Infoprisons

Paroles de détenu-es

Il est bien sûr regrettable que tout au long de notre manifestation « Prison, justice et droits humains » aucun-e détenu-e ou ancien-ne détenu-e ne participe à la discussion. Cela s’explique par la difficulté de contacter les personnes concernées et surtout de les convaincre de faire entendre leur point de vue. Lorsque c’est arrivé, lors d’autres manifestations, nous avons eu le sentiment qu’ils et elles se tenaient en retrait, exprimant une situation de malaise. Cela nous donnait l’impression de nous servir d’elles et d’eux comme d’un alibi contre l’accusation de les exclure.

C’est pourquoi nous avons estimé que leur parole serait mieux entendue si elle bénéficiait d’un espace et d’un temps qui leur serait entièrement réservé, et si elle était portée par des artistes de grand talent. 

Nombreux sont les écrits de prisonnières ou de prisonniers célèbres, de Rosa Luxembourg à Angela Davis, de Soljenitsyne à Nelson Mandela et tant d’autres. Notre ambition est au contraire de rendre visibles celles et ceux qui sont à l’ombre des murs, mais proches de nous, en Suisse ou en Europe, hier ou aujourd’hui. Celles et ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une prison ne peuvent pas se représenter ce que cela signifie d’y être enfermé-e. Même les juges… Ainsi les textes mis en scène et en musique par les artistes de cette soirée donnent à entendre des réalités bien différentes des discours habituels du monde judiciaire. Ils sont parfois accusateurs, revendicateurs, rédigés en termes crus. Parfois ils mettent en lumière la vie des prisons au jour le jour, les regrets, les frustrations, les espoirs. D’autres encore sont poétiques et témoignent d’une grande sensibilité. 

D. Ancien détenu incarcéré aux EPO

J’étais qualifié d’ennemi public n° 1!  Nous étions des braqueurs. La police a montré les armes que nous possédions et quand un détenu qui a volé une poule voit ça, il comprend qu’on n’évolue pas dans la même ligue ! Mon complice et moi nous jouissions donc d’un certain prestige. Pour autant, nous n’étions pas des caïds, organisés pour exercer un pouvoir sur les autres détenus. C’était un «caïdat moral» parce que nous voulions améliorer la société, et la rendre plus juste. Nous étions respectés par les détenus et détestés par les autorités. Elles répandaient sur nous toutes sortes de fausses accusations.  (…) On veut nous faire régresser psychiquement par l’aveu de la culpabilité. Moi je n’ai jamais avoué. Je ne voulais pas de compromis avec les bourgeois, pas de compromis avec la justice. Je n’avouerai jamais rien.  (…) Contre nous, les contestataires ou les dissidents, le système pénal applique les armes juridiques prévues contre des humains détestables qui veulent tuer, et vu que nous ne regrettons pas nos actes, on ne nous laisse pas sortir.   (…) Pour les cas très graves, on devrait prévoir une relégation dans une vallée dont les tueurs ne doivent plus pouvoir sortir. Ce qui ne va pas c’est qu’on applique   ce système aux dissidents et qu’on ne fait plus de distinction entre les détenus politiques (ce que j’estime avoir été) et les autres. J’ai toujours été criminalisé et je le suis encore.  (…) Les prisonniers politiques, c’est fini! Il y a peut-être les black bloc, mais je ne les connais pas. Ce qui me fait réfléchir, c’est que notre époque pratique la robotisation des humains et l’humanisation des robots. Avec l’intelligence artificielle, on vit dans une société artificielle. Le clivage droite-gauche, c’est fini. Ma réflexion n’est même plus politique, elle est devenue existentielle. C’est le brouillard. J’aimerais trouver des gens qui réfléchissent là-dessus.

Y a-t-il encore des prisonniers politiques? Bulletin 28, Mars 2020

Tract diffusé par des prisonnières de Fleury Mérogis dans la cour de promenade pour la 8 mars 2014

Aujourd’hui, 8 mars, le jour international de la femme, en tant que femmes prisonnières, militantes, basques et féministes, nous vous faisons part de nos réflexions.

Le système capitaliste-patriarcal veut diriger nos vies et même nos corps à l’avantage du capitalisme. Par conséquence, en faisant partie de ce système, nous les femmes, il ne nous reste que la violence, la précarité, la pauvreté. La prison ne fait qu’aggraver la crue réalité. Elle nous éloigne de la société égalitaire qu’on revendique, avec le seul objectif de nous soumettre. La prison rend presque impossible le droit d’être maman et aussi la maternité. L’architecture de la prison ne répond pas aux besoins ni de l’enfant ni de la mère. Les mamans avec des enfants hors de la prison n’ont pas beaucoup plus de chances. Elles subissent de véritables entraves pour conserver les liens avec leurs enfants. (…) Pour la défense de nos droits fondamentaux, pour une société égalitaire femme-homme, pour une société plus humaine : femme prisonnière, engage-toi dans la lutte féministe!

Le 8 mars et toute l’année: solidarité avec les détenus L’envolée, 16.03.2021

Témoignages de jeunes détenus à Fleury Mérogis

Pour venir, ma mère se réveille tôt. Elle prend deux bus. Le premier l’emmène à la gare, et le second, devant la maison d’arrêt. Elle a toujours un gros sac de linge propre, qu’elle porte à bout de bras. Je n’imagine même pas l’énergie et la force que cela lui demande car elle est tout de même quinquagénaire. Elle me ramène du linge et des livres, la plupart du temps de philosophie, des auteurs comme Paulo Coelho ou Khalil Gibran.

«Ma mère, elle cherche toujours des sujets futiles pour masquer le fait qu’elle en a marre. Alors on parle de mon équipe de foot préférée, l’OM, et d’autres sujets. Mais jamais de comment ça se passe ici. Je n’aime pas les immerger dans cette atmosphère de détention (…)

Ils doivent y penser en rentrant à la maison, c’est une double peine pour moi car le mal-être de mes proches me touche.

Dans ma cellule, je me sens comme dans une niche de chien Libération, 27.04.2018

Lettre ouverte d’un détenu au Grand Conseil vaudois au sujet de la mort de Skander Vogt

En été 2008 le média Le Matin avait fait l’écho de son cri de détresse quand il était monté sur le toit du bâtiment de l’EPO. Mais en retour, aucun message d’espoir ne lui était adressé par l’autorité judiciaire vaudoise, si ce n’est une cellule entièrement bétonnée 24h sur 24, 7 jours sur 7.  Il faut croire que vous étiez à l’époque trop haut pour qu’il puisse vous toucher depuis ce toit de l’EPO. A l’ère où les moyens de communication ont atteint leur apogée, lui, dans sa structure de béton, il était contraint à communiquer par la fumée. Une méthode de communication ancestrale connue des indiens! C’est dire que Skander Vogt était prêt à tout pour communiquer! Juste pour qu’on l’écoute (…)

Mort, plus besoin d’ouvrir la porte de sa cellule ! Son âme est libre. Il a réussi à traverser les murs en béton. Plus besoin de lit en béton, il sommeille en nous. Plus vivant que jamais!

Lettre ouverte au Grand Conseil vaudois, Bulletin 3, Septembre 2011

Condamnés à mort aux Etats-Unis

Texte tiré du répertoire d’Inmates’ Voices

Le couloir de la mort est un lieu
Où l’homme est déshonoré
Où les mouches ne se posent pas
Où les oiseaux ne chantent pas
Où il n’y a aucun amour

Où un cherche l’amour
Mais jamais ne le trouve
Beaucoup de gens pensent
Que nous ne sommes qu’une perte de temps
Alors tu t’assieds dans ta cellule
Jour après jour
Et tu regardes ta vie dépérir
Tu n’as pas d’espoirs
Tu n’as pas de rêves
Tu n’es plus rien
Cela semble évident

Demain

Texte tiré de l’atelier d’écriture de Pramont

Demain, c’est fini, j’y arriverai pas. Aujourd’hui, c’est difficile, tout m’étrangle. Comment trouver la sérénité entre les pressions que la vie met sur ma gorge, comme le vieux fidèle geiser qui jaillit toutes les 10 minutes? Je me brûle avec cette eau qui m’éclabousse, j’en ai marre, je suis fatigué, je ne peux pas m’éloigner parce que tout cela se passe en moi. Au secours! Je veux descendre de ma planète, de mon monde, me coucher pour mieux renaître, avoir d’autres cartes en main, mieux les jouer, gagner parfois me ferait du bien. Accoucher de toutes mes amertumes, ma bile, remplacer mes humeurs par de la malvoisie flétrie, desserrer l’étreinte, m’ouvrir de trop de fermeture. C’est déjà le soir, j’ai survécu. Peut-être qu’après avoir dormi, je vais essayer demain de voir les fleurs, le ciel, les sourires plutôt que les barreaux de ma prison. Peut-être que demain ce ne sera pas fini, peut-être que demain j’aurai la possibilité de créer « à moi tout seul » et avec les autres, de nouveaux espaces, de nouveaux horizons.

La résignation, voilà peut-être le vrai visage de la liberté

La résignation, voilà peut-être le vrai visage de la liberté. Comment serait-il possible de se sentir libre alors que toute la réalité est, je pense, inextricablement subjective? (…) Mon parcours fut une véritable tragédie. Je ne parle pas de tragédie personnelle, non. Je parle d’une tragédie qui a bouleversé le tissu existentiel. Tous les aspects découlant de mes actes auront eu pour conséquence de déchirer un présent, et de remodeler un futur. Tout cesse d’être unilatéral. Voilà, je crois, l’essence même du mal qui habite la machine carcérale. Mon acte eut l’effet d’une déflagration instantanée, qui, au-delà même du mal direct infligé à ma victime et sa famille, s’est propagée au travers de ma sphère familiale, sociale, professionnelle, et continue aujourd’hui de se faire sentir dans une réalité ébranlée. J’ai déclenché l’explosion, certes, mais j’en subis également les effets et les conséquences. Le système carcéral de par son objectivation de l’individu ne laisse aucun espace à travers lequel celui-ci peut se considérer comme victime. Il n’est pas, donc il ne peut pas souffrir.

La résignation, voilà peut-être le vrai visage de la liberté, Kevin, Bertrand Trachsel et Anne-Catherine Menétrey-Savary, Bulletin 27, Décembre 2019

Témoignage d’un détenu sous mesure thérapeutique

Le Dr. xx déclare que « depuis le réseau interdisciplinaire du 22 juin 2009, il n’y a rien de fondamentalement nouveau ». Je lui rétorque que tant le Juge d’application des peines (JAP) que le Ministère public sont d’un tout autre avis (…)

Les paroles du Dr. xx m’ont profondément blessé. J’ai ressenti ces paroles comme du mépris et du dénigrement à l’égard de mon évolution. C’est pourquoi, de telles paroles ont anéanti chez moi tout espoir pour la suite de mon parcours, sachant que ma future évolution ne sera pas mieux considérée. J’en suis venu à considérer que mon sort était scellé irrémédiablement et que plus rien de ce que je pourrais faire à l’avenir ne pourra « sauver la situation ». Ce qui m’a conduit, poussé par le désespoir, à tenter de « m’auto-terminer » en essayant de me jeter dans le puits central de la cage d’escalier. Cependant, les surveillants de service à ce moment-là m’en ont dissuadé. A présent que je suis vivant, je précise que je n’ai pas insulté, ni menacé, ni agressé le personnel de service. Je n’ai voulu faire du mal qu’à moi-même. Si j’ai tenté de « m’auto-terminer » c’était suite à un état de grandes souffrances morales et de désespoir. En conclusion je souhaite vous faire part d’une remarque personnelle qui me vient du fond des « tripes » (si je peux m’exprimer ainsi). « La justice a su me condamner pour les actes que j’avais commis à l’époque, la justice devrait aussi savoir reconnaître mes efforts et mes progrès, et m’encourager pour cela ». Permettez-moi de vous faire partager une pensée personnelle, laquelle vous permettra de juger de mon état d’esprit actuel. « C’est toujours avant l’aube qu’il fait le plus sombre ».

Un détenu condamné aux mesures de l’art. 59 CP témoigne Bulletin 1, Janvier, 2011