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Jours-amendes : surprise à Berne, conséquences au plan national

Jours-amendes : surprise à Berne, conséquences au plan national

C’est un coup de théâtre parlementaire qui a braqué les projecteurs sur la question des jours-amendes à l’automne 2024. Le Grand Conseil bernois a refusé, par 78 voix contre 77, un crédit d’un peu plus de 5,5 millions de francs pour la mise en place de containers pour l’exécution des jours-amendes à la prison régionale de Berthoud[1].

C’est une coalition Vert.es, PS, PEV et PVL, avec l’appui de trois dissidents UDC et la voix prépondérante de la présidente (Verte), qui a permis ce résultat. La commission de la sécurité (Sichereitskommission, SiK/Cséc) portait l’objet. Elle avait proposé deux amendements. Le premier demandant au Conseil-Exécutif de favoriser les formes d’exécution dites alternatives (bracelet électronique) et le second d’établir les responsabilités dans la débâcle informatique qui a mené au vote de ce crédit.

Une débâcle informatique aux lourdes conséquences

C’est l’introduction du  logiciel SAP (System Applications and Products in Data Processing) au niveau cantonal par la direction des finances qui a été responsable du soudain besoin massif de places de détention pour les jours-amendes. En effet, du fait de l’introduction de ce système, la communication et l’encaissement des amendes a pris du retard. C’est donc un nombre anormalement élevé de personnes qui se sont retrouvées en même temps hors délai pour payer leurs amendes mais aussi proches du délai suivant, celui  de la prescription. Les établissement de détention faisant actuellement face à un manque de places dans le canton de Berne, le Conseil Exécutif a proposé, après étude des diverses solutions, la pose des containers à Berthoud ; afin de permettre que les 4400 peines dites de substitution pour les années 2024 à 2026 soient effectuées. 

Un débat sur la proportionnalité

Le point qui a cristallisé les débats est celui de la proportionnalité de cet investissement. Faut-il à tout prix incarcérer des personnes en moyenne dix jours, pour des amendes impayées ? Ne pas le faire, c’est, selon les tenants de la solution des containers, exposer le Canton à un dégât d’image et à des potentielles difficultés à encaisser des amendes sur la base d’un précédent fâcheux. Renoncer à le faire, pour les opposants, c’était prendre en compte que le taux d’encaissement resterait probablement autour de 80 % comme actuellement, pour un montant d’environ 4 millions par an. Et aussi pouvoir défendre ce refus par le fait de l’extraordinaire de la situation, et que le 20 % qui ne paie pas ne le peut vraisemblablement pas de toute manière. Dès lors, la peine n’a aucun effet dissuasif sur ces personnes. 

La stratégie de la droite : laisser les ministères publics remplir les prisons et faire du chantage aux conditions de détention

La droite du parlement s’est retrouvée en grande difficulté, d’autant plus après la prise de parole du député PVL Casimir von Arx, qui pointait qu’il serait difficile d’investir ces 5,5 millions à cette session, puis de faire de lourdes économies à la suivante, comme prévu dans la stratégie de la droite en vue de baisser les impôts cantonaux. 

Pour défendre ces containers, deux  arguments ont été avancé : d’une part, le fait qu’une fois ceux-ci installés, on peut se contenter de les laisser là et profiter des places disponibles. D’autre part, si ces containers ne sont pas posés, les peines seront tout de même exécutées et ce dans des conditions moins bonnes, les prisons bernoises étant pleines, en moyenne, à 103 %. Entre un matelas à même sol pour une personne dans une cellule prévue pour deux et une cellule individuelle dans un container, mieux vaut encore le container, non ? Et puis, comme le disait le député PLR Andreas Hegg, rapporteur de son parti : « Vous pouvez alors oublier de séparer certaines personnes – les fumeurs des non-fumeurs – ou il se peut qu’un dealer de 19 ans, relativement inoffensif, soit enfermé dans une cellule avec un éventuel meurtrier ou avec quelqu’un qui a une case en moins parce qu’il n’a pas pris ses cachets ».

L’argument sur l’usage ultérieur, le Conseiller d’État l’a balayé en arguant qu’il s’agit d’une « solution temporaire ». C’est pourtant un risque réel. Un risque, car à force d’abaisser les standards au nom d’exceptions, on finit par faire de l’exception la règle. Et la probabilité est élevée qu’en cas d’acceptation d’une pose de container, la droite demande par voie de motion la pérennisation d’une telle solution afin d’éviter des rénovations/transformations d’infrastructures qui seraient plus coûteuses.

L’argument sur les conditions de détention évacue d’emblée la question « pourquoi les prisons débordent-elles » ? Le manque de place est la conséquence directe d’une politique pénale de plus en plus répressive, et qui touche désormais également le canton de Berne. Cette politique n’a en général pas d’autres effets tangibles que de donner une impression de sécurité accrue, en multipliant les mises en détention pour de courtes périodes. Les 4400 peines de substitution pour dix jours en moyenne en sont un bon exemple. Et la tentative du conseiller d’État Müller de les sauver en arguant qu’il « s’agit d’amendes qu’un meurtrier reçoit dans le cadre de son jugement, il s’agit parfois de délits importants : blessures corporelles, infractions à la loi sur les stupéfiants ou à la loi sur les armes, etc », n’est qu’une tentative désespérée de justification. Les cas cités sont souvent assortis d’un sursis ou infligés à des personnes tout à fait solvables. Et quand ils ne le sont pas, la personne étant déjà détenue, cela ne fait « que » rallonger une autre peine. Il n’y a donc pas grand risque de laisser un monstrueux meurtrier impuni dans la nature. 

Quant au sous-argument sur le risque d’enfermer une personne « avec quelqu’un qui a une case en moins parce qu’il n’a pas pris ses cachets », il a fait l’objet d’une remise à l’ordre par  la députée PS Sarah Gabi Schönenberger : « Cette phrase m’a fait bondir […]. Je trouve cette déclaration tout simplement irrespectueuse. Elle manque totalement de décence envers les personnes souffrant de maladies psychiques. Il est tout simplement inacceptable de ridiculiser et de diffamer à ce point les personnes atteintes de maladies psychiques au sein du Grand Conseil. De telles déclarations dans cette salle ne sont pas dignes de notre Grand Conseil et me font honte. C’est pourquoi je veux m’excuser publiquement à la place du député Hegg pour cette déclaration ».

Des suites au niveau national

La députée PVL Melanie Mettler avait annoncé dans  la presse[2] qu’elle déposerait une intervention parlementaire à propos des peines de substitutions lors de la session d’automne 2024 des chambres fédérales. Elle ne l’a pas fait et a récemment quitté le Parlement, dès lors sans avoir tenu parole. 

Du côté de la gauche parlementaire en revanche, une motion à ce sujet est en préparation et devrait être déposée pour la prochaine session, soit celle de l’été 2025. Nous ne manquerons pas de revenir sur ce sujet.

David Kneubühler

Notes