Alors que le nombre de personnes nécessitant une prise en charge médicale, notamment dans le domaine psychiatrique, augmente dans les lieux de détention, les agent·es sont appelé·es à prendre en charge certaines tâches relevant des soins et à s’informer sur la santé des personnes détenues. Mais où se situe la frontière entre soin et sécurité, notamment en termes de secret professionnel ?
Un nouveau concept fait progressivement sa place dans les lieux de détention [1]: la sécurité dynamique. Il s’agit, en résumé, « d’un modèle de travail qui attribue aux relations entre personnel pénitentiaire et individus détenus un rôle crucial pour le renforcement de la prévention et de la sécurité dans le contexte de l’exécution des sanctions pénales » [2]. Derrière les bonnes intentions évidentes de cette manière d’aborder le travail, se trouvent aussi des questions.
Ainsi, dans le cadre de la sécurité dynamique, il est prévu que le personnel pénitentiaire identifie les groupes à risque, soit les personnes qui présentent un risque pour elle-même ou pour d’autres, ce qui peut aller de la menace au meurtre en passant par l’automutilation. Le même personnel devrait disposer d’informations sur la santé des personnes détenues, voire accomplir des tâches médicales « simples » comme la remise de médicaments. Le manuel [3] est toutefois très prudent sur ce point, relevant que toute information touchant à la santé ne peut être obtenue du personnel soignant « pour autant que le secret médical autorise la transmission des informations » [4].
Le Code pénal suisse régit le secret médical dans son article 321, qui prévoit l’ensemble des dispositions relatives au secret professionnel. Si celui-ci s’applique bien entre personnes astreintes au secret médical, les auxiliaires de ces personnes ont, dans la pratique, le droit de recevoir les informations strictement nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches. Ainsi, si un médecin ne peut pas discuter librement du cas d’une personne de sa patientèle, le personnel qui travaille avec lui doit bénéficier des informations lui permettant d’accomplir sa tâche correctement. Dès lors, la question que soulève l’approche de la sécurité dynamique est la suivante : est-ce que le personnel pénitentiaire fait partie des auxiliaires médicaux ?
Contactée pour expliciter l’aspect juridique de cette question, Regina Aebi-Müller, professeure de droit privé et de droit privé comparé à l’Université de Lucerne, répond de manière claire et nette que non. Elle confirme que ce n’est pas parce que dans l’exercice de leur métier deux personnes sont soumises au secret médical, qu’elles ont le droit d’échanger librement les informations en leur possession. Que la profession exercée en fasse une détentrice du secret médical ou auxiliaire de celui qui le détient n’y change rien.
Pour ce qui est du statut d’auxiliaire, Aebi-Müller précise que celui-ci est imposé à des personnes, comme par exemple au personnel d’un lieu de détention. Il ne donne toutefois aucun droit, mais bien un devoir de respect du secret : si le personnel sait qu’une visite médicale a lieu, cette dernière ne peut pas être révélée à qui que ce soit qui ne doit pas en avoir impérativement connaissance. Pour permettre l’échange d’informations au sujet d’un patient, son accord est nécessaire, à moins qu’un juste motif le permette. Le second cas de figure étant toutefois rare, il serait dangereux pour un médecin d’estimer qu’un juste motif est applicable sans demander un avis juridique, car toute violation du secret est pénalement répréhensible.
Dominique Marcot, médecin chef de la filière légale du département de psychiatrie communautaire et légale au Centre Neuchâtelois de Psychiatrie, abonde dans le sens de la professeure. Il rappelle les directives de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) [5], notamment la dixième qui régit la confidentialité et stipule qu’il est possible de « répondre aux interrogations légitimes du personnel avec l’accord du patient ». Si ce dernier s’oppose à la divulgation du secret médical et que la situation comporte un danger pour la sécurité ou pour des tiers et que le médecin estime qu’il doit être délié de son secret pour protéger des personnes, il peut en faire la demande à l’autorité compétente, tout en avertissant son patient. S’il y a une menace grave, concrète et immédiate envers un tiers, le médecin peut déroger au secret et avertir la personne menacée ou les autorités compétentes.
Pour le Docteur Marcot, le maintien du secret n’est toutefois pas qu’une question pénale. C’est aussi et surtout une question de confiance de l’ensemble des personnes détenues, confiance jugée comme étant particulièrement fragile en prison car toute information peut avoir des répercussions sur les décisions des autorités compétentes. Il rappelle également qu’un bon lien avec la personne détenue est primordial, car il permet d’apaiser le patient et d’éviter des péjorations de comportement qui seront sanctionnées et pourront mener à une dégradation encore plus grande de l’état psychique.
En conclusion, selon le Docteur Marcot, il faut pouvoir réfléchir et se remettre en cause, car parfois des mesures de sécurité trop immédiates et trop systématiques peuvent avoir finalement l’effet inverse. En respectant tout ce qui précède, le personnel médical s’efforce, ou devrait s’efforcer, d’aider les agent·es de détention à éviter des situations à risque, notamment en les aidant à repérer des signes avant-coureurs d’une péjoration de l’état psychique (repli sur soi, refus de médication, etc.) parmi les personnes détenues et à les traiter au mieux.
Cela ne peut toutefois pas se faire sans une collaboration entre toutes les personnes impliquées : patients, agent·es et soignant·es. Le concept de sécurité dynamique contribue ainsi à donner des ressources qui créent le cadre de confiance nécessaire à cette collaboration, mais il ne permet pas de donner de nouveaux droits aux agent·es en matière d’échanges d’informations au nom de la santé du patient ou de la sécurité du personnel.
David Kneubühler
Notes
[1] Tout au long de cet article, le terme « lieux de détention » est employé (hors citations) pour indiquer que la réflexion s’applique à l’ensemble des lieux de détention, y compris ceux qui ne font pas de la détention pénale, comme certains lieux d’exécution de mesures stationnaires ou encore les lieux de mesures et contraintes (LMC) ou de détention administrative.
[2] CSCSP, Sécurité dynamique.
[3] Ajil, Ahmed, La sécurité dynamique dans le domaine de la privation de liberté, Centre suisse de compétences
en matière d’exécution des sanctions pénales CSCSP. Fribourg, 2021 (https://www.flipsnack.com/skjvcscsp/hb_dynamische_sicherheit_fr_web.html)
[4] Ajil, Ahmed, op.cit., p.41.
[5] Biberstein, Howald Fosco, Exercice de la médecine auprès de personnes détenues, Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM), Berne, 20194 (https://www.samw.ch/dam/jcr:0957bb1b-dd74-4f3d-86d1-d5b452f8f611/directives_assm_personnes_detenues.pdf)