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Quand le juridique rappelle au politique ses devoirs

Quelle surprise et quelle est belle ! Le 13 octobre, le Tribunal fédéral a rendu un jugement inattendu concernant le régime de la détention administrative. Cette décision, qui peut sembler de prime abord mineure, change bien des choses. Explications.

L’arrêté 2C_765/2022 du 13 octobre courant [1] n’a pas fait grand bruit. Juste une publication via un communiqué ATS dans le Journal du Jura du samedi 23 octobre. Pourtant, il a surpris plus d’une personne travaillant dans le domaine de la détention.

Dans cet arrêté, le Tribunal fédéral (TF) reconnaît que le régime de détention administrative, tel qu’appliqué à Moutier, est trop sévère, notamment en matière de durée d’enfermement en cellule et de communication (internet).

Ce n’est pas grand chose en apparence, mais cela met sans doute une sacré pagaille dans les divers lieux qui pratiquent la détention administrative. Car le TF rappelle très clairement la procédure en cas de détention non-conforme: si des mises aux normes ne sont pas faites, il est impossible de maintenir des personnes détenues sous ce type de régime. Il faut soit les libérer, soit trouver un lieu aux normes. Or, selon la seule carte trouvée aisément [2], cela fait tout de même 470 places de détention concernées (et encore depuis 2012, il doit y en avoir en plus) ! Et pour les lieux de détention ayant peu de places de ce type, comme Delémont, une adaptation semble irréaliste. Comme souvent, pour ne pas dire toujours, l’attentisme en matière de politique de détention conduit au désastre avec un stress immense dans certains lieux de détention suite à cette décision. Des lieux dont les directions pouvaient réclamer tous les changements, toutes les adaptations, mais où à chaque fois, le pouvoir politique disait que « tout va très bien, madame la marquise » [3].

Ce que le TF clarifie également, c’est la légitimité de la Commission Nationale de Prévention de la Torture (CNPT). Elle est souvent prise de haut par les responsables politiques, qui ne voient au mieux que des recommandations dans ses rapport[4], au pire, des remarques de nature politique [5]. Jusqu’alors, le pouvoir de la commission semblait inexistant. La preuve avec la lutte pour améliorer les conditions à Granges en Valais et l’opposition passive du Conseiller d’Etat à ce sujet. En s’appuyant sur les rapports successifs de la CNPT dans son jugement, le TF rappelle que les recommandations émises par cette instance sont contraignantes. Il en va de même pour sa « grande soeur » la commission européenne de prévention de la torture (CPT). En effet, ce ne sont pas des idées et lubies de gentils gauchistes, contrairement à l’impression donnée par différentes réactions à leurs publications, mais bien des points de droit international que la commission met en avant dans ses rapports.

Si les lieux de détention parviendront sans doute à s’adapter rapidement, le rappel à l’ordre du TF n’en demeure pas moins un camouflet à une certaine classe politique, qui traînait jusqu’alors des pieds et pensait qu’aucune instance n’oserait, et surtout n’aurait les moyens, de remettre en cause cet attentisme. Le pouvoir judiciaire vient de donner tort au politique, qu’il en prenne de la graine !

David Kneubühler