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L’incertitude du temps : la prison au jour le jour

En prison, le temps s’écoule différemment et la personne détenue oscille entre deux temporalités: celle de son incarcération et celle de l’extérieur. Le temps revêt ainsi d’une véritable obsession pour le détenu, et est l’un de ses drames. Car si le temps en prison coexiste avec la temporalité extérieure, l’inverse n’est pas vrai. Le monde extérieur continue d’avancer et de changer selon son propre rythme, tandis que la personne incarcérée est engluée dans le carcan temporel propre de la détention. 

Le temps devient une entité malléable et son estimation varie au gré de l’avancée de la peine: tantôt accéléré lorsque vient la fin de l’incarcération, tantôt ralenti lors du présent pénitentiaire, ou arrêté et indéfini pour les patients détenus sous mesure pénale. Car si l’attente est le quotidien d’un individu qui purge sa peine, l’incertitude, quant à elle, est le propre de la mesure. Il semble dès lors périlleux de définir un temps carcéral, tant cette temporalité est empreinte de subjectivité, chaque régime de la peine offrant sa propre réalité. Toutefois, une donnée reste immuable pour chaque personne détenue, celle d’un temps qui est subi.

La capacité à ne pas être assimilé par le milieu carcéral dépend en partie de la durée de la peine, mais également des ressources individuelles de chacun. Certains s’adaptent au milieu carcéral et tentent de combler les journées au maximum pour éviter d’être esclave du temps et ne plus être un agent passif. D’autres, à l’inverse, subissent ce temps et s’y retrouvent englués. L’inactivité devient reine, le sommeil la délivrance. Chaque détenu vit ainsi son enfermement et sa peine en adoptant une posture de soumission ou de combattant, en inventant des stratégies d’adaptation ou de résistance.

Les temps perdus de la détention Lauriane Constanty, Bulletin 25, Mars, 2019

Le détenu interné ne peut que subir le temps qui s’est figé sans possibilité d’imaginer son avenir. Le quotidien de l’institution carcérale devient la préoccupation essentielle tandis que les événements extérieurs perdent de leur réalité et le détenu s’installe dans sa sentence. Si à l’extérieur l’on cherche à passer le temps, entre les murs de la prison, c’est le temps qui passe au travers des détenus internés et devient un instrument de contrôle auquel il est difficile de se soustraire. Jérôme Englebert, docteur en psychologie et chargé de cours à l’université de Liège, relate le cas d’un patient psychotique qui, lorsqu’il marche en arrière, explique remonter le temps. Un bel exemple qui met en évidence cette recherche d’une temporalité subjective.

Le temps de l’incertitude carcéral Lauriane Constanty, Bulletin 27, Décembre, 2019

Le désir d’en finir ?

Le suicide assisté en détention

Droit fondamental, peine de mort déguisée ou échappatoire aux conditions carcérales, l’assistance au suicide en milieu pénitentiaire divise les experts du monde juridique et de la santé et soulève de multiples questions. Outre les professionnels, l’opinion publique est également clivée entre les « partisans de la punition sans rémission et les défenseurs du droit pour tous à une mort digne ». Les premiers, souvent des victimes, arguent que la personne détenue doit être punie pour son crime et ne peut se soustraire à la sanction, mais doit la subir jusqu’au bout. Les seconds, quant à eux, estiment que « mourir dans la dignité » est un droit humain dont peut également se prévaloir la personne incarcérée. Le juriste et médecin Thomas Noll, chargé de cours aux universités de Saint-Gall et Zurich, est l’une des voix qui s’élève en faveur de l’autorisation du suicide assisté en prison. Pour lui, « toute personne capable de discernement qui estime que sa vie est insupportable a le droit d’y mettre fin, et cela s’applique également aux prisonniers, quel que soit leur crime » [1].

Dès lors, mourir en prison avec ou sans l’aide d’Exit? Une question entourée d’incertitudes et qui fait l’objet de vives controverses. Même si les cantons n’ont pour l’heure pas trouver un terrain d’entente sur la position à tenir, le Centre Suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales a élaboré un document cadre sur le « suicide assisté en exécution des peines et des mesures » [2].

Responsable du Centre d’expertises psychiatriques du CHUV, le Dr. Delcrausaz est plus nuancé: à ses yeux, il est difficile d’évaluer la capacité de discernement de quelqu’un qui souffre de troubles psychiques, et de déterminer si la souffrance relève du désespoir ou d’une pathologie. Quant à lui, le Professeur Dominique Sprumont, de l’Institut de droit de la santé de Neuchâtel, voit dans cette perspective un « contradiction de principe »: « le milieu carcéral est un environnement anxiogène et à haut risque où tout est organisé au quotidien pour prévenir les suicides. En permettant à quelqu’un de se donner la mort en prison, même si sa demande est légitime et correspond aux critères en vigueur, on modifie la fonction de l’institution ».  D’autres experts du droit pénal et de la santé insistent plutôt sur le fait que les détenus bénéficient des mêmes droits fondamentaux que les personnes libres, y compris le droit de décider de leur fin de vie.

Mourir en prison Anne-Catherine Menétrey-Savary, Bulletin 18, Juin, 2015

Lauriane Constanty

Références