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Congrès de Criminologie 2022 à Interlaken - extrait

Le Congrès de Criminologie 2022 a eu lieu comme d’habitude à Interlaken, cette année sous le thème général « de la sanction alternative à la criminologie alternative ». Pour illustrer ce thème, Michel Finazzi propose un compte-rendu de l’intervention de l’un des conférenciers, le juriste Benjamin Brägger avec son titre « la peine privative de liberté comme panacée de la politique criminelle ? Situation en Suisse – développement de perspectives alternatives ». Sa conférence témoigne des révisions récentes du Code pénal suisse par le parlement qui proposaient des sanctions alternatives. Mais ces révisions, tiennent-elles leurs promesses dans la réalité ?

Benjamin Brägger entre dans le vif du sujet en rappelant que la révision de la partie générale du Code pénal (entrée en vigueur le 1 janvier 2007) avait pour objectif de politique pénale de réduire les courtes peines privatives de liberté sans sursis. Selon des études empiriques, elles étaient qualifiées de désocialisantes et coûteuses, voire inutiles et mêmes nocives. Comme le montrent les chiffres de l’Office fédéral de la statistique, l’objectif de cette révision n’a jamais été pleinement atteint.

Dans la recherche de Benjamin Brägger, ce ne sont pas les chiffres des condamnations qui ont été analysés, mais les chiffres des libérations, car les peines privatives de liberté, dites de substitution, sont souvent des peines pécuniaires pouvant aboutir à de courtes peines de prison.

En 2006 par exemple, le nombre de détenus libérés ayant purgé une peine privative de liberté [1] ne dépassant pas 18 mois était de 5’153. Le point le plus bas a été atteint en 2009 avec 3’139 détenus, pour remonter à 4’032 en 2019. Il est frappant de constater que les peines avec une durée de sursis de plus de 3 à 6 mois sont passées de 760 à 873 au cours de cette période (2006 à 2019). Cela a certainement à voir avec l’introduction, en 2007, de la peine privative de liberté avec un sursis partiel, une concession faite aux autorités de poursuite pénale de la Suisse romande, comme  argumenté à l’époque.

Les peines de privation de liberté de plus de 18 mois ont presque doublé au cours de cette période, passant de 371 cas en 2006 à 646 cas en 2019. Il n’est donc pas surprenant que la durée moyenne de séjour pour une peine de prison ferme soit passée de 167 jours en 2006 à près du double pour atteindre 318 jours en 2019 ; la médiane est passée de 61 jours à 162 jours au cours de la même période, ce qui correspond à un triplement.

Une grande partie des privations de liberté purgées sans sursis sont des peines dites de substitution, soit des peines pécuniaires (art. 36 CP) ou des amendes (art 106 CP) impayées converties en peine sans sursis. Un tableau statistique plus accentué se dégage : en 2006, sur les 7’055 détenus sortis de prison, 1’902 avaient purgé un séjour de substitution, ce qui correspond à une part de 27%. En 2019, ils étaient 4’759 sur un total de 8’791 détenus, soit une proportion de plus de 54% de l’ensemble des peines. La durée moyenne de séjour pour une peine de substitution était de 16 jours en 2006 et de 23 jours en 2019, la médiane était quasiment inchangée : 8 jours en 2006, 7 jours en 2019.

Ces chiffres montrent que le système de sanctions en vigueur aujourd’hui n’est pas adapté pour réduire efficacement les peines privatives de liberté de courte durée sans sursis.

On peut constater que le nombre d’étrangers en peine privative de liberté sans sursis est disproportionnellement élevé, avec un peu plus de 60% de tous les cas, comme généralement constaté avec les peines sans sursis. Cela est en lien avec le risque de fuite des étrangers non résidents.

L’utilisation de sanctions alternatives devrait être encouragée pour contrer la tendance actuelle à la privation de liberté. La dépénalisation de la Loi sur les contraventions, comme c’est déjà le cas en Allemagne, serait-elle une solution? Et quelle peine pourrait remplacer efficacement la privation de liberté individuelle ou la peine pécuniaire ?

Benjamin Brägger propose de continuer la réflexion sur la dépénalisation :

  • Punition par privation de liberté seulement en ultima ratio ;
  • Reconnaissance de la non convenance de la sanction pénale pour lutter contre les tendances en lien avec les courants sociétaux ;
  • Abandon de la politique pénale comme argument électoral ;
  • Epuration dans le Code Pénal de ses alinéas d’interdictions pléthoriques ;
    Abandon progressif de la pénalisation des transgressions de faible importance au profit de poursuites administratives ;
  • Peines pécuniaires à prononcer seulement contre des personnes solvables ;
  • Réduction du recours aux courtes peines de privation de liberté au profit, p. ex. des TIG surveillés ;
  • Introduction de nouvelles peines comme compensation matérielle, médiation, justice restaurative [2], programmes d’apprentissage social, cours d’entraînement à la non-violence, etc. ;
  • Circulation routière : abandon de certains radars automatiques installés sous l’aspect trop évident de rendement ;
  • Humanisation des peines sous forme, par exemple de privation d’accès aux dispositifs électroniques, aux réseaux sociaux, etc.
Face à la délinquance de faible et moyenne importance, l’application de la justice actuelle semble ne disposer que de la pilule amère de la sanction pénale. Comme si les médecins ne prescrivaient que l’Aspirine contre toutes les maladies…

Michel Finazzi

Notes :

[1] Les personnes condamnées à une peine globale ou à une révocation ainsi que les personnes qui ont été libérées de l’exécution d’une peine d’emprisonnement de remplacement ne sont pas incluses.

[2] La justice restaurative pour adultes a de nouveau été refusée par le parlement suisse en 2022.