sentiment d’injustice vécue et le cadre punitif, de très bons conseils de vie, une révolte légitime contre les injustices vécues en prison (inter-détenues ou entre agents et détenues)… Il y a beaucoup d’éléments échangés entre détenues qui ne le seront jamais avec le service médical de la prison ou autre intervenant carcéral, conscientes de l’observation constante et des rapports inhérents au cadre si particulier.

La mission est difficile et propre à chaque situation, mais s’il ne reste qu’une infime chance de redonner un sens à ces vies derrière les barreaux et de leur donner les moyens de le faire, peut-être que cela en vaut la peine. Peut-être que ces vies ont encore de la valeur. Certaines détenues se sont suicidées, d’autres sont revenues en prison après quelques semaines de liberté seulement… Il manque quelque chose… est-ce que le modèle actuel est réellement adapté? Chaque situation demande une compréhension, un encadrement et un soutien personnalisé, ça se sait, et pourtant c’est si difficile à mettre en place.

Le sens de la prison est la réinsertion, pas la souffrance ou du moins pas seulement. C’est pourquoi certains pays qui appliquent ce postulat ont beaucoup moins de récidivistes. Si vous enfermez les gens comme des animaux, ils vont se comporter comme des animaux. C’est évidemment plus compliqué que ça, mais je pense qu’il y a du vrai dans cette affirmation et je l’ai vu de mes yeux. La douleur et l’effet électrochoc provoqués par la privation de liberté sont des déclencheurs nécessaires, mais il faut trouver le bon équilibre afin que cela puisse donner une chance à la personne de se reconstruire, assumer et changer, pas de la détruire. Le métier de magistrat et d’expert est certes extrêmement difficile. Comment considérer et valoriser justement chaque vie individuellement tout en prenant les mesures nécessaires pour protéger la société et chaque partie. Compliqué, voire impossible.

témoignage par Madame M.

* Nom fictif