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Vies en transit : retour sur un congrès au cœur des tensions entre migration, incarcération et santé

Vies en transit : retour sur un congrès au cœur des tensions entre migration, incarcération et santé

La Conférence des médecins pénitentiaires suisses (CMPS) a tenu sa rencontre annuelle les 27 et 28 mars 2025 au Centre Neuchâtelois de Psychiatrie (CNP). Ce congrès, intitulé « Incarcération et migration : regards croisés, défis et opportunités », a réuni à Préfargier un large éventail d’acteur.rice.s – membres du personnel pénitentiaire, médecins, chercheur.euse.s, responsables politiques, représentant.e.s d’ONG et associations. Ils ont discuté ensemble des enjeux liés à la détention des personnes migrantes, en abordant les particularités de leur prise en charge et les possibilités d’amélioration des soins en milieu carcéral. Les présentations ont souvent fait écho les unes aux autres, permettant des liens, des discussions et des remises en question collectives. La collaboration entre les régions suisses romandes et alémaniques, facilitée par la présence d’interprètes, a renforcé le dialogue, offrant une vision élargie des pratiques cantonales autour de la détention, notamment dans un contexte migratoire.

Explorer les réalités carcérales : visite de l’établissement de Bellevue 

Pour inaugurer ce congrès, des visites d’établissements neuchâtelois ont été proposées : l’Établissement d’exécution des peines de Bellevue (EEPB), l’Établissement de détention La Promenade (EDPR) et le Centre fédéral pour requérants d’asile de Boudry. J’ai choisi de visiter l’Établissement de Bellevue. L’EEPB est une prison fermée de haute sécurité située à Gorgier, pouvant accueillir jusqu’à 65 personnes détenues de sexe masculin. Cet établissement, autrefois foyer pour jeunes filles, est confronté à certaines réalités partagées par d’autres structures pénitentiaires : une majorité de personnes détenues étrangères (76%) et un accès aux soins médicaux plus restreint. Celui-ci bénéficie de la présence d’un.e médecin somatique et d’un.e psychologue une fois et demie par semaine, mais ne dispose pas de service médical le week-end. Des infirmier.ère.s assurent un suivi quotidien, et un.e dentiste intervient ponctuellement, sur recommandation du ou de la médecin somatique, après examen et transmission de photographies. Il reste cependant particulièrement difficile de trouver du personnel médical prêt à intervenir en prison. Faute de professionnel.le.s disponibles localement, le service de garde dépend de médecins provenant du canton du Jura, nécessitant ainsi près de deux heures de déplacement. Cela restreint donc les interventions médicales aux seules situations urgentes. De plus, les barrières linguistiques dues à la diversité des détenus étrangers compliquent l’accès à l’information (médicale) ainsi que les démarches administratives en milieu carcéral. Bien que le personnel pénitentiaire multilingue facilite les échanges, l’obligation administrative d’utiliser exclusivement le français (par exemple, pour remplir des formulaires administratifs) demeure problématique pour les personnes détenues non francophones, même si une solidarité informelle entre ces dernières permet parfois de pallier cette difficulté. 

La visite a mis en évidence une double vulnérabilité : celle de la privation de liberté, conjuguée à celle du statut migratoire. Les difficultés médicales, administratives et sociales liées à cette double vulnérabilité ont ensuite été abordées dans les différentes interventions du congrès, notamment autour des thèmes de la complexité de la continuité des soins, des atteintes potentielles aux droits des personnes judiciarisées et des possibilités de réinsertion fragilisées par l’absence de statut légal. Les interventions listées ci-après, issues du programme du Congrès pénitentiaire, constituent la base des développements proposés dans les sections suivantes de l’article : 

  • Projet retour inforetour.ch
  • Rôle du médecin traitant dans le retour/l’exécution du renvoi
  • Bonnes pratiques pour favoriser le retour au pays des personnes avec des troubles psychiatriques 
  • Les étrangers commettent-ils plus de délits ?
  • Flux migratoires actuels et futurs, quelles conséquences sécuritaires ?
  • Assurance-maladie des personnes détenues 
  • Maladies infectieuses et migration : Quels dépistages proposer ? 
  • Santé reproductive. Perspective des femmes réfugiées 
  • PLESORR – un (nouvel) espace pour l’interdisciplinarité : focus sur les domaines de la santé 
  • Trends dans les droits humains, regard depuis la CPT / Conseil de l’Europe 

Migration et criminalité : au-delà des préjugés 

La Suisse figure parmi les principaux pays d’immigration dans le monde, avec un impact migratoire globalement positif. Ce phénomène s’explique notamment par une immigration économique encadrée par des contrats de travail, qui contribue au dynamisme de l’économie nationale. Parallèlement, la Suisse accueille des personnes réfugiées, participant ainsi à la diversification culturelle et sociale du pays. Depuis 1955, le pays affiche une politique d’asile progressivement plus ouverte, et aujourd’hui, environ 50 % des demandes d’asile (hors Ukraine) reçoivent une réponse favorable. Cette politique d’ouverture s’inscrit dans un contexte mondial marqué par l’intensification des flux migratoires, souvent liés à des crises humanitaires dans des régions telles que la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan, le Nigeria ou plus récemment l’Ukraine. Si ces flux tendent à diminuer lorsque les conflits s’apaisent, plusieurs dynamiques contribuent néanmoins à une transformation structurelle de la migration : le rapprochement géographique des zones de crise, l’effondrement de l’aide humanitaire dans les pays d’origine et une inégalité persistante dans l’accès aux droits fondamentaux. Cette dernière conduit de nombreuses personnes à entreprendre un déplacement vers l’Europe, animées par l’espoir d’une vie meilleure et le désir d’accéder à une protection légale. Face à cela, la gestion des migrations par l’Union européenne, à travers des dispositifs tels que Frontex ou le Pacte européen sur la migration, apparaît parfois restrictive. Pourtant, seule une coordination européenne solide, fondée sur des procédures de qualité, peut garantir une prise en charge digne des personnes migrantes, dans le respect des droits humains.

En l’absence de solutions adaptées, de nombreuses personnes migrantes se retrouvent sans perspectives, exposées à la précarité, à l’exclusion sociale, voire à des parcours de délinquance. D’où la nécessité de mettre en place des politiques d’intégration solides, soutenues par des mesures sociales efficaces. Les disparités cantonales en matière d’assistance le confirment : les régions où l’assistance est la plus limitée enregistrent souvent des taux de délinquance plus élevés. L’équation est claire : maintenir une politique d’asile ouverte suppose un investissement significatif dans l’accueil, l’insertion et la participation des personnes migrantes à la vie collective. À ce titre, un.e conseiller.ère d’État neuchâtelois met en avant la politique d’intégration de son canton, qui vise à renforcer la cohésion sociale. Elle repose notamment sur la participation citoyenne des personnes étrangères, permise par l’octroi du droit de vote cantonal et de l’éligibilité communale. Cette approche inclusive incarne une vision proactive de l’intégration, axée sur le vivre-ensemble et la reconnaissance mutuelle.

Cependant, le débat public reste souvent traversé par des amalgames entre nationalité étrangère et criminalité. Si les personnes étrangères représentent environ 23 % de la population suisse mais 58 % des condamnations pénales, ce chiffre doit être interprété avec prudence. Il reflète moins une réalité criminelle qu’un biais statistique. Les analyses multivariées montrent que les facteurs les plus fortement corrélés à la délinquance sont le sexe, l’âge, le niveau de formation et la précarité socio-économique – et non la nationalité. Lorsqu’on compare des profils similaires, comme de jeunes hommes suisses et étrangers, les écarts s’estompent. Cela révèle que la criminalité n’est pas intrinsèquement liée à l’origine nationale, mais résulte de conditions sociales et économiques défavorables, parfois aggravées par des pratiques institutionnelles discriminatoires[1]. En effet, les personnes étrangères sont davantage ciblées par les contrôles policiers, accèdent moins fréquemment aux peines alternatives (comme les jours-amendes, les ordonnances pénales ou le bracelet électronique, souvent refusés en raison d’un risque supposé de fuite) et rencontrent plus d’obstacles à la libération conditionnelle, ce qui renforce aussi leur surreprésentation dans le système carcéral. En effet, selon l’Office fédérale de la statistique (OFS)[2], 72 % des personnes détenues sont de nationalité étrangère, et la majorité de celles disposant d’un titre de séjour le voient révoqué à la suite d’une décision judiciaire d’expulsion[3].

Ainsi, la surreprésentation des personnes étrangères dans les statistiques pénales ne témoigne pas d’une dangerosité intrinsèque, mais des angles morts d’un système pénal et migratoire qui peine encore à garantir une véritable égalité de traitement. En filigrane, une idée persiste : l’espace carcéral agit comme le miroir grossissant des tensions et fractures sociales de notre société – qu’elles soient d’ordre socio-économique, migratoire ou politique.

Renvoi des détenus étrangers : entre défis humains, médicaux et logistiques

Pour la plupart des personnes détenues de nationalité étrangère, la fin de la peine n’ouvre pas sur une liberté retrouvée, mais sur un retour forcé dans un pays souvent mal connu, parfois quitté depuis de nombreuses années. Le sentiment de double peine – sanction pénale suivie d’une expulsion– fragilise la réinsertion, d’autant plus lorsque ces personnes sont exclues des programmes de réinsertion classiques, ce qui les prive de perspectives concrètes et compromet l’élaboration d’un projet de sortie cohérent et la continuité d’un éventuel suivi thérapeutique. Dans ce contexte, il devient essentiel de repenser les partenariats afin de garantir à toutes les personnes détenues – y compris étrangères – un projet de réinsertion réaliste et d’assurer la continuité de l’accompagnement, même en cas de renvoi. Pour un.e des intervenant.e.s, si la prison représente un lieu de limites, elle peut être aussi un lieu de possibles – un endroit où l’on rappelle à chacun.e qu’il.elle a encore sa place.

Face à cette réalité, plusieurs initiatives ont vu le jour, parmi lesquelles le projet Inforetour[4], porté par les Établissements de la Plaine de l’Orbe (EPO), la Croix-Rouge bernoise et le Service social international. Son objectif ? Aider les personnes détenues expulsables à reconstruire une vie libre, sans récidive, dans leur pays d’origine. Le premier jalon de ce processus réside dans l’acceptation de la décision de renvoi, condition préalable à la mise en place de projets concrets. Depuis 2022, le projet a été repris par le Centre suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales (CSCSP), dont l’un des objectifs est le développement de la mise en réseau des professionnel.le.s intervenant dans le cadre du retour. Le projet s’articule autour de quatre axes : santé, emploi, situation juridique, compétences professionnelles. Le CSCSP recommande une prise en charge précoce, individualisée et interdisciplinaire, impliquant une collaboration étroite avec des partenaires locaux dans le pays de retour. L’objectif est de co-construire un projet de réinsertion prenant en compte les besoins, les ressources et les aspirations spécifiques de chaque personne. Toutefois, plusieurs défis subsistent. Parmi eux : assurer la continuité des soins dans des conditions acceptables pour la personne, garantir la disponibilité des médicaments et organiser des relais thérapeutiques dans des structures médicales locales compétentes. Les enjeux psychologiques sont également importants : l’anxiété, l’insécurité et la perte de repères peuvent affecter l’état de santé mentale des personnes concernées. À cela s’ajoutent des contraintes logistiques : la mise en place de bases de données médicales regroupant des contacts médicaux fiables à l’étranger, ou encore l’échange sécurisé d’informations médicales.

Sur le plan opérationnel, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) est en charge de l’organisation du transport et de la coordination des retours, en collaboration avec des professionnel.le.s de santé, afin de garantir la continuité des traitements médicaux pendant le trajet et après le retour. Dans cette procédure, le rôle du médecin traitant est fondamental : seule le.la médecin traitant.e est habilité.e à déterminer la nécessité d’un traitement médical et le.la médecin de transport (par exemple : OSeara), doit donc s’appuyer sur sa décision dans le cadre de son mandat. La séparation entre médecin traitant et médecin de transport permet d’éviter tout conflit d’intérêt et seules les données médicales strictement nécessaires sont transmises. L’évaluation de l’aptitude au transport ne se limite pas au diagnostic médical, elle prend aussi en compte les sentiments que le transport peut générer chez la personne. À l’échelle internationale, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), mandatée par le SEM, intervient dans le cadre des programmes de retour volontaire. Elle prend en charge l’identification des besoins individuels pendant et après le vol, l’assistance en transit et à l’arrivée, notamment pour les personnes avec des problèmes médicaux ainsi que le suivi après retour. Elle collabore également avec les structures locales du pays d’origine (famille, professionnel.le.s de santé, institutions), évalue la disponibilité et le prix des traitements et peut, le cas échéant, couvrir certains frais directement auprès des prestataires. Parallèlement, des programmes de retour volontaire et de réinsertion sont proposés en Suisse pour les personnes migrantes vulnérables, notamment pour celles et ceux qui n’ont pas droit à une aide du SEM. Ces dispositifs leur offrent la possibilité de construire un projet professionnel dans leur pays d’origine. L’aide financière peut atteindre 4700 CHF, suivant une procédure encadrée (étude de faisabilité, suivi, évaluation après retour). Dans certains cantons, comme Genève, Vaud et Zurich, le mandat RESTART cible plus spécifiquement les personnes en détention. Il prévoit un soutien allant jusqu’à 3000 CHF pour le projet professionnel et 1000 CHF pour des besoins médicaux jugés indispensables à sa réalisation.

Malgré ces avancées, des défis subsistent. L’accès à des soins équivalents dans les pays de retour reste inégal, certains traitements prescrits en Suisse n’étant tout simplement pas disponibles localement. Par ailleurs, la coordination entre les différents acteur.rice.s et la responsabilité de la Suisse une fois le retour effectué restent encore floues. 

Les problématiques du soin en milieu fermé : conjuguer logiques sécuritaires et enjeux de santé

À la fois pathogène et potentiellement réparatrice, la prison incarne un espace ambivalent, à l’intersection de l’enfermement et du soin, de l’exclusion et de la réinsertion. C’est dans cet esprit qu’un.e intervenant.e a présenté le congrès comme un hommage à celles et ceux qui croient en une prison porteuse de sens — une prison capable de devenir espace de lien, de soin et de reconstruction.

Lors d’un atelier du Congrès consacré à la continuité des soins, le besoin d’un accompagnement individualisé dès l’entrée en détention, y compris en détention avant jugement (DAJ) a été mis en avant. Les personnes en exécution de peine disposent d’une date de sortie, ce qui permet une meilleure articulation des moyens de réinsertion (sociaux, médicaux, etc.), en les adaptant à cette échéance. En détention préventive, seule la pose d’un diagnostic est possible, la surpopulation en DAJ — souvent due à des délits mineurs liés à l’addiction — rendant difficile tout accompagnement individualisé. Les délais de prise en charge, les spécificités structurelles des établissements et les contraintes logistiques liées aux déplacements vers des structures médicales compliquent également la continuité des soins.

Pour les participant.e.s du congrès, la préparation à la réinsertion devrait donc débuter dès l’entrée en détention, en particulier pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques, de dépendances ou vivant dans une grande précarité — souvent isolées ou en attente de renvoi vers leur pays d’origine. L’exemple de la prison de Halden[5], en Norvège, où la réflexion sur la réinsertion débute dès le premier jour, constitue pour il.elle.s une source d’inspiration. De plus, le modèle norvégien, fondé sur une sécurité dynamique axée sur la relation humaine, la prévention et la formation des agent.e.s de détention comme travailleur.euse.s sociaux.ales, privilégie une réintégration progressive et propose une approche inspirante centrée sur la responsabilisation. Parmi les leviers favorisant une réinsertion réussie, l’accès au logement à la sortie de prison apparaît comme un facteur déterminant. À ce titre, le dispositif de case management du canton de Vaud, fondé sur la coordination des intervenant.e.s autour de la personne détenue, fait figure de modèle. Il vise à faciliter la recherche de logement, d’emploi et d’autres ressources essentielles. De même, le Plan de Crise Conjoint (PCC) pourrait être un outil pertinent en détention : élaboré conjointement entre la personne concernée par un trouble psychique et/ou un problème d’addiction, un.e professionnel.le de santé et un.e proche, il permet d’identifier les facteurs déclencheurs d’une crise et/ou d’une rechute et de formaliser les ressources mobilisables par la personne, qu’elles soient professionnelles, personnelles ou communautaires. 

La tension entre logiques de sécurité et de santé est décrite comme particulièrement visible dans les situations d’addiction, de paraphilie ou de troubles psychiatriques tels que la schizophrénie. Face à cela, l’ensemble des constats converge vers la nécessité d’une coordination pluridisciplinaire, une ambition qui requiert une véritable volonté politique. Une collaboration plus étroite et systématique entre agents de détention et services sociaux permettrait, par exemple, une détection plus précoce des besoins. Dans ce contexte, le Programme Thérapeutique de Jour en Milieu Pénitentiaire (PTJMP) représente une avancée dans la prise en charge des troubles psychiatriques en détention. Il propose un accompagnement structuré, assuré en hospitalisation de jour au sein même des établissements pénitentiaires, évitant ainsi le transfert en milieu hospitalier externe. En s’appuyant sur une collaboration étroite entre professionnel.le.s de santé (psychiatres, psychologues, infirmier.ère.s) et personnel pénitentiaire, le PTJMP contribue à instaurer une culture de coopération interdisciplinaire. Il vise à répondre aux besoins médicaux, psychologiques et sociaux des personnes détenues, à assurer la continuité des soins jusqu’à la réinsertion et à prévenir les risques de récidive en traitant les troubles psychiques sous-jacents. Néanmoins, des disparités subsistent selon les établissements. Par exemple, à la prison de Bellechasse, les médecins somatiques sont rattachés à la direction pénitentiaire, ce qui crée des différences dans les pratiques.

La question de la réduction des risques infectieux en détention a également été soulevée. L’exposition aux maladies infectieuses est souvent plus élevée chez de nombreuses personnes migrantes, en raison des conditions de vie dans leur pays d’origine ou durant leur trajet migratoire. En 2022, les personnes migrantes représentaient près de 48 % des nouveaux cas de VIH, souvent diagnostiqués à un stade avancé. Ce retard de diagnostic entraîne une mortalité plus élevée et un risque accru de transmission. Or, un accès précoce au traitement est nécessaire pour prévenir les contaminations. La faisabilité d’un dépistage systématique dès l’arrivée en détention a donc été débattue. Certain.e.s médecins évoquent par exemple des cas graves de tuberculose[6] qui auraient pu être évités grâce à un dépistage radiologique détectant les formes latentes dès l’arrivée en détention.  Actuellement, le dépistage des maladies infectieuses chez les requérant.e.s d’asile varie selon le pays d’origine. Ce processus soulève des problèmes de fiabilité des études, notamment en raison de séroprévalences mal documentées ou d’une épidémiologie locale souvent méconnue. 

Enfin, il a été souligné que les femmes réfugiées sont confrontées à des formes spécifiques d’invisibilisation. Par exemple, le manque de structures prenant en compte le genre dans les espaces de vie collectifs conduit certaines femmes à renoncer à boire de l’eau afin d’éviter d’utiliser les toilettes. Les questions de santé menstruelle, de maternité ou de contraception sont aussi mises de côté. De plus, le taux élevé d’avortements parmi ces femmes interroge : l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) semble généralement accepté tandis que les possibilités concrètes de prévention contraceptive restent limitées. Cela reflète une injustice reproductive : ces femmes ne peuvent exercer pleinement leur droit à l’autodétermination sexuelle – ni choisir d’avoir ou non des enfants, ni les élever dans des conditions dignes. Certaines témoignent aussi de traitements médicamenteux administrés sans examen médical préalable, de conseils médicaux erronés voire d’une absence de soins. De plus, la communication entre les services, notamment lors des transferts entre différentes étapes de la procédure d’asile, complique le suivi. À cela s’ajoutent des problèmes de traduction, qui nuisent à la compréhension des traitements et à l’accès à des soins adaptés.

Regards approfondis sur les dynamiques actuelles en matière de lois et de pratiques

À l’échelle internationale, les tendances actuelles en matière de détention et de droits humains incluent la surpopulation carcérale, l’allongement des peines et la criminalisation des migrations. Ces phénomènes trouvent leur origine dans des pratiques pénales et législatives marquées par l’utilisation d’alternatives à la détention, des lois particulièrement répressives, notamment dans le domaine des drogues, ainsi que des lois et pratiques discriminatoires. En Suisse, la situation n’échappe pas à cette évolution : la prison de Bois-Mermet, à Lausanne, connaît par exemple un taux de surpopulation de 166 %. Le Comité pour la prévention de la torture (CPT), organe du Conseil de l’Europe, joue un rôle central dans la surveillance des conditions de détention en Europe. Il effectue chaque année entre 15 et 20 visites dans les pays membres, en ciblant des thématiques spécifiques, comme les conditions de détention policière (thème de 2024 de la CPT). En Suisse, la visite de 2024 du CPT[7] a mis en évidence des pratiques préoccupantes : des mauvais traitements délibérés et un usage excessif de la force ont notamment été relevés à Genève, le canton qui y recourt le plus. L’absence de lumière naturelle dans certaines cellules, l’utilisation disproportionnée de moyens de contrainte comme les menottes, le recours abusif aux sanctions disciplinaires, ainsi que le manque d’accès à des soins psychiatriques adaptés font partie des constats de la CPT. Face à ces constats, il est important de rappeler trois garanties fondamentales contre les mauvais traitements en détention, à savoir le droit pour la personne arrêtée de notifier un proche, d’avoir accès à un avocat et d’être examinée par un médecin. En Suisse, ces droits ne sont pas toujours respectés, ce qui représente une lacune en matière de protection des droits fondamentaux. Parmi les enjeux actuels les plus urgents dénoncés par la CPT, figurent la santé mentale en prison et la gestion de la migration en contexte carcéral. Le manque de thérapeutes en milieu pénitentiaire empêche une prise en charge adéquate des troubles psychiatriques. Par ailleurs, environ la moitié des personnes migrantes détenues sont concernées par la détention administrative ou des pratiques de refoulement (pushbacks). Toutefois, ces problématiques carcérales restent peu visibles dans le débat public et souffrent d’un manque de reconnaissance politique. À cela s’ajoute le fait que les pratiques pénales restent peu évaluées. Pourtant, la Suisse constituerait un laboratoire idéal pour tester et identifier les bonnes pratiques en détention. 

Plusieur.e.s intervenant.e.s ont également discuté des écarts pouvant exister entre les intentions humanistes affichées dans le discours pénal suisse et la réalité de leur mise en œuvre. D’une part, le secteur pénitentiaire est parfois soumis à des économies budgétaires, au profit d’autres secteurs comme l’armée, ce qui limite les moyens disponibles. D’autre part, pour les intervenant.e.s du congrès, le rôle de la prison devrait avant tout être de prévenir la récidive et de favoriser la réinsertion – la dimension punitive ne devant intervenir qu’en dernier. Les personnes détenues ou exécutant une mesure devraient donc être considérées comme des patient.e.s à part entière et traitées avec dignité comme le mentionne l’article 74 du Code pénal (CP). Toutefois, l’article 59 CP[8], qui prévoit une prise en charge psychiatrique pour les personnes souffrant de troubles mentaux, se révèle souvent inadapté. Faute de structures adéquates, le système est incapable d’assurer une prise en charge efficace, voire d’appliquer correctement ces mesures dans certains cas, notamment pour les personnes migrantes, qui ne maîtrisent pas toujours la langue et ne comprennent pas les implications des soins. Ainsi, bien que des mesures thérapeutiques soient parfois ordonnées, la société échoue à mettre en place les conditions nécessaires à leur bon déroulement et la détention en prison finit par primer sur la prise en charge thérapeutique. L’orientation actuelle du système pénal suisse tend dès lors vers une augmentation de la population carcérale, tandis que les moyens consacrés à la réinsertion et aux soins continuent de diminuer.

Un projet de révision de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal)[9]prévoit que toute personne détenue devra être assurée dans un délai de trois mois, y compris celles sans statut de résidence en Suisse, ce qui marque un élargissement de l’obligation d’assurance. En 2023, on comptait 6’450 personnes détenues, dont environ 2’300 n’étaient pas couvertes par l’assurance maladie obligatoire, leur séjour en prison ne constituant pas un domicile au sens du Code civil suisse. Du point de vue des droits fondamentaux et des droits humains, l’État a la responsabilité de garantir l’accès aux soins de santé pour toutes les personnes, en assurant notamment un traitement équivalent à celui offert aux individus en liberté. À l’heure actuelle, il n’existe aucune réglementation uniforme concernant les soins médicaux des personnes détenues non-résidentes en Suisse, ce qui entraîne des disparités entre cantons. De plus, le financement des soins en milieu pénitentiaire n’est pas harmonisé, et les coûts ne sont pas plafonnés. La révision de la LAMal permettrait d’introduire un plafonnement des coûts, facilitant leur calcul et leur prise en charge par les cantons. Elle prévoit également que les cantons puissent conclure des contrats-cadres avec des assureurs pour chaque personne détenue ou recourir à des contrats existants, bien qu’aucune solution collective à l’échelle cantonale n’ait encore été mise en place. La possibilité de demander une réduction de primes est également envisagée. Toutefois, ce dispositif reste difficile à appliquer dans la pratique, les personnes incarcérées étant souvent sans ressources. Il pourrait dès lors être pertinent de dépasser le cadre législatif actuel, en s’inspirant du modèle de l’assurance militaire ou, à défaut, d’adapter la LAMal en y intégrant des prestations spécifiques et réalistes, afin de réduire les inégalités existantes.

Entré en vigueur le 1er janvier 2025, le PLESORR (Processus Latin d’Exécution des Sanctions Orienté vers le Risque et les Ressources) vise à uniformiser les pratiques d’exécution des sanctions dans les cantons latins suisses. Il instaure un langage commun à travers des outils et documents standardisés – comme les évaluations criminologiques, les plans d’exécution des sanctions (PES) et les rapports d’information – afin de fluidifier les transitions entre établissements et cantons, y compris lors de mises en liberté conditionnelle. Il s’applique généralement aux peines privatives de liberté de plus de six mois, ainsi qu’à toutes les mesures thérapeutiques. Le processus se déroule en quatre étapes : tri, évaluation criminologique, planification et suivi. La phase de tri repose sur l’évaluation de 20 critères, permettant un classement rapide et uniforme des dossiers en trois catégories selon la nature du délit et le niveau de risque : catégorie verte (50 % des cas), orange (30%) et rouge (20%). Ce classement détermine ensuite le niveau d’intervention requis et les ressources (évaluatives) à mobiliser. La planification consiste en l’élaboration du PES, pierre angulaire du dispositif, basée sur l’évaluation criminologique et axée sur les besoins individuels. Il est construit en collaboration avec la personne en détention ainsi qu’avec l’ensemble des intervenant.e.s la côtoyant, dont les professionnel.le.s de santé. Le PLESORR inclut la santé comme un domaine[10] à part entière, invitant à une co-construction interdisciplinaire des objectifs entre les professionnel.le.s de santé, les établissements d’exécution et les personnes incarcérées. Enfin, la phase de suivi permet une adaptation continue des objectifs et des méthodes d’intervention. Les rapports thérapeutiques, portant sur dix domaines, permettent d’identifier des pistes évolutives possibles et participent à la co-construction d’actions multifactorielles. La santé joue ainsi un rôle essentiel dans le PLESORR. Le domaine de la santé est principalement abordé sous l’angle d’une logique de compétences prosociales à acquérir, tant sur le plan somatique que psychiatrique. Sur le plan somatique, des thématiques comme le tabac, l’alcool, la sédentarité ou les maladies chroniques sont abordées tandis que sur le plan psychique, l’approche inclut la psychoéducation avec un diagnostic, la médication et l’autoévaluation. Toutefois, un équilibre reste à trouver entre la focalisation sur le délit, qui peut entrer en tension avec la démarche thérapeutique, et la collaboration interprofessionnelle ne saurait déroger aux exigences de l’article 321 CP sur le secret professionnel. Le PLESORR doit maintenant s’ancrer dans la pratique, et sa réussite dépendra de l’intensification des échanges entre les acteur.rice.s de terrain pour permettre une véritable co-construction interdisciplinaire.

De la visite de la prison de Bellevue à la présentation sur les mesures de renvoi, en passant par les ateliers sur la continuité des soins, chaque étape du congrès a offert de véritables opportunités de réflexion. Loin de se résumer à un simple enchaînement de présentations, l’événement a permis un croisement de regards et d’expériences autour d’une question centrale : comment accompagner dignement dans un système pensé pour exclure ? Les interventions ont mis en évidence des problématiques partagées par plusieurs cantons suisses : difficultés à assurer la continuité des soins à la sortie de détention, hétérogénéité des pratiques entre établissements, manque de coordination dans les projets de réinsertion. Face à ces constats, ce qui s’est dégagé au fil des échanges, c’est une volonté commune d’améliorer les pratiques, malgré la rigidité du cadre institutionnel. La qualité des interactions entre intervenant.e.s venu.e.s de cantons et d’horizons professionnels variés, capables de confronter leurs pratiques, a permis de créer des liens entre les thématiques abordées et de faire émerger des pistes communes de réflexion. C’était là, sans doute, la force de ce congrès : ouvrir des portes entre disciplines, institutions et regards, au service d’une prise en charge médicale plus juste et plus humaine. 

Constance Scherrer

Notes

[1] Gnaedinger, L. (2024). Le paradoxe suisse: entre mansuétude pénale et criminalisation de l’immigration. Champ pénal/Penal field, (32).

[2] Plus d’informations sur :  https://www.bfs.admin.ch/bfsstatic/dam/assets/34535/master 

[3] En Suisse, l’initiative populaire « Pour le renvoi des étrangers criminels », acceptée en 2010, a introduit la possibilité d’expulsions automatiques pour les étrangers condamnés pour certaines infractions graves. Depuis l’entrée en vigueur de la loi d’application en 2016, les tribunaux sont tenus de prononcer l’expulsion, sauf exception en cas de situation personnelle particulièrement grave (clause de rigueur), conformément aux articles 66a et suivants du Code pénal suisse (CP).

[4] Plus d’informations sur : https://info-retour.ch/fr

[5] « A l’intérieur de Halden, la prison la plus humaine du monde », Bulletin 9.

[6] « Maladies transmissibles et addictions en prison », Bulletin 8.

[7] Plus d’informations sur : https://rm.coe.int/1680b35522

[8] « Deux enquêtes jugent sévèrement les mesures thérapeutiques », Bulletin 21.

[9] Plus d’informations sur :

https://www.bag.admin.ch/dam/bag/fr/dokumente/kuv-aufsicht/Projetsencours/personnesdetenues/projetdeloidetenus.pdf.download.pdf/KVG%20Inhaftierte.%20Erlassentwurf_FR.pdf 

[10] Les neuf domaines du PES (Plan d’exécution de sanction) sont : les comportements, les relations sociales, le travail, les loisirs, les finances, la réparation du dommage, la santé, le travail sur l’infraction et l’insertion sociale. Ils font écho aux principaux facteurs criminogènes décrits dans le modèle RBR (Risques-Besoins-Réceptivité) d’Andrews et Bonta, utilisé comme référence en matière d’évaluation et de prise en charge criminologique.