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La liberté, un véritable enjeu de politique pénale

Marie-Nathalie d’Hoop, directrice générale adjointe de la Fédération Wallonie-Bruxelles et ancienne directrice de prison, nous amène à réfléchir autour de la liberté et du sens qui lui est attribué. « Je n’arrête pas de m’occuper de la libération : libération conditionnelle, libération en essai, libération provisoire. Il y a mille et une manières de libérer, mais est-ce qu’on est très certain de savoir ce que cela veut dire, quel est l’objectif de la libération et quelle est la liberté retrouvée ? ».

Devant l’échec de se mettre d’accord sur le sens de la liberté, il y a lieu de se questionner sur la ré-adhésion de la communauté à son système de régulation.

La liberté et la délégation de la gestion du droit à la liberté

Dans nos sociétés démocratiques, la gestion du droit à la liberté est déléguée à l’État. Il y a à la fois une dépossession de se faire droit à la liberté et de se libérer du poids de devoir faire droit.

Pour illustrer la délégation de la gestion du droit à la liberté, Marie-Nathalie d’Hoop prend l’exemple de la médiation en Belgique. La médiation pénale est un effort d’accorder une plus grande place à la victime dans le procès pénal, ainsi qu’à la réparation du lien social brisé par l’infraction. Ce processus amène à réfléchir sur la délimitation de la justice, les statuts et les rôles de chaque participant. Dans une procédure de médiation, la victime risque de se voir porter des responsabilités: si la médiation est un échec, est-ce que le procès inclusif de la partie lésée ne risque pas de nourrir un sentiment de responsabilité chez la victime ? Au contraire, si la médiation est une réussite et que l’auteur est remis en liberté, puis récidive, est-ce que la victime se sentira coupable ?

Par ailleurs, est-ce que nous pouvons parler de réparation lorsque l’auteur est d’accord pour une contribution financière avec pour but unique de se faire acquitter et de passer à autre chose? Du côté des victimes, qu’en est-il des femmes qui acceptent une résolution du conflit avec leurs agresseurs uniquement pour assurer une stabilité financière pour leur enfant? Est-ce à elles de porter la responsabilité de la résolution du conflit ?

« Déléguer la gestion de nos droits est une manière de pouvoir se délester en tant qu’auteur ou partie prenante du fait de dire le droit ou de l’exécuter». C’est ainsi au magistrat et au fonctionnaire à qui revient la tâche d’arriver à une décision permettant une pacification du vivre ensemble. Ces derniers aurait ainsi comme conséquence de prendre la responsabilité collective en cas d’échec ? En cas de récidive, la responsabilité ne peut être portée par un magistrat de la justice pénale, ni

par une victime ou par une autre partie au procès. Face à ce constat, il y a peut-être lieu de faire appel à la communauté et de se questionner sur ce que les citoyens attendent de l’État dans son rôle de détenteur du pouvoir de faire justice.

La délégation de la gestion de la liberté soulève également des questions de délimitation des périmètres des effets de la justice. Lorsqu’on délimite la justice, on en laisse inévitablement certains de côté. Ceci est manifeste dans le cadre des infractions impactant un grand nombre de personnes. En reprenant un exemple concret d’une explosion à la suite d’une fuite de gaz qui a fait 25 victimes directes, Marie-Nathalie d’Hoop souligne la difficulté des magistrats à délimiter les parties civiles au procès, soit les personnes touchées par cet événement. Il y aura inévitablement des personnes touchées, mais exclues des procès. On y pense, p.ex., aux professionnels intervenant sur le lieu de l’explosion, mais qui ne sont pas formés à gérer des évènements extraordinaires. Ou encore, ceux qui ne sont pas touchés matériellement, mais psychologiquement en faisant face au trauma.

Les événements extraordinaires qui touchent un grand nombre de personnes illustrent bien plusieurs périmètres de compétences que la justice traditionnelle ne peut pas satisfaire. Est-ce qu’on peut trouver dans le cadre de la justice restaurative un moyen d’agir sur les autres zones de compétences ?

La Liberté donnée en retour de la co-responsabilité

Dans un effort de rapprocher l’auteur de l’infraction et la communauté, la Belgique a mis en place les peines dites « autonomes » [voir encadré]. La communauté prend en charge le rôle d’exécuter une peine prononcée par un magistrat. Ces peines tendent vers l’élargissement de la responsabilité de prise en charge des auteurs d’infraction aux différents échelons de l’État. Les pratiques liées à ces peines ont permis de faire plusieurs constats: le premier étant que ces programmes ont élargi le filet pénal. Le second est qu’elles n’ont pas supplanté les peines de prison, ni les peines financières, comme initialement prévu. En effet, il y a eu un désinvestissement de la partie communauté de la peine : pas de lien entre l’infraction commise et le lieu de prestation; pas de travail avec les communautés qui accueillent. Troisièmement, la prononciation de ces peines est devenue populaire parmi les magistrats, ce qui entraîne des temps d’attente d’exécution importants. Par conséquent, le temps entre l’infraction et la sanction est allongé.

Dans tous les cas de figure, la temporalité de l’exercice de la justice, entre le moment de la commission de l’infraction et les conséquences de la justice pénale, est «l’un des fondements de porteur de sens». Ce principe est toutefois ignoré dans les pratiques de la justice pénale. La réalité est en fait que la responsabilisation, la reconnaissance des faits, l’amendement, sont abordées à la fin de la peine. L’absence de ce travail en amont a un impact sur le regard de l’auteur par rapport à la commission de l’infraction. Pour illustrer ces cas de figure, Marie-Nathalie d’Hoop donne l’exemple d’une personne reconnue coupable de meurtre envers une personne sans- abris. Le condamné est toutefois incapable de se concevoir en tant que meurtrier : « J’ai fait de tonnes d’infractions, mais je n’ai jamais tué, c’est une erreur ! Je suis innocent, je n’ai jamais tué ». Ce blocage psychologique a été interprété comme une non-reconnaissance des faits. En conséquence, il était exclu d’un accompagnement pour préparer la fin de sa peine, sa libération. Cette exclusion touche également les sans-papiers, les sans-abris et tous ceux qui n’arrivent pas à réaliser un bon dossier de réinsertion. Ou encore pour ceux qui refusent la libération conditionnelle car elle est souvent accompagnée d’une période de surveillance dans la communauté. Toutes ces cas de figure dans les fins de peine sont des «zones d’invisibilité » pour lesquelles la société ne se questionne plus.

Distinctions entre la liberté et les libertés

Lorsque la reconnaissance des faits chez une personne fait défaut, on estime que c’est un risque de la libérer et on la laisse jusqu’à la fin de sa peine. Toutefois, « on ne pense pas au risque qu’il y a à ne pas prendre ce risque-là ». Lorsque la personne est laissée jusqu’à la fin de sa peine avec des problèmes non réglés, ces derniers tendent à se répéter. De ce fait, il y a une sorte de « condamnation à vivre ensemble ». Le vivre ensemble peut être toutefois vu comme une opportunité et non comme une condamnation. En réalité, le vivre ensemble pacifique est un impératif dans toute société. Et si cet impératif est négligé, nous risquons d’inviter la crise sociétale.

En Belgique, la justice pénale traverse une crise depuis un certain temps. Malgré cela, les questionnements autours des libertés individuelles et des libertés collectives sont sporadiques et n’interviennent qu’à la suite de grands drames criminels. C’est seulement lors de ces moments que le citoyen lambda se préoccupe de ce que fait l’État pour protéger le droit à une vie tranquille. Pourtant, le sentiment d’appartenance est primordial dans la réinsertion des individus, mais aussi pour la société qui cherche à sortir d’un trauma collectif, par exemple suite à une attaque terroriste ou à une oppression politique.

Il est ainsi essentiel d’arrêter de polariser et de nous sentir tous concernés par la vie derrière les murs et par les victimes qui se sentent parfois incarcérées dans les suites des traumatismes qu’elles ont à gérer. Pour ce faire, «nous devrions cesser de penser la contrainte comme un espace d’enfermement et oser d’aller voir les espaces d’enfermement dans nos libertés ».

exposé résumé par Melody Bozinova

Petit détour comparatif
Les peines autonomes en Belgique

Les peines autonomes instaurées en Belgique depuis 2002 sont des peines alternatives que le juge peut ordonner pour certains délits (de petite gravité). L’auteur de l’infraction doit ainsi exécuter la peine de travail lors de son temps libre. Si la mesure est réussite, l’infraction n’est pas inscrite dans le casier judiciaire. La commission de probation a pour but d’encadrer l’exécution de la peine de travail dans la communauté et peut demander la prolongation de celle-ci et la prononciation d’une amende ou peine privative de liberté en cas de non-respect des engagements. Dans ce dernier cas de figure, la peine d’emprisonnement ou l’amende prévue dans la décision judiciaire initiale est exécutée en cumulant le temps passé en travail dans la communauté. Les prestation de travail dans la communauté sont présentes dans certaines communes via les centres d’accompagnement qui choisissent.