Infoprisons

Prisons modernes - prisons humaines?

Avec la reconnaissance des droits humains en tant que fondateurs de tout pays démocratiques, ces derniers, en tout cas formellement, tendent vers le recours proportionné à la prison, en privilégiant les peines alternatives et la dépénalisation. Les valeurs démocratiques et du respect des droits humains font ainsi leur place au sein de l’institution carcérale. Ainsi, il est étonnant de constater qu’à l’époque de la prison en tant que dernier recours, celle-ci fait une réapparition en Suisse.

Commençons avec l’exemple du canton de Vaud. Le projet architectural retenu pour la nouvelle prison à Orbe « Grands-Marais » ouvrira 410 nouvelles places de détention dans un « environnement propice à la resocialisation et à la réhabilitation (…) » [1] et aura pour but d’alléger la surpopulation carcérale chronique depuis plusieurs années. Par ailleurs, dans un virement stratégique, le canton de Vaud annonce l’année précédente vouloir rénover la prison de Bois-Mermet au lieu de la fermer comme initialement prévu [2].

Cette tendance à l’élargissement des places de détention n’est pas unique au canton de Vaud. Nous rencontrons un peu partout en Suisse des projets de rénovation ou de construction de prisons afin d’augmenter les places de détention ou de les moderniser. Le canton de Berne s’apprête à construire une nouvelle prison de 250 places dont les coûts s’élèvent à 280 millions de francs [3]. Pour donner suite à une demande de places de détention supplémentaires, en 2019 les Grisons se voient doter d’un nouvel établissement pénitentiaire de 152 places à Casiz [4]. En 2019 toujours, Bâle termine les travaux d’agrandissement de la prison Bässlergut [5]. Dans le dernier rapport de monitorage des places de détention datant de 2018, les cantons latins annoncent la planification de 964 places de détention supplémentaires à contrario de 40 places à fermer. Le Nord-Ouest et la Suisse centrale prévoient 328 places contre 43 places à fermer. Quant à la Suisse orientale, 658 places sont planifiées contre 465 places [6].

Les discours politiques en faveur de la construction et de la modernisation des prisons font souvent référence aux besoins de gérer la surpopulation carcérale et de normaliser la peine de prison, afin d’assurer le confort de ceux que l’on estime incapable d’une vie en société.

La prison : l’ultima ratio ou recours par défaut ?

Si nous abordons la question de la population pénitentiaire, nous constatons que les prisons suisses sont loin d’être surpeuplées au niveau national. En comparaison avec ses voisins européens, la Suisse se trouve parmi les pays qui incarcère peu [7]. La raison principale de la surpopulation dans certains cantons, comme Genève et Vaud, sont le recours important à la détention avant jugement et la durée des séjours en détention de plus en plus long. En effet, les cantons de Genève, de Zurich et de Vaud, qui présentent des importants problèmes de surpopulation carcérale, sont ceux qui recourent le plus souvent à la détention préventive [8].

Mais comment aborder la surpopulation autrement que par la construction de nouvelles prisons ? Il est fréquent d’entendre, lors des débats sur l’ouverture de nouvelles prisons, des questionnements sur le véritable pouvoir de l’exécutif à impacter le taux d’occupation. Après tout, la décision du recours à la détention est une affaire judiciaire. Les services pénitentiaires sont simplement chargés de gérer les places de détention, ils sont au bout de la chaîne pénale. Avec le nouveau code pénal de 2018, il y a eu toutefois un transfert du pouvoir envers l’exécutif concernant les décisions sur l’exécution des sanctions sous forme de travail d’intérêt général (TIG) ou la la surveillance électronique (SE). Il est ainsi possible pour les autorités cantonales de se questionner sur comment favoriser les sanctions en TIG ou d’investir dans les bracelets électroniques. Pourtant, les statistiques fédérales indiquent une diminution marquée du travail d’intérêt général en 2020, et parallèlement, la diminution des condamnations contre les personnes sans permis de séjour (nous reviendrons sur les étrangers et le TIG plus bas) [9]. Au lieu, les projets architecturaux pour des nouvelles prisons semblent être la préférence.

Il est en effet, plus difficile d’organiser un TIG qui demande un certain investissement politique et stratégique que de recourir à des structures pénitentiaires déjà existantes ou dans le cas de Genève et Vaud, sur la liste d’attente pour rentrer en détention. Tout comme il est certainement plus difficile et risqué de réfléchir à l’usage des mesures de substitution pour la détention préventive, qui ne sont quasiment jamais appliquées en pratique [10].

Les réflexions autour de la surpopulation nécessitent la considération des personnes sans permis de séjour valable qui représentent, parfois 80% de la population de Champ-Dollon [11]. Les autorités cantonales d’exécution des peines interprètent souvent l’absence d’un permis en tant que risque de fuite. Par conséquent, les étrangers sont souvent exclus des peines alternatives à l’emprisonnement, contribuant ainsi au problème de surpopulation. Pourtant, selon le Tribunal fédéral, l’exigence d’un permis de séjour pour obtenir un TIG ou la semi-détention est une condition supplémentaire imposée par les cantons qui durci le recours à ces alternatives [12].

Ainsi, on peut songer, comme l’ont dit les opposants du projet de la prison genevoise « les Dardelles », que la surpopulation n’est pas une question de places en prison, mais plutôt le syndrome d’une politique pénale favorisant la prison [13]. Les expériences du passé démontrent que la construction de nouvelles prisons à elles seules, n’allège pas la surpopulation pénitentiaire. En prenant l’exemple de la Brenaz, cet établissement genevois construit pour remédier à la surpopulation à Champ-Dollon n’a rien changé à la surcharge chronique des prisons du canton. Il est en effet admis que la surpopulation nécessite des efforts de plusieurs acteurs assumant différents rôles vis-à-vis de la sanction d’emprisonnement. Toutefois, et contrairement aux avis prédominants, l’exécutif cantonal peut agir sur les taux de détention sans nécessairement recourir à l’augmentation des places de détention.

L’aménagement de l’espace pour socialiser ou contrôler ?

Les buts réhabilitatifs de la prison ont vu le jour au début du 19ème siècle, faisant suite aux croyances transformatives de la peine pénale. Partant des travaux du philosophe Jeremy Bentham, l’architecture de la prison prend un rôle central dans le processus de resocialisation de l’individu. Aujourd’hui, nous sommes à l’ère de la normalisation de la peine de prison qui consiste à rendre la prison la plus proche des conditions extérieures. S’enchaînent ainsi les travaux de rénovation afin d’améliorer les structures des établissements, d’ouvrir des nouveaux ateliers et d’agrandir les cellules. Il s’agit même de mettre en place des projets de « SmartPrison » des établissements dotés d’outils informatiques pour les détenus [14].

Les prisons sont de plus en plus pensées et construites comme des petites villes avec une volonté de faire oublier aux personnes qu’elles sont, en fait, détenues.

Une étude provenant de la Norvège remet en question les méthodes utilisées pour satisfaire le principe de normalisation de la détention. En mesurant la qualité de vie dans les prisons dans les grands et petits établissements, les chercheurs norvégiens confirment les constats de leurs prédécesseurs que la qualité de vie est meilleure dans les petites prisons – “small is better”! – , de même que la relation entre le personnel pénitentiaire et les détenus [15]. L’exemple donnée par Marie-Nathalie d’Hoop [voir résumé de son exposé lors de la manifestation dans ce bulletin] illustre bien l’importance des relations humaines dans la resocialisation : les prisons belges les plus vétustes, faisant l’objet de moultes condamnations par les organismes d’observation des conditions de détention, étaient, en réalité, les endroits les moins difficiles à supporter. Le fait d’éprouver ensemble les conditions regrettables de l’établissement a eu pour effet d’augmenter le sentiment d’appartenance, ainsi que la cohésion entre les détenus et les gardiens de prison. Malgré ces constats, l’importance des relations interpersonnelles et le sentiment d’appartenance à une communauté sont largement négligés dans les efforts de rendre les prisons plus resocialisantes.

Il y a ensuite le principe de resocialisation de la peine de prison qui se traduit, dans les établissements carcéraux modernes suisses, par un plan d’exécution des sanctions. Les peines de prison sont ainsi aménagées en passant par un régime progressif d’exécution. Le prisonnier progresse par diverses étapes de l’institution pénitentiaire, aménagée elle aussi dans ce but : d’abord en milieu fermé, puis en milieu ouvert et avec des degrés de sécurité minimum, moyen et maximum. Tout au long de ce processus, la personne incarcérée est évaluée, examinée, classée dans des catégories de risque de récidive faible, moyen et élevé. Elle est ainsi mise à l’épreuve et amenée à participer à l’exécution de sa peine. Elle doit prouver qu’elle a internalisé les idéaux de l’institution et ainsi réduit son niveau de risque pour gagner sa place en milieu ouvert ou sa libération conditionnelle. Vu du regard des principaux concernés, les personnes détenues, ce système de récompenses internes n’est qu’un moyen d’assurer que ces derniers sont « tranquilles et isolés ». Bien que basé sur une volonté d’accompagner la personne vers la réinsertion, le régime progressif de l’exécution permet à l’administration d’assurer, en fin de compte, l’un de ses buts : maintenir l’ordre interne de l’institution [16].

Conclusion

Les discours légitimant la prison, son agrandissement ou son expansion par la gestion de la surpopulation et la réinsertion des détenus, doivent être réexaminés à la lumière de ces quelques considérations. Nous rencontrons trop souvent des pratiques en contradiction avec les cadres légaux visant à réduire le recours à la prison ou en discordance avec les réalités des personnes incarcérées. Ces pratiques suggèrent que les prisons restent des lieux de contrôle et des outils de gestion des problèmes sociaux que nous ne savions pas comment gérer autrement.

Melody Bozinova

Références

[1] Propos de l’architecte cantonal et président du jury. Repris par Le Temps (3 mai 2021) : Le projet architectural retenu pour la future prison des Grands-Marais, à Orbe, a été dévoilé.

[2] RTS (12 juin 2020) : La prison du Bois-Mermet à Lausanne devra durer malgré sa vétusté.

[3] RTS (19 août 2021) : Le canton de Berne construira une nouvelle prison à Witzwil ou à Prêles.

[4] Swiss Info (18 octobre 2019). Fin des travaux de construction du pénitencier de Cazis (GR).

[5] La Liberté (19 décembre 2019). Agrandissement de la prison “Bässlergut” à Bâle.

[6] CSCSP (février 2019): Monitorage des capacités de privation de liberté: connaissances spécialisées et analyses.

[7] Council of Europe (29.06.2021) : Prisons and Prisoners in Europe 2020: Key Findings of the SPACE I report.

[8] OFS (27 mai 2021) : Détention préventive selon le canton.

[9] OFS (15.11.2021) : Les exécutions de sanctions ont diminué de près de 21% en 2020; OFS (17.05.2021) : Les condamnations en baisse de 11% en 2020.

[10] Humanrights.ch (03.08.2020) : Détention provisoire: le principe de proportionnalité doit devenir une réalité juridique.

[11] Allez savoir (31.01.2019): Étrangers dans les prisons suisses, pourquoi ils sont si nombreux.

[12] Arrêt du Tribunal fédéral: 145 IV 154

[13] Grand Conseil Genève (12.10.2020) Rapport sur la motion pour une politique pénitentiaire humaine, cohérente et économique.

[14] Prison-info (1.2021) : Transformation numérique.

[15] Johnsen, B. et al. (2011). Exceptional prison conditions and the quality of prison life: Prison size and prison culture in Norwegian closed prisons. European Journal of Criminology, 8(6), 515-529.

[16] Vachert, M. (2006). Gestion de la pein et maintien de l’ordre dans les institutions fédérales canadiennes. Contrôle, pouvoir et domination. Les réussites de la prison. Déviance et société, vol. 30, p. 289-304.