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Les temps de la détention provisoire: entre fiction et réalité

« Santé psychique et prison : place et rôle des proches » est le thème traité par le 11ème Café-Prison du GRAAP. Trois proches de personnes avec une double problématique psychiatrie-délinquance sont venus faire part de leurs expériences. Nous reportons ici leurs témoignages. 

Invités

Le 11ème Café-Prison organisé par le GRAAP en juin de cette année a réuni plusieurs professions et personnes qui gravitent autour de la délinquance et de la psychiatrie [1] : une procureure, une psychologue-psychothérapeute pénitentiaire et une agente de probation; mais aussi les proches des personnes incarcérées. Parents, conjoints, frères et sœurs qui accompagnent les personnes traversant l’enfermement ont rarement la possibilité d’exprimer leurs expériences. Le Café-Prison du GRAAP leur donne ainsi une plateforme et une voix. Trois proches, Annabelle, Béatrice et Camille [2] témoignent et font part de leurs expériences.

La lutte contre l’exclusion 

Une personne ayant à la fois un trouble psychiatrique et un parcours délinquant, voire criminel, rencontre plusieurs accompagnants et professionnels durant son parcours institutionnel : médecins, infirmiers, criminologues, experts, assistants sociaux. Ces acteurs, bien qu’à vocation professionnelle différente, travaillent ensemble dans le but de faciliter la réinsertion de la personne détenue sous mesure institutionnelle. Les proches, ceux à qui on attribue pourtant un rôle capital dans la réinsertion durant et après la détention, sont toutefois peu considérés dans cet accompagnement thérapeutique et de réinsertion.

Annabelle vit l’incarcération de son proche comme une lutte constante contre cette exclusion. La prison, « un monde inconnu et hermétique », est difficilement accessible à la famille de la personne détenue. La communication entre l’intérieur et l’extérieur étant  limitée et surveillée. Annabelle entend souvent parler des réseaux qui ont lieu entre professionnels qui évaluent et décident du suivi de la personne détenue. Elle regrette toutefois de n’avoir jamais été considérée comme une personne ressource lors de cette prise en charge.

Pour Annabelle, il faut persévérer pour avoir un retour du réseau socio-médical car les médecins sont toujours indisposés et les infirmiers silencieux, comme s’ils avaient l’interdiction de parler à la famille de la personne détenue. Après moultes tentatives, Annabelle obtient une invitation à un réseau par un médecin pénitentiaire, « à titre très exceptionnel ».

Naviguer dans l’inconnu

Le partage d’information dans le travail en réseau, maintenant coutumier dans l’intervention carcérale, est souvent évoqué comme point central pour assurer l’accompagnement de la personne détenue. Cette communication est toutefois circonscrite aux cercles professionnels entourant la personne. Les proches se retrouvent, ici aussi, relégués au second plan.

Béatrice partage son expérience de l’incarcération de son proche avec beaucoup d’émotions. Son fils, souffrant de troubles psychiques et ayant fait plusieurs séjours institutionnels, dont la prison, disparaît un peu avant sa libération conditionnelle. Inquietes, Béatrice et sa famille cherchent à le retrouver en contactant les divers services chargés de son accompagnement. Béatrice part ainsi à la chasse aux informations alors qu’elle réalise que ces services ne peuvent lui répondre. 25 jours plus tard, des nouvelles, enfin ! Non pas du réseau professionnel, mais de son fils lui-même qui l’appelle depuis l’étranger en lui demandant de l’aide. 50 jours après la disparition, Béatrice obtient finalement une explication à ses questionnements. Son fils a été accueilli au sein d’une foyer, avant de séjourner en prison, pour finalement intégrer un appartement protégé, où il fait une tentative de suicide. Il est alors hospitalisé sous PLAFA [3]. À la suite de cette hospitalisation, il perd son appartement protégé et décide ainsi de fuir.

Comprendre pour accepter et avancer

Dans l’exécution des sanctions, le travail autour de l’explication du sens de la peine prend un rôle central. Un système prétendant responsabiliser, réinsérer ou soigner des personnes sanctionnées doit s’en tenir à ses engagements et se donner notamment comme tâche d’en transmettre le sens aux personnes concernées[4]. Les proches construisent ainsi le sens de la peine à travers les témoignages des personnes détenues, mais aussi par le biais de leurs propres expériences avec le système carcéral [5].

Camille questionne le sens de la sanction dont son proche s’est vu infligé. Ce dernier  écope de plusieurs peines de prison, et ce pour des délits divers. Durant une période hors des murs carcéraux, le proche de Camille menace son ex-conjointe et est condamné, cette fois-ci, à une mesure thérapeutique au sens de l’art. 59 CP. Tout en reconnaissant les fragilités psychiques de son proche, Camille peine à comprendre le sens de cette mesure. En raison du manque de structures spécialisées et prêtent à accueillir des personnes pour un traitement institutionnel, celui-ci exécute sa mesure en prison. Le proche de Camille ne bénéficie dès lors ni d’une activité structurante, ni d’une prise en charge bienveillante. Là-bas, il n’éprouve que de la sévérité, et fait une tentative de suicide. Pour Camille, ce geste est commis avec l’espoir d’être entendu, d’être pris en compte. Elle partage que le cadre carcéral lors de l’exécution d’une mesure censée être thérapeutique est ainsi vécu par elle et par son proche détenu comme une injustice.

Melody Bozinova

Notes

[1] La table ronde était animée par Magali Bonvin, procureure du canton de Vaud, Diane Golay, psychologue-psychothérapeute et responsable du Service de médecine pénitentiaire à Genève et Laura Zemlicof, agente de probation du canton de Vaud. Brochure et présentation du 11ème Café-Prison : https://association.graap.ch/cafe-prison/.

[2] Les noms des proches sont anonymisés.

[3] Placement à des fins d’assistance. Voir la fiche explicative du canton de Vaud : https://www.vd.ch/themes/sante-soins-et-handicap/pour-les-professionnels/placement-a-des-fins-dassistance/ 

[4] Tiscini, G. et Kalaora, L. (2021), Clinique en milieu carcéral, entre crime et peine. Cliniques méditerranéennes, n°104, pp. 31-42.

[5] Lehalle, S. (2019), Les sens et non-sens de la peine infligée à l’entourage des personnes détenues. Dans : Bernard, D. et Kevin, L. (dir.), Les sens de la peine. Nouvelle édition [en ligne]. Bruxelles : Presses de l’Université Saint-Louis.