Infoprisons

Le Service pénitentiaire vaudois (SPEN) derrière ses propres barreaux : plaidoyer pour davantage de transparence

Durant la dernière décennie, la gouvernance du SPEN et son département de tutelle (DES) a montré un manque de transparence marqué par des blocages systématiques de nombre d’initiatives qui auraient permis d’avoir un regard sur son fonctionnement. Des associations comme Infoprisons, des journalistes, des chercheurs se sont systématiquement heurtés aux portes closes du monde pénitentiaire mises en place par les autorités en charge. Ce sont pourtant des questions qui méritent un véritable débat démocratique qui, espérons-le, pourra s’amorcer avec le renouvellement des décideurs en charge ce printemps.

INFOPRISONS, trop critique ?

Lors de son allocution, le 2 octobre 2021 dans le cadre des journées de réflexion critiques d’Infoprisons, Madame Béatrice Métraux, cheffe du département de l’environnement et de la sécurité (DES) dont dépend le SPEN, a souligné l’existence de « points de friction », mis en avant des discussions souvent émotionnelles qui polarisent les camps derrière des « assertions simplistes » et le fait que « beaucoup semble nous opposer » pour décrire ses relations avec Infoprisons. Si elle salue l’engagement de l’association et son développement de « pensées originales » c’est encore pour marquer ses distances. Mais elle ne précise pas la nature de ces divergences. Donc de quoi peut-il s’agir ?

Rappelons de manière succincte les événements et dossiers marquants auxquels le SPEN s’est trouvé confronté et qu’Infoprisons a relaté.

La mort de Skander Vogt en mars 2010 a déclenché une cascade d’événements qui, du rapport Rouiller recommandant des réformes urgentes en profondeur du SPEN, dont la première fut un changement de direction, au rapport de la Commission de gestion du Grand Conseil qui pointait ses dysfonctionnements et notamment sa culture d’entreprise et fonctionnement trop hiérarchique, ont mis le SPEN sous le feu des projecteurs. Le mot de réforme est repris par toutes les parties prenantes sans s’accorder sur des stratégies partagées.


Ce qui fait consensus, en mai 2010, c’est le postulat d’Anne Papilloud qui demande un rapport sur la politique pénitentiaire actuelle et future du canton. Elle sera définie en 2016 dans un rapport qui est, selon B. Métraux, un bilan et une feuille de route pour l’avenir. Entretemps, le Grand Conseil avait demandé l’organisation d’assises de la chaîne pénale dont la première édition se déroule en juin 2013 (dans un compte-rendu publié dans le bulletin d’Infoprisons, il est souligné que la cheffe du DES « tient le discours le plus nuancé sur le système pénal et pénitentiaire ») et une deuxième édition qui s’est tenue en décembre 2018 sans avoir fait émerger une volonté de changement. La surpopulation carcérale et les rénovations, agrandissements et créations de nouvelles infrastructures alimentent la plupart des débats.

A la fin de l’été 2017, une soixantaine de détenus ainsi qu’un certain nombre de collaborateurs envoient deux lettres ouvertes à B. Métraux pour signaler des maltraitances institutionnelles aux EPO. Il est question de déficits de communication interne avec la direction et externe avec le SPEN considéré comme peu accessible. Le principe même de cette prise de parole est critiqué vivement par le SPEN parlant d’une attitude de « toute puissance » que leur aurait donnée la tribune médiatique et politique accordé à leur intervention collective.

Depuis près d’une décennie, les zones carcérales de l’hôtel de police lausannois et de la Blécherette constituent des lieux d’incarcération hors la loi retenant des personnes plus de 48h et pouvant aller jusqu’à 30 jours dans des conditions de détention inadaptées. La situation a été pointée du doigt de manière récurrente par la commission des visiteurs du Grand Conseil, par le Tribunal fédéral, par le comité européen de prévention de la torture (CPT) et la commission nationale de prévention de la torture (CNPT). Jusqu’à ce jour, aucun changement majeur n’est intervenu pour remédier à ces conditions inadmissibles.

Un exemple de tergiversations du SPEN dans des dossiers importants a été la réduction des risques en milieu carcéral. La question a été abordée dans deux bulletins d’Infoprisons en 2018 [1] en rappelant que les établissements de privation de liberté se trouvaient dans l’obligation de donner accès à du matériel d’injection stérile, à des préservatifs et à un traitement de base de stupéfiants pour les personnes souffrant d’addiction [2].

Le SPEN a fait part de ses réticences face à ces mesures existantes depuis 2004 à Champ Dollon ! En octobre 2021, le canton de Vaud autorise finalement l’échange de seringues stériles dans ses prisons balayant les affirmations antérieures du SPEN selon lesquelles ces mesures favoriseraient la consommation de drogues en prison et présenteraient des risques sanitaires importants comme les agressions à la seringue.

Plateforme d’information portant un regard critique sur les réalités carcérales et pénales, Infoprisons a tout naturellement rendu compte des actualités du SPEN de ces dix dernières années de la manière la plus factuelle possible, sans polémique, tant sur le terrain que sur le plan de ses réactions de ses orientations stratégiques.

On constate tout au long des diverses crises traversées par le SPEN, une difficulté récurrente de se pencher sur son propre fonctionnement et une méfiance envers les regards extérieurs notamment la presse et, partant, Infoprisons.

MANQUE de TRANSPARENCE et d’INFORMATIONS intra-muros

Des visites de la CNPT notamment à la Tuilière en 2016 ainsi que les pétitions de détenus des EPO en 2017 ont fait état d’une mauvaise circulation de l’information au sein des établissements pénitentiaires et l’absence d’une communication claire à l’interne. Les détenus ne sont pas assez informés ni préparés à leur transfert.

Divers rapports de la Commission des visiteurs du Grand Conseil corroborent un manque d’informations relatives aux droits et devoirs ainsi qu’à des questions liées à la vie quotidienne des personnes détenues. Il y a un manque d’éclaircissements concernant la disposition des différents comptes en particulier après un changement de prison. Après des recommandations récurrentes sur ce besoin de transparence de l’information concernant les règlements et directives des établissements notamment sous forme de brochures traduites en plusieurs langues, il semble qu’il y ait eu enfin des progrès sur ces questions.

Ainsi, le rôle des organes externes de surveillance s’est révélé indispensable cette dernière décennie pour imposer des correctifs à la gestion des prisons vaudoises.

De la MÉFIANCE GÉNÉRALISÉE à la CENSURE

Nous avions invité un agent de détention de la prison de la Tuilière à participer à une table ronde lors des deux journées de réflexion marquant les 10 années d’Infoprisons. Il avait donné son accord, mais en respectant dûment la voie hiérarchique, il s’est vu refuser sa participation par le SPEN.

L’aumônière de cette même prison qui, elle, a pu intervenir durant cette journée, nous a fait part du refus du SPEN de permettre la publication d’un livre réunissant des paroles de détenues et, partant, n’a pas pu accéder à notre demande d’avoir des textes de femmes incarcérées.

Nous avons, pour notre part, fait l’expérience de blocages de la part du SPEN en lien avec la publication d’articles pour notre bulletin.

En 2018, nous avions le projet de décrire les activités de l’établissement du Simplon à Lausanne accueillant des personnes condamnées à des courtes peines de privation de liberté exécutées en semi-détention. Il s’agissait, en particulier, d’avoir un entretien avec son directeur. Notre demande devait également avoir l’aval du SPEN dont le responsable de communication nous demandait une liste détaillée des questions que nous voulions poser. Anne-Catherine Ménétrey a pris contact avec Béatrice Métraux pour s’en étonner en lui précisant qu’Infoprisons n’était pas un groupe militant ni provocateur : « critique certes mais pas agressif ». L’objectif était bien de documenter les efforts entrepris en vue de la réinsertion des détenus. Le conseiller personnel de Béatrice Métraux nous a fait état de la méfiance du SPEN à l’égard de Tamedia, réputé, selon eux, de politiser les informations concernant le système pénitentiaire et les prisons, groupe de presse auquel Infoprisons est implicitement assimilé et perçu comme des journalistes. Nous avons décidé purement et simplement d’abandonner ce projet d’article.

En février 2019, nous avons eu le dessein de recueillir les témoignages de collaborateurs du milieu carcéral sur leur quotidien professionnel. Nos demandes auprès de plusieurs établissements pénitentiaires ont été transférées au SPEN qui nous réclame la liste de questions qui seraient posées. Nous précisons alors que nous n’avions pas l’intention de passer un questionnaire mais transmettrons un fil conducteur des entretiens projetés. Le SPEN avait également la main sur le recrutement des interviewés dans le canton de Vaud. Les agents de détention étaient pour une part réticent en invoquant le secret de fonction et une méfiance envers une personne extérieure assimilée à une journaliste. D’autre part, les autorités pénitentiaires ont renforcé cette défiance en les incitants à être très prudents dans leurs propos. Nous avons en partie contourné ces obstacles en présentant le projet d’entretien directement aux agents en formation au Centre suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales à Fribourg et complété notre échantillon. Nous avons envoyé une première mouture de l’article au SPEN pour relecture. La déléguée de la communication a alors mis en cause les déclarations des agents, en particulier les relations avec leur hiérarchie (par exemple un manque de soutien lors d’incidents avec les détenus) tentant de modifier tout un paragraphe alors que la moitié des entretiens provenait d’un personnel recruté hors du canton. Tout ce processus a duré près de 9 mois jusqu’à la publication de l’article [3] !

Sans surprise, le SPEN verrouille l’accès de journalistes à des témoignages d’agents et de détenus en l’occurrence de la Tuilière. Dans un dossier « Autour de la prison » publié dans le Journal de Morges le 16 juillet 2021, le journaliste Raphaël Cand décrit ses vaines tentatives durant deux ans pour conduire des entretiens intra-muros. Le SPEN est d’abord aux abonnés absents puis réagit utilisant divers prétextes tel l’absentéisme du personnel, des postes inoccupés, le surplus de travail des collaborateurs dû à la surpopulation etc. Le journaliste précisait bien dans son entrefilet « notre intention, clairement annoncée, n’était pas de créer une polémique ou un scandale, mais de lever quelque peu le voile sur la vie dans ce bâtiment près duquel est déjà probablement passé chaque habitant de notre région ». Une autre journaliste s’est proposé de rendre compte de la création d’un atelier innovant au sein d’une prison vaudoise comme expérience valorisante : cela lui a été refusé.

La loi sur l’information (LInfo, entrée en vigueur le 1er février 2017) a pour but de garantir la transparence des activités des autorités afin de favoriser la libre formation de l’opinion publique. Elle exclut les informations susceptibles de compromettre la sécurité ce qui n’est pas le cas des exemples cités [4].

Déni démocratique

Il est fréquent de constater en voulant documenter différentes réalités du milieu carcéral la quasi absence de données qualitatives et quantitatives sur lesquelles se baser.

Nous avons eu connaissance de plusieurs cas de difficultés d’accès de chercheurs au terrain de la prison. Il existe une véritable omerta à cet égard tant celles et ceux qui, après bien des obstacles, ont pu finalement pénétrer ce milieu verrouillé craignent d’en faire état pour ne pas mettre en péril leur travail scientifique en cours.

D’autres, moins chanceux, se sont vu purement et simplement refuser leurs projets pourtant validés par le Fonds National de la Recherche Scientifique (argent public) et cautionnés par leurs instances universitaires. Dans un cas, la demande a été balayée de manière totalement arbitraire sans argumentation, dans deux autres cas il n’y a tout simplement eu aucune réponse dans une stratégie de pourrissement qui, en effet, a fait abandonner les chercheurs en question. De facto, il n’y a pu avoir de production scientifique significative sur le terrain des prisons durant la dernière décennie dans le canton de Vaud.

L’interface du service de communication n’a, à l’évidence, pas les compétences pour juger de projets de recherche et ne devrait pas être responsable de telles demandes. Il serait pertinent de créer dans l’organigramme du SPEN une unité de recherche spécifique. Elle pourrait développer la formulation des besoins du service, engager des collaborations avec l’UNIL (Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique, sciences humaines, Institut de médecine sociale et préventive, etc.) et servir de guichet aux demandes en matière de recherche.

La politique de communication du SPEN avec ses réflexes quasi pavloviens de verrouillage a peut-être permis d’écarter ponctuellement les projecteurs sur le monde carcéral mais nullement contribué à l’amélioration du système. Les dossiers qualifiés de politiques (à peu près tous) devraient pouvoir être dûment investigués au moyen de méthodologies éprouvées pour faire l’objet de débats publics permettant précisément de dépasser toute instrumentalisation partisane.

Les établissements pénitentiaires en Suisse sont des institutions publiques. Rien ne justifie de les maintenir à l’abri des regards extérieurs. Leur résistance à toute enquête, évaluation et recherche en prison (qui de toute manière doit être expliquée de manière transparente) est injustifiable.

Espérons qu’à la faveur du renouvellement des instances dirigeantes du SPEN et de sa ministre de tutelle, le degré d’opacité mis en place par le passé saura être dépassée et permettre à des associations comme Infoprisons et d’autres acteurs s’intéressant aux réalités carcérales, d’y avoir accès.

Karen Klaue

Références

[2] Article 30 de l’ordonnance sur les épidémies entrée en vigueur le 1e janvier 2016.