La révision du droit pénal en matière d’intégrité sexuelle
Les infractions contre l’intégrité sexuelle, en particulier le viol et les contraintes sexuelles, font l’objet de vifs débats, et ce depuis plusieurs décennies. C’est ainsi que diverses motions y relatives ont suscité grand intérêt, certaines visant un durcissement des peines, d’autres aspirant à une redéfinition des comportements punissables. Nonobstant, ces dispositions n’ont que peu évolué à compter de leur adoption en 1942 ; du moins, seules quelques réformes mineures ont vu le jour. Ce n’est que le 1er juillet 2024 qu’un projet bouleversant les infractions contre l’intégrité sexuelle s’est imposé, suite à quatre ans de travaux parlementaires[1]. Le cœur de cette réforme concerne notamment la redéfinition du viol et de la contrainte sexuelle dont les champs d’application se voient fortement étendus.
Les prémisses de la réforme
Les éléments déclencheurs de la réforme se sont déroulés en 2019. La problématique du consentement a été portée notamment par la campagne contre les violences sexuelles lancée par Amnesty International ainsi que par la grève féministe du 14 juin. Il s’en est suivi, dans le cadre du projet d’harmonisation des sanctions, des discussions parlementaires [2] relatives au viol, notamment concernant la suppression de la contrainte. Toutefois, il a été décidé de traiter les difficultés du droit pénal sexuel de manière séparée au sein d’un projet indépendant.
C’est ainsi que la commission des affaires juridiques du Conseil des États (CAJ-CE) a travaillé en 2020 sur un avant-projet escomptant de créer le délit d’atteinte sexuelle. Cette proposition n’a toutefois que peu séduit Amnesty International, laquelle souhaitait mettre davantage l’emphase sur le consentement et passer outre l’intensité de la violence [3].
Par la suite, en 2022, le CAJ-CE a émis une seconde proposition, laquelle prévoit notamment la suppression de la contrainte aux art. 189 s. aCP, l’introduction d’une définition non genrée du viol, ainsi que l’inclusion de toute forme de pénétration.
Le principe du projet a été accepté à l’unanimité lors de la consultation. Il y avait également consensus sur le retrait de la contrainte comme élément constitutif objectif du viol et de la contrainte sexuelle. Néanmoins, demeurait litigieuse, la problématique du consentement ainsi que la manière de le manifester. En effet, les propositions suivantes s’opposaient.
« Oui c’est oui » ou « non c’est non » [4]
« Oui c’est oui », aussi appelé la solution du consentement, prévoit qu’un acte sexuel n’est licite que si toutes les personnes y participant manifestent leur consentement. Il en découle que la victime n’a pas à démontrer son refus puisqu’une obligation positive d’information pèse sur l’auteur, tenu de s’assurer de l’accord de son partenaire. Une partie de la doctrine critique cette alternative, arguant qu’il s’en suivrait un renversement du fardeau de la preuve et une mise à mal de la présomption d’innocence. Néanmoins, ceci a été relativisé dans la mesure où il incomberait au procureur de prouver que l’absence de consentement était ou aurait dû être comprise par le prévenu. En outre, lors des débats, le cœur du litige se rapporterait aux mesures que l’auteur a pris pour s’assurer du consentement de son partenaire ainsi que des raisons lui ayant fait croire que consentement il y avait. A noter que la non-réaction de la victime ne saurait être déterminante comme moyen de défense.
« Non c’est non », dit aussi solution de refus, prohibe les actes sexuels perpétrés intentionnellement et contre la volonté de la victime. Ainsi, l’on présume que les rapports sexuels sont licites, qu’ils ont lieu avec le consentement des différentes parties et ne constituent pas une atteinte. Néanmoins, il suffirait que l’intimé manifeste son refus à son partenaire, ce de manière expresse ou tacite, pour que l’acte devienne illicite. Ceci astreint la victime à démontrer de manière suffisamment claire sa désapprobation. Ainsi, à l’inverse de la première proposition, la simple passivité ne saurait être assimilée à l’absence de consentement. La problématique soulevée à l’égard de cette alternative se rapporte à l’état de sidération pouvant s’imposer à la victime, appelée aussi catalepsie. Cette dernière, causée par des réactions neurophysiologiques, l’empêcherait de s’opposer aux actes de son agresseur. Cette lacune a animé les débats parlementaires. Néanmoins, une solution alternative a fait surface, consistant à préciser, dans le nouveau texte, que l’état de sidération serait assimilé à un refus.
Finalement, c’est la proposition « non c’est non » qui a séduit la majorité des membres de la commission. Ainsi, seuls les actes sexuels perpétrés contre la volonté de la victime sont illicites[5]. Celle-ci permet au droit pénal sexuel de s’adapter aux évolutions sociales. En effet, la nécessité jusqu’alors de la contrainte n’était plus en adéquation avec la réalité actuelle.
La révision du Code pénal (CP) a été adoptée le 16 juin 2023 par le parlement et le délai référendaire a échu le 5 octobre 2023. Néanmoins, celle-ci n’est entrée en vigueur que le 1er juillet 2024, permettant donc aux cantons de former ses autorités ainsi qu’effectuer les travaux préparatoires nécessaires.
Nouveau droit
Bien que cette réforme soit davantage connue pour les révisions législatives opérées au sein du Code pénal ordinaire, en particulier les art. 189 s. CP ; elle s’attelle simultanément, mutatis mutandis, à la révision de dispositions analogues du Code pénal militaire (CPM), et du droit pénal des mineurs (DPMin), ainsi qu’à la modification de normes procédurales[6]. Néanmoins, nous nous limiterons ci-dessous à relater les modifications principales touchant le droit de fond.
Art. 189 s. CP [7]
Sous l’ancien droit, la contrainte sexuelle et le viol (art. 189 s. aCP) se fondaient sur la notion de contrainte. En effet, le viol était, à titre d’exemple, une infraction objectivement spéciale définie très restrictivement et axée sur le genre, puisqu’il érigeait en comportement punissable celui d’un homme qui pénétrait vaginalement une femme en usant de la contrainte. Celle-ci pouvait notamment prendre la forme de menaces, de violences, de pression psychique ou de mise hors d’état de résister.
Désormais, la contrainte et le genre ne sont plus des éléments constitutifs objectifs du viol. Ainsi, un homme peut également être victime, contrairement au droit antérieur. Puis, le consentement tel que prévu par la proposition « non c’est non » susmentionnée s’est substitué à la notion de contrainte. De surcroît, nous constatons un élargissement des comportements prohibés. En effet, tout type de pénétration du corps de la victime, qu’elle soit orale, vaginale ou anale est punissable par cette disposition. De plus, le viol devrait également être réalisé lorsque la victime est pénétrée avec les doigts ou un objet, pour autant qu’il s’agisse d’une stimulation des organes génitaux intérieurs tel que défini par la jurisprudence. Enfin, relevons qu’au vu de la redéfinition du viol, nous assisterons à un déplacement de certains comportements anciennement constitutifs de contraintes sexuelles (art. 189 aCP) vers le viol (art. 190 CP).
Par ailleurs, le stealthing, à savoir le fait de retirer sciemment son préservatif durant l’acte et sans en faire part à son partenaire, est également illicite. En effet, le consentement s’étend non seulement à l’acte mais aussi à ses modalités. Ainsi, un individu ne saurait imposer un tel changement unilatéralement, sans se référer à son partenaire, en violation de l’accord réciproque et concordant ayant cours. A noter qu’il subsiste la possibilité de modifier les modalités de l’acte en cours mais uniquement suite à l’acceptation du partenaire.
Il sied finalement de relever que les art. 189 s. CP prévoient désormais une gradation. Bien que la contrainte ait été retirée du cas de base, celle-ci constitue une circonstance aggravante selon les art. 189 s. al. 2 CP. De plus, elle comprend tant la contrainte à subir un acte, que la contrainte à commettre un acte sexuel, permettant ainsi de codifier la pratique jurisprudentielle en vigueur jusqu’alors[8]. Finalement, l’alinéa 3 rend compte du cas de plus forte gravité, impliquant l’usage d’une arme, d’un objet dangereux ou le recours à la cruauté.
Art. 187 CP[9]
Les actes d’ordre sexuel avec des enfants, anciennement libellé « mise en danger du développement de mineurs », s’est vu instauré un nouvel alinéa réprimant, d’une part, la commission d’actes sexuels sur un mineur âgé de moins de 12 ans ; et, d’autre part, le fait d’entraîner un mineur de moins de 12 ans à commettre un acte d’ordre sexuel sur un tiers ou un animal (art. 187 ch. 1bis CP). Ce cas de figure, qualifié, instaure une peine minimale d’un an à l’inverse du premier alinéa, et un plancher de 5 ans. A noter que la présence de l’auteur au moment des faits n’est pas requise. Par ailleurs, le fait d’entraîner un mineur à commettre un acte d’ordre sexuel sur lui-même ne rentre pas dans le champ d’application de l’art. 187 ch. 1bis CP, mais bien dans celui de l’art. 187 ch. 1 CP.
Finalement, le traitement privilégié dont bénéficiaient les couples mariés ou pacsés prévu par l’art. 187 ch. 3 aCP a été abandonné car jugé discriminatoire à l’égard des concubins. Les pourparlers ont également mis en avant que ceci pourrait inciter l’auteur et la victime à contracter un mariage pour ce motif, ce qui serait contraire au but de cette union juridique. A noter que l’autorité compétente pourra considérer le mariage, le partenariat enregistré, ainsi que la vie commune comme « des circonstances particulières », l’habilitant ainsi à renoncer à poursuivre l’auteur si les conditions sont remplies.
Art. 188 CP[10]
Alors que l’art. 187 CP réprime les actes d’ordre sexuel sur les mineurs de moins de 16 ans, l’art. 188 CP en fait de même mais pour les mineurs ayant au moins 16 ans. La limitation d’âge a légèrement changé, permettant ainsi de combler une lacune. En effet, l’ancien droit faisait tomber les mineurs de moins de 16 ans dans le champ d’application de l’art. 187 aCP et les mineurs de plus de 16 ans dans celui de l’art. 188 aCP, laissant les mineurs d’exactement 16 ans sans voie d’action.
Ensuite, le cadre de la peine s’est vu modifié pour assurer la cohérence avec la peine-menace de l’art. 190 CP dont les degrés d’illicéité sont équivalents. Ainsi, la peine plancher est passée à 5 ans. Finalement, le cas privilégié prévu par l’art. 188 ch. 2 aCP a été abrogé, et ce pour les mêmes raisons qu’évoquées précédemment pour l’art. 187 CP.
Art. 191 ss CP[11]
Premièrement, la version française de l’art. 191 aCP, à savoir les actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance, a été révisée de manière à s’accorder aux versions italienne et allemande, lesquelles incluent le fait de déterminer la victime à commettre un acte sexuel. Ceci permet d’englober, à titre d’exemple, les pratiques orales. En effet, le champ d’application de l’ancienne version française, énoncée trop restrictivement, ne faisait état que de l’interdiction de commettre un acte d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance, omettant les situations où la victime était contrainte d’arborer un comportement actif.
Deuxièmement, l’art. 192 aCP, c’est-à-dire les actes d’ordre sexuel avec des personnes hospitalisées, détenues ou prévenues a été abrogé. Cette norme, constituant une lex specialis de l’art. 193 CP, était considérée comme superflue, d’autant plus que le cadre de la peine était analogue pour ces deux infractions.
Troisièmement, la peine maximale encourue lors de l’application de l’art. 193 CP, l’abus de détresse ou de dépendance, a été modifiée. Celle-ci étant passé de 3 à 5 ans, dans le but d’assurer la cohérence avec l’art. 190 al. 1 CP. Puis, le traitement privilégié prévu en son alinéa 2 a été supprimé.
Quatrièmement, l’art. 193a CP est une nouvelle disposition réprimant la tromperie concernant le caractère sexuel d’un acte, faisant suite aux difficultés rencontrées par la justice dans l’arrêt 6B_453/2007. Cette norme vise à protéger le domaine de la santé, et, plus précisément, la confiance que le patient peut accorder au suivi d’un traitement sans avoir à craindre de subir d’atteintes sexuelles. Elle interdit d’exploiter l’erreur d’un individu, lors du déroulement d’un traitement thérapeutique, pour procéder à des actes d’ordre sexuel à son insu. Ainsi, cela permettra de saisir des actes revêtant une certaine intensité qui ne relèvent ni de l’art. 191 CP, ni de l’art. 193 CP.
Finalement, l’art. 194 CP, l’exhibitionnisme, a été dépénalisé. Ainsi, la peine encourue est passée à une simple amende, à l’exception des cas graves. Ceci met fin à une incohérence entre la répression de l’exhibitionnisme, anciennement passible d’une peine pécuniaire, et la confrontation inopinée à un acte sexuel, passible d’une amende. En effet, il n’y a pas lieu de réprimer plus sévèrement l’exposition de ses organes génitaux, que l’exposition à une acte sexuel. Cet allégement de l’art. 194 al. 1 CP entraîne diverses modifications dans la mesure il n’est plus qualifié de délit, mais de contravention. Ainsi, le délai de prescription passe de 7 ans (art. 67 al. 4bis CP) à 3 ans (art. 109 CP). Le jugement ne sera, par principe, pas inscrit au casier judiciaire à moins que l’amende dépasse 5’000.- ou qu’elle soit assortie d’une interdiction géographique ou de contact.
Art. 197 s. CP[12]
L’art. 197 CP, la pornographie, a subi divers changements. Premièrement, il y a eu une décriminalisation de la consommation, de la mise en circulation, de l’obtention de contenu mettant en scène des actes de violence à caractère pornographique entre adultes. Les débats parlementaires relèvent que l’art. 197 al. 1 et 2 CP est suffisant pour réprimer les actes d’ordre sexuel comprenant des scènes violentes. De surcroît, il sied de relever que l’art.135 CP, à savoir la représentation de la violence, pourrait également trouver son application pour autant que l’intensité de violence soit suffisante, à savoir lorsque la dignité humaine est lésée. Secondement, les alinéas 8 et 8bis prévoient une série d’exceptions, décriminalisant certains comportements de jeunes individus, moyennant le respect de certaines conditions.
Par ailleurs, l’art. 197 aCP était auparavant critiqué pour son incapacité à incriminer le revenge porn, phénomène qui a pris son essor ces dernières années. Désormais, l’art. 197a CP permettra d’incriminer toute personne transmettant à un tiers un contenu à caractère sexuel, sans le consentement de la personne identifiable, réagissant ainsi à l’émergence de ce nouveau type de criminalité. Ceci englobera, à titre d’exemple, les photos prises d’un commun accord par un couple durant une relation, dont l’un les rend accessibles pour se venger d’une rupture ; ou les situations de pirates informatiques commettant de la sextorsion.
Art. 198 CP[13]
L’art. 198 CP n’a subi que quelques changements mineurs. Le législateur a davantage précisé l’al. 1 i.f., selon lequel une personne peut être importunée non seulement par des attouchements sexuels et la parole, mais aussi par l’écriture ou l’image. Cette modification a permis de consolider l’évolution qu’a connue la jurisprudence à compter de son arrêt 6B_69/2019, lequel a instauré l’interdiction d’importuner autrui par le biais de l’écriture et l’image.
Art. 200 CP [14]
Il sied de relever que la commission en commun a subi une légère modification. Alors que l’art. 200 aCP laissait la possibilité au juge d’augmenter la peine lorsqu’une infraction du présent titre a été commis en groupe (Kannvorschrift), il en a désormais l’obligation (Mussvorschrift). Sa latitude de jugement se voit donc restreinte. Relevons toutefois que ce changement n’aura pas d’incidence pratique puisque les juges augmentaient d’ores et déjà systématiquement la peine en cas de commission en commun.
Questions ouvertes
De nombreuses questions demeurent sans réponse face au texte succinct des normes révisées. Ainsi, la pratique des tribunaux nous renseignera davantage sur les éléments encore nébuleux, tels que les limites du consentement et la manière de le communiquer à son partenaire en matière de contrainte sexuel et de viol. Est également obscur la limite entre l’état de sidération, empêchant la victime d’agir, rendant l’acte sexuel illicite ; et la simple passivité, laquelle serait assimilée à un consentement.
Relevons également que cette harmonisation du cadre des peines en matière d’infraction à caractère sexuelle engendre des incertitudes quant à la quotité de la peine à fixer dans un cas d’espèce. En effet, l’on veut assurer une pratique cohérente et constante du droit. Néanmoins, certains comportements ont été pénalisés, d’autre dépénalisés, sans faire abstraction des nouveaux comportements punissables sur lesquels l’on n’a jamais statué. Rappelons que l’art. 47 CP guide le juge pour fixer la peine, et dispose qu’elle se repose, dans un premier temps, sur la culpabilité de l’auteur, et, dans un second temps, sur ses antécédents et sa situation personnelle. Bien que la doctrine, en particulier Stratenwerth[15], ait clarifié la pratique, il n’en demeure pas moins que le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation pouvant engendrer des pratiques cantonales hétéroclites. A noter que le Tribunal fédéral ne pourra harmoniser la pratique puisqu’il n’a pas la compétence de statuer en opportunité et est lié par la marge de manœuvre accordée par le législateur. Subséquemment, il pourrait se développer des pratiques cantonales divergentes, tel que nous pouvons l’observer en matière de détention avant jugement où certains cantons semblent être plus sévères.
Conséquence de la réforme : droit transitoire et prise en charge
Cette réforme aura un impact non négligeable sur la prise en charge de victimes d’agressions sexuelles. Celle-ci s’entend tant au niveau juridique, que psychologique ou social.
Premièrement, d’un point de vue juridique, la réforme apporte de nouvelles réponses aux victimes dont les faits se sont déroulés à compter du 1er juillet 2024. Le droit sera interprété à l’aune du nouveau texte et les zones d’ombres seront précisées par les instances judiciaires comme susmentionné. Néanmoins, bien que cette réforme historique marque notamment le dénouement d’une définition dépassée du viol, elle sera également déconcertante pour d’autres, traités à l’aune du droit antérieur en raison de la temporalité des événements. En effet, les agressions sexuelles commises antérieurement à l’entrée en vigueur de la révision seront traitées sous l’ancien droit.
Par ailleurs, ce phénomène se verra amplifié en raison du type d’infraction dont il en est question. S’agissant d’un sujet personnel et délicat pour lequel les victimes ont tendance à se sur-responsabiliser au détriment de leur agresseur, celles-ci sont souvent réticentes à dénoncer. Dans les rares cas où elles le font, il s’agit d’une démarche difficile, nécessitant souvent un délai de latence avant de pouvoir se confronter aux événements.
En conclusion, en prenant en considération le temps nécessaire avant de confesser un tel événement, le long délai de prescription ainsi que le principe de non-rétroactivité, de nombreux cas seront encore soumis à l’ancien droit avec les conséquences juridiques qui en découlent.
Secondement, d’un point de vue plus large, il ne faut pas faire l’impasse sur la prise en charge sociale et émotionnelle relative à de telles infractions, laquelle sera impactée par la présente réforme. En effet, différents acteurs comme la police, le ministère public, les avocats, les juristes ou même certaines associations et fondations indépendantes tel que le Centre d’aide aux victimes (LAVI) seront en première ligne pour endosser un rôle compatissant et adjuvant envers ces victimes ayant subi d’importantes souffrances, et ce avant de pourvoir à une compréhension juridique de la situation.
A titre d’exemple, la LAVI propose, notamment pour les victimes d’agressions sexuelles, une écoute active et empathique, une aide à la compréhension de l’ampleur de la situation ainsi qu’un conseil à l’égard des démarches juridiques envisageables. A noter que celle-ci intervient que suite à une démarche purement volontaire de la victime.
En plus du soutien social envers les victimes, ces multiples intervenants assument souvent la lourde tâche de relater l’interprétation juridique découlant de l’état de fait afin de les orienter, si désiré, vers une action en justice. Sous l’ancien droit, expliciter que le comportement qu’elles ont ressenti comme un « viol » n’en était pas un au sens juridique était ardu. Mais désormais, il sera d’autant plus délicat de leur faire part qu’un acte qui serait actuellement constitutif d’un viol, s’il avait été commis postérieurement au 1er juillet 2024, ne sera pas considéré comme tel au vu de la temporalité des faits.
Conclusion
Pour conclure, cette réforme, longuement attendue, rend mieux compte de l’évolution sociale des dernières décennies. En effet, la redéfinition non genrée du viol limitera le hiatus créé entre le discours populaire et la législation. La suppression de la contrainte permettra de saisir un éventail beaucoup plus large de comportements criminels. Néanmoins, il ne faut pas passer outre le chiffre noir qui pèse généralement sur les infractions à caractère sexuel. En effet, il est indispensable d’encourager simultanément les victimes à la dénonciation. Pour ce faire, il serait bénéfique d’améliorer leur prise en charge par des acteurs formés ainsi que de les sensibiliser à la récente réforme, laquelle pourrait augmenter leur chance de succès lorsqu’elles saisissent la justice. En effet, les avocats étaient jusqu’alors contraints d’évoquer les maigres chances qu’une plainte aboutisse en raison de la pression psychique trop faible dont la victime faisait l’objet pour que la contrainte soit admise par un juge. Mais désormais, les audiences mettront l’emphase sur la présence ou non du consentement.
Caroline Curty
Notes
[1]FF 2023 1521, p. 1 ss.
[2]FF 2018 2889, p. 2932 ss
[4]FF 2022 687, p. 11 ss.
[6]FF 2023 1521, p. 9 ss.
[7]Depeursinge / Arnal, Révision du viol en droit suisse, RPS 1/2024, p. 28 ss.
[8]ATF 127 IV 198, consid. 3.
[9]FF 2022 687, p. 18 ss.
[10]Idem, p. 21 s.
[11]Idem, p. 41 ss.
[12]FF 2022 1011, p. 3 ss.
[13]FF 2022 687, p. 57
[14]Idem, p. 58.
[15]CR CP I-Queloz / Mantelli-Rodrigez, Commentaire Romand – Code pénal I, art. 47 CP no 3.